Ambassade US : les vieux résidents de l’hôtel Diplomat menacés d’expulsion
Qu'adviendra-t-il des 450 immigrés russes âgés et démunis qui résident dans l’hôtel emblématique de Jérusalem racheté par les Etats-Unis ? Les fonctionnaires n'ont pas de réponse
Dans le paisible quartier d’Arnona à Jérusalem, à seulement une minute à pied de l’ancienne demeure de l’auteur S.Y. Agnon, se trouve le consulat des Etats-Unis, qui devrait devenir l’emplacement temporaire de l’ambassade des Etats-Unis à compter du 14 mai.
Juste à côté de l’enceinte beige se trouve une rampe accessible aux fauteuils roulants réservée aux résidents de l’hôtel Diplomat, un bâtiment voisin qui porte l’apparence d’une grandeur disparue depuis bien longtemps. On y croise souvent des immigrants russes âgés, descendant prudemment par la rampe tout en poussant de petits chariots de courses.
Lors de la visite du Times of Israël, une poignée de résidents étaient assis à l’entrée de l’ancien hôtel, qui sert actuellement de logement social subventionné par le ministère de l’Intégration et qui héberge environ 450 immigrants âgés.
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Beaucoup de ces hommes et femmes étaient des médecins, des musiciens et des universitaires en Russie avant de déménager en Israël – certains directement au Diplomat – au début des années 1990. La plupart ont finalement trouvé un emploi payé au salaire minimum, et ont travaillé jusqu’à ne plus pouvoir.
Maintenant, avec leurs cheveux blancs et leurs rides, les résidents échangent quelques mots en passant le temps ensemble. Ils trouvent du réconfort dans la compagnie des uns et des autres et dans leur routine faite de conférences, de films, d’une chorale et de visites chez le médecin. Chaque locataire dispose d’une chambre confortable et modeste équipée d’une kitchenette, et il y a beaucoup d’espace commun permettant aux résidents d’échanger.
Mais cette vie tranquille se trouve menacée depuis que les occupants âgés ont été informés pour la première fois en 2014 de leur expulsion prochaine. Le bâtiment a été vendu à l’ambassade américaine pour le logement de son personnel, l’ambassade devant déménager à Jérusalem.
Par la suite, le bail de l’hôtel a été prolongé plusieurs fois. Mais maintenant que l’ambassade américaine déménage officiellement à proximité, le contrat actuel, qui expirera le 20 juin 2020, ne sera pas prolongé.
L’installation temporaire de l’ambassade américaine au sein du consulat sera célébrée le 14 mai – la date civile du 70e anniversaire d’Israël – en présence d’une délégation américaine de 250 personnes dirigée par le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin.
La nécessité de trouver un logement alternatif pour les résidents est connue depuis la vente de 2014. Mais la décision du président Donald Trump de déménager l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et l’annonce qui a suivi, selon laquelle le consulat américain deviendrait son premier siège, ont poussé le ministère israélien de l’Intégration à trouver un nouveau foyer pour les 450 résidents âgés. C’est une mission que le ministère n’a pas encore accomplie.
Svetlova intervient
Selon la députée Ksenia Svetlova du parti de l’Union sioniste, il n’y a pas encore de date définitive de déménagement, ni de plan définissant où et comment les résidents seront déplacés, ni d’estimation des coûts potentiels ou du budget subséquent. Et même s’il lui reste encore deux ans, elle prévient que les résidents pourraient être expulsés avant juin 2020.
Pour Svetlova, devenue l’avocate des résidents au sein de la Knesset, cette question est personnelle : l’hôtel Diplomat était sa première maison en Israël quand elle y a emménagé avec sa mère depuis la Russie en 1991.
En mars, Svetlova a dirigé une réunion organisée par le Comité pour l’immigration, l’intégration et la diaspora de la Knesset. Elle a rassemblé toutes les parties concernées afin d’entendre Alex Kushnir, directeur général du ministère de l’Intégration.
Kushnir a été chargé de présenter un plan concret pour la réinstallation des résidents lors de cette réunion, après n’avoir fourni aucune direction claire lors de la première réunion de la Knesset en fin décembre.
Discutant avec le Times of Israël à la suite de la réunion, Svetlova a affirmé qu’il n’y avait toujours pas de plan d’action. Elle a expliqué que la session avait révélé un manque de communication entre les parties concernées, et aucune solution, calendrier ou budget réalisable.
« Nous n’avons toujours pas d’informations spécifiques », a déclaré Svetlova. « Pendant quatre ans, nous savions que cela allait arriver. Je ne comprends pas le fait que [Kushnir] se fie à l’idée du ‘tout ira bien’ ou au ‘faites-nous confiance’, ce qui n’est pas assez bon pour moi. »
Le comité a prorogé le délai jusqu’au mois de mai afin que le ministère de l’Intégration présente une solution définitive lors d’une réunion de suivi de la Knesset. La date n’a pas encore été fixée.
Selon Svetlova, le fardeau de cette responsabilité et l’échec subséquent de former un plan cohérent incombe au ministère de l’Intégration. Parmi les autres acteurs figurent le ministère du Logement, la municipalité de Jérusalem, le bureau du Premier ministre et le ministère des Affaires étrangères, qui est en contact avec l’ambassade des Etats-Unis.
Interrogé sur les progrès réalisés depuis la réunion de mars, Elisheva Cohen, porte-parole du ministère de l’Intégration, a répondu par courrier électronique : « Le ministère travaille en coopération avec les organismes concernés afin de trouver une solution appropriée pour les résidents du complexe. Assurez-vous qu’aucun nouvel immigrant ne sera laissé sans solution de logement après le 20 juin 2020. »
Le ministère n’a pas fourni davantage d’informations.
A l’automne, la ministre de l’Intégration, Sofa Landver, a rendu visite aux résidents de l’hôtel Diplomat, leur assurant qu’une solution de logement leur serait trouvée à Jérusalem.
Mais malgré ces promesses, Svetlova a affirmé au Times of Israël que, jusqu’à ce qu’une option réalisable soit trouvée, rien n’était certain.
Svetlova a expliqué que le ministère de l’Intégration avait appris il y a 11 ans que l’hôtel Diplomat serait finalement vendu et qu’il serait nécessaire d’y expulser les résidents. Ce manque de prévoyance, a-t-elle dit, a laissé la population la plus vulnérable d’Israël entre les mains d’un ministère qui a attendu jusqu’au dernier moment pour leur trouver une solution.
Deux options imparfaites
Selon le président du comité d’absorption de la Knesset, Avraham Neguise, la réunion de mars a montré qu’il n’y avait que deux options possibles sur la table : construire une nouvelle résidence à Jérusalem ou trouver des logements à Jérusalem.
Les deux présentent des obstacles. L’option la moins coûteuse de déplacer les résidents dans des logements existants reste largement privilégiée, bien que Svetlova se demande s’il serait même possible à Jérusalem de trouver des installations disponibles pouvant accueillir confortablement un grand nombre de résidents.
Concernant l’option de construire une nouvelle résidence, Marina Kontsevaya, membre du conseil municipal de Jérusalem qui détient le portefeuille de l’immigration et de l’intégration, a annoncé que des projets étaient en cours avec le comité d’attribution des terres de Jérusalem afin de trouver un terrain constructible dans les quartiers d’Arnona ou de Pisgat Ze’ev. Une telle initiative nécessiterait néanmoins beaucoup de temps et d’argent.
Kontsevaya a déclaré au Times of Israël que les résidents étaient très inquiets en raison de leur âge avancé. Elle a affirmé qu’elle était entièrement convaincue qu’une solution serait trouvée. Bien qu’il n’y ait pas eu d’accord à cet effet, Kontsevaya a déclaré : « Les Américains ne vont pas simplement les expulser. »
Sans proposition, le ministère de l’Intégration ne peut pas demander de fonds en faveur de l’aménagement d’un tel espace de vie, a déclaré un représentant du ministère des Finances. Le budget de la Knesset pour 2019 a déjà été adopté en mars.
Les immigrants russes font leur check-in
Lors de la réunion organisée par Svetlova à la Knesset, Yosef Demsker, résident de 85 ans au Diplomat, a plaidé auprès des responsables gouvernementaux pour que les résidents soient regroupés en grands groupes à Jérusalem plutôt que dispersés dans des chambres disponibles à travers la ville ou le pays.
« Il est important pour nous de rester ensemble et de rester ensemble en larges groupes, et non de façon isolée », a-t-il dit, expliquant l’importance de la communauté familiale que les résidents ont bâtie les uns avec les autres au fil des ans. Il a poursuivi : « A notre âge, il est difficile de ne pas avoir de vues [sur l’avenir]. »
La façon dont Demsker et ses concitoyens se sont retrouvés résidents permanents d’un ancien hôtel est une histoire qui remonte à il y a une trentaine d’années.
L’histoire commence par le besoin du ministère de l’Immigration de trouver des solutions de logement innovantes pour une vague d’immigration russe qui a démarré à la fin des années 1980 après l’ouverture des frontières par l’URSS et qui a augmenté à la chute du rideau de fer.
Cet énorme afflux russe en Israël a coïncidé avec le début de la première Intifada, qui a laissé de nombreux hôtels à Jérusalem presque vacants.
Jan Sokolovsky, défenseur de longue date des résidents du Diplomat et membre fondateur de Keren Klita, une organisation à but non lucratif créée il y a 30 ans afin d’aider à l’intégration les immigrants russes dans la région de Jérusalem, a déclaré qu’à l’époque, une idée avait germé : celle de transformer ces hôtels en des logements pour les nouveaux Israéliens. L’hôtel Diplomat était l’un de ces équipements à avoir été convertis, et reste le seul qui existe encore.
Sokolovsky, avocat, plaide toujours pour les résidents, bien que Keren Klita ait officiellement fermé ses portes il y a quelques mois.
Selon Alice Jonah, bénévole de longue date au Diplomat qui est devenue plus tard sa directrice des affaires sociales, la vie à l’hôtel était loin d’être un séjour au long cours. Pourtant, a-t-elle dit, c’était une période excitante et pleine de possibilités.
« Au début, nous étions très occupés parce que les gens ne connaissaient pas l’hébreu et ne savaient pas comment faire face à la vie quotidienne », a-t-elle dit. L’ouverture d’un compte en banque ou la recherche d’une école pour les enfants représentait un défi.
Avec le soutien de Keren Klita, Jonas et d’autres bénévoles ont aidé les résidents à obtenir de nombreuses choses, que ce soit des articles ménagers de base ou des emplois. Lentement, la vie est devenue plus vivable pour les résidents.
« A cette époque, il était très facile de rendre les choses meilleures pour ces gens », a déclaré Jonah. « C’était un moment merveilleux ; il y avait tellement de choses à faire. »
Bien que retraité, Jonas reste bénévole au Diplomat.
« Au fil de ces années, il y avait beaucoup de camaraderie entre les gens. Nous avons institué beaucoup de choses. Nous avions un ulpan [cours immersif de langue hébraïque], une chorale, une brocante, nous organisions des voyages, nous faisions toutes les fêtes religieuses, nous avions des comédies musicales et des conférences. C’était vraiment merveilleux parce que c’était un processus de croissance et d’apprentissage pour beaucoup de ces gens », explique-t-elle.
Pas vraiment la vie de palais
Selon Jonah, un grand nombre des immigrants plus âgés issus du groupe original sont toujours aujourd’hui au Diplomat. De la même manière, lorsque certains parmi les premiers résidents ont déménagé, les chambres ont été remplies par d’autres personnes venues des quatre coins du monde.
Mais au mois de juin 2014, lors de l’annonce de la vente de l’hôtel Diplomat à l’ambassade américaine avec une date de cession fixée pour le mois de juin 2016, les habitants ont été surpris d’apprendre que la communauté qu’ils avaient mis des années à construire pouvait être sur le point de disparaître.
Jonah a expliqué que « en 2014, quand les résidents ont appris ce qui allait se passer, ils ont été très inquiets. Ils ont manifesté, ils ont écrit des courriers, il y a eu de nombreuses activités mais on leur a assuré en permanence : ‘Ne vous inquiétez pas, c’est dans longtemps, les choses se régleront.’ Et maintenant, bien sûr, ils appréhendent. »
« Certains d’entre eux ont 90 ans bien sonnés et ils sont ici depuis 1991. Ils sont établis, ils ont leur routine, ils ont des gens qui les aident, leurs médecins, de la famille et des amis à proximité », a-t-elle commenté.
Au mois de février 2015, selon Sokolovsky, les résidents étaient agités et troublés, ayant été laissés dans l’ignorance des plans possibles sur un déménagement. Juste avant les élections du mois de mars 2015, une décision de dernière minute de prolonger le bail jusqu’à 2019 avait toutefois temporairement calmé les inquiétudes.
Le dernier départ
Maintenant, avec une date-limite fixée à 2020, les résidents attendent avec anxiété que le ministre de l’Absorption décide de leur sort et le leur fasse savoir.
« Un grand nombre préfère ne pas y penser », a commenté Anna Cipis, travailleuse sociale qui travaille depuis 15 ans auprès des résidents du centre, auprès du journal israélien Maariv au mois de décembre.
« Le ministère de l’Absorption répond qu’il s’occupera de chaque locataire conformément à ses besoins et les résidents espèrent que c’est ce qu’il va se passer », a continué Cipis, notant le désir des personnes âgées de rester à Jérusalem où se trouvent leurs proches et l’accessibilité aux soins médicaux.
« Les résidents ont le droit de savoir quel sera leur avenir », a affirmé Svetlova. Elle a interpellé le ministère de l’Absorption, regrettant un manque de transparence dans le dossier.
Notant que trouver des financements pour l’initiative qui sera décidée pourrait représenter un long processus, Svetlova a expliqué que le temps était compté.
« Deux ans, ce n’est pas beaucoup [pour trouver un nouveau foyer] pour ces résidents », dit-elle.
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