Afrique du Sud : Les Juifs espèrent que la fragile coalition sera contrainte de modérer sa position anti-Israël
Certains dirigeants communautaires estiment que la solution aux défis nationaux et à la crise diplomatique avec les États-Unis passe par l'État hébreu, mais le gouvernement sera-t-il d'accord ?

Après des années de tensions entre le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud, et la communauté juive du pays, la situation semblait avoir atteint un point de rupture ces derniers mois, poussant de nombreux membres de cette communauté à reconsidérer leur avenir dans ce pays.
« Bon nombre des défis diplomatiques actuels de l’Afrique du Sud sont directement liés à la position anti-Israël de l’ANC », a déclaré Benjamin Shulman, directeur exécutif du Middle East Africa Research Institute.
Depuis des décennies, le gouvernement sud-africain est considéré comme un fervent détracteur de la politique israélienne, comme en témoignent notamment ses accusations de « sionisme égal à racisme » lors de la Conférence de Durban en 2021 ainsi que sa plainte déposée en décembre 2023 devant la Cour internationale de justice (CIJ) accusant Israël de commettre un « génocide » à Gaza. Une position qui n’est pas partagée par la majorité des habitants du pays, selon les membres de la communauté juive.
« Ce qui est intéressant, c’est que même si le gouvernement est farouchement anti-sioniste et a causé tant de tort à Israël, cela ne s’est pas traduit par de l’antisémitisme au sein du pays, même après le 7 octobre [2023] », a déclaré le rabbin Doron Perez, originaire d’Afrique du Sud et président exécutif du Mizrachi World Movement en Israël.
« Le Sud-Africain moyen éprouve des sentiments chaleureux envers les Juifs et n’est certainement pas anti-Israël », a souligné Perez.
« Dans l’ensemble, il s’agit simplement d’une position politique adoptée par l’ANC. »

Cette position est aujourd’hui mise à l’épreuve. L’ANC, qui dirige le Parlement sud-africain avec une majorité absolue depuis la fin de l’apartheid il y a trente ans, n’a remporté que 40 % des voix lors des élections de mai dernier. Il a donc été contraint de former un gouvernement d’union nationale avec d’autres partis, dont beaucoup sont favorables à l’Occident et à Israël.
Certains indices laissent penser que la politique de coalition, combinée à la récente crise dans les relations diplomatiques entre le pays et les États-Unis, pourrait contraindre ses dirigeants, connus pour leur opposition farouche à Israël, à adopter un discours plus modéré.
« Les tensions croissantes avec les États-Unis ont propulsé cette question au premier plan de l’agenda national, et nous pourrions voir les choses commencer à changer avec le nouveau gouvernement », a déclaré Shulman.
Les relations entre l’Afrique du Sud et les États-Unis ont atteint une impasse en mars dernier lorsque Washington a expulsé l’ambassadeur sud-africain Ebrahim Rasool pour avoir qualifié le président américain Donald Trump de « suprémaciste blanc ». Cette décision faisait suite à un décret signé par Trump en février dernier visant à suspendre toute aide financière à l’Afrique du Sud, accusant le gouvernement de Pretoria de soutenir le groupe terroriste palestinien du Hamas et l’Iran et de mener des politiques internes préjudiciables à la population blanche du pays.

Parallèlement, la proposition de rebaptiser une rue de Johannesburg abritant le consulat des États-Unis du nom d’une terroriste palestinienne tristement célèbre vient exacerber la situation. En octobre, la plus grande ville du pays décidera si elle renommera Sandton Drive, dans le centre économique, en l’honneur de Leïla Khaled, membre du groupe terroriste Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) impliquée dans deux détournements d’avions très médiatisés dans les années 1960 et 1970. Cette décision est considérée par beaucoup comme une provocation délibérée à l’encontre des États-Unis, dont le consulat est situé dans cette rue.
Les rivaux politiques de l’ANC ripostent. Au début du mois, des membres du gouvernement d’union nationale se sont rendus en Israël pour une mission d’enquête, une initiative considérée comme un camouflet diplomatique à l’égard de l’ANC et peut-être comme une déclaration selon laquelle la voie vers la réconciliation entre Pretoria et Washington doit passer par Jérusalem.
« L’ANC a irrité les Américains en s’engageant ouvertement auprès des dictatures iranienne, russe, chinoise, vénézuélienne et d’autres pays, mais on a le sentiment que l’administration Trump lie sa frustration envers l’Afrique du Sud avant tout à ses positions anti-Israël », a déclaré Shulman.
« Si le président Cyril Ramaphosa souhaite réparer ses relations avec les États-Unis, il peut commencer par là. »
Hostilité croissante
Selon Rowan Polovin, président de la Fédération sioniste sud-africaine (SAZF), la communauté juive d’Afrique du Sud, qui compte environ 50 000 personnes, se sent ostracisée depuis longtemps en raison de la rhétorique anti-Israël du gouvernement. Cependant, la situation s’est considérablement détériorée après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien Hamas le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre actuelle contre le Hamas. Plus de 1 200 personnes, pour la plupart des civils, ont été massacrées dans le sud d’Israël, et 251 autres ont été enlevées et emmenées de force dans la bande de Gaza.
« La semaine suivant le 7 octobre, le président Ramaphosa est apparu aux côtés des dirigeants de l’ANC, vêtu d’un keffieh et affirmant sa solidarité avec les Palestiniens », a déclaré Polovin.
« Cela a porté leur hostilité à un tout autre niveau. »

Un tournant s’est produit en décembre 2023 lorsque le gouvernement sud-africain a traduit Israël devant la CIJ, l’accusant de commettre un « génocide » dans le cadre de ses opérations militaires menées contre le Hamas à Gaza.
Israël a rappelé son ambassadeur en Afrique du Sud, Eliav Belotsercovsky, à la fin de l’année 2023, et depuis lors, l’ambassade à Pretoria est dirigée par un chargé d’affaires.
« Ils ont cherché à délégitimer le droit d’Israël à se défendre contre une entité terroriste qui appelle à la destruction d’Israël, accusant les victimes de génocide après qu’elles ont subi un véritable génocide », a déclaré Polovin.
« Cela a vraiment bouleversé notre communauté. »

Les responsables gouvernementaux ont également menacé d’arrêter tout ressortissant du pays qui reviendrait en Afrique du Sud après avoir rejoint l’armée israélienne. Bien qu’aucun incident de ce type n’ait été signalé à ce jour, cette menace pèse lourdement sur les Juifs qui ont des membres de leur famille en Israël, a fait remarquer Polovin.
Heureusement, selon les membres de la communauté, la rhétorique anti-Israël croissante au sein du gouvernement ne s’est pas traduite par une montée de la haine anti-juive au niveau local.
« La plupart des Sud-Africains soutiennent Israël. Nous ne ressentons pas d’antisémitisme dans notre vie quotidienne », a déclaré Polovin.
« Les gens se promènent avec nos bracelets de soutien aux otages et des étoiles de David, et personne ne craint d’être agressé. Nous ne ressentons pas la haine comme en Europe. Nous entretenons de bonnes relations avec de nombreux groupes chrétiens à travers le pays, notamment la Zion Christian Church, la plus grande église du pays avec plus de 10 millions de membres. »
Les institutions juives soutiennent ouvertement Israël, et les mouvements sionistes de jeunesse du pays sont particulièrement forts, a fait remarquer Dafi Forer-Kremer, directrice du Israel Center South Africa et responsable du South Africa Aliyah Department, qui facilite l’immigration vers Israël.
« C’est une communauté très fière », a déclaré Forer-Kremer.
« Nous n’avons pas peur de défendre Israël ni de manifester. Pratiquement tous les événements organisés par notre communauté depuis le 7 octobre étaient liés à Israël. Ici, personne n’a peur. »
Même les campus universitaires, qui sont le théâtre de nombreuses protestations anti-Israël aux États-Unis, sont relativement calmes en Afrique du Sud, a fait remarquer Shulman.

« Ils viennent d’organiser leur semaine annuelle contre l’apartheid israélien, et cela n’a pratiquement pas eu d’écho. Nous n’avons pas connu le genre de choses qui se passent dans les universités américaines », a-t-il déclaré.
Une communauté bien enracinée
Bien que la communauté juive sud-africaine soit peu nombreuse (elle représente moins de 0,1 % de la population du pays, qui compte 63 millions d’habitants), elle est très bien connectée et bien enracinée, avec des institutions communautaires solides.
Les deux plus grandes institutions de la communauté, la SAZF et le South African Jewish Board of Deputies, datent toutes deux du début du 20ᵉ siècle, période où la communauté a commencé à se développer rapidement, a souligné Dorron Kline, président de Telfed, une organisation représentant les Sud-Africains en Israël.

La communauté comptait environ 120 000 membres à son apogée, dans les années 1960, mais des vagues d’instabilité politique et de violence, notamment la fin de l’apartheid en 1994, ont poussé beaucoup d’entre eux à chercher un nouveau foyer en Israël ou ailleurs, a déclaré Kline.
« Chaque fois qu’il y avait un soulèvement dans le pays, on observait une forte augmentation de l’immigration vers Israël », a-t-il indiqué.
Aujourd’hui, l’Afrique du Sud compte plus de 50 000 Juifs, dont environ 30 000 à Johannesburg et 15 000 au Cap. Les communautés sont généralement très soudées et bien organisées, avec de nombreuses institutions et écoles communautaires, a déclaré Polovin.
Chaque année, environ 300 Juifs quittent ce qui est « probablement l’une des communautés les plus sionistes au monde » pour s’installer en Israël, a déclaré Kline. Ce chiffre est resté stable même après le 7 octobre, a-t-il précisé, bien qu’il comprenne désormais moins de familles et davantage de jeunes célibataires.
Au total, environ 25 000 Sud-Africains se sont installés en Israël depuis 1948, la plus grande communauté, à Raanana, comptant environ 4 000 immigrants de première génération, a-t-il précisé.
« Si l’on compte les immigrants de deuxième et troisième générations, nous sommes plus de 100 000 », a-t-il ajouté.
Ces chiffres comprennent 130 familles qui ont perdu leur maison ou ont été évacuées après le 7 octobre, ainsi que treize familles qui ont perdu des proches dans la guerre, a précisé Kline. La plupart d’entre elles étaient des enfants d’immigrants, dont le capitaine Daniel Perez, qui a été tué et dont le corps a été enlevé par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre.
« Nous parlons d’une communauté forte et soutenue par l’ensemble de la population sud-africaine », a déclaré le rabbin Doron Perez, père de Daniel.

« Le parti ANC a tenté de marquer des points auprès des électeurs en attaquant Israël, mais cela n’a fait que lui nuire, et il commence désormais à en payer le prix. »
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