Au Yémen en guerre, des enfants trouvent du réconfort dans la musique
La musicothérapie est fréquente dans plusieurs pays pour traiter le stress post-traumatique chez les soldats et les survivants d'un conflit ou de catastrophes naturelles
Assise le dos bien droit à côté de sa professeure, la petite Nazira al-Jaafari appuie sur les touches numérotées d’un piano électrique sous le regard attentif du reste de sa classe.
Le son de la musique résonne dans les couloirs de l’école Al-Nawares à Taëz, grande ville du sud-ouest du Yémen. Le temps d’une chanson, les enfants peuvent oublier la guerre.
« J’adore la musique », explique Nazira. « Quand je me sens mal, je joue. Je connais une chanson d’anniversaire. Et aussi Nassam Alayna al-Hawa et je suis en train d’apprendre Enta Omri », énumère-t-elle, citant deux chansons cultes des divas arabes Fairouz et Oum Kalthoum.
« J’espère juste que le Yémen gagnera cette guerre et que… » Elle s’arrête, expire profondément puis poursuit en souriant : « et que nous pourrons vivre une nouvelle vie ».
Taëz était autrefois réputée pour ses grains de café, cultivés à haute altitude et exportés au départ du célèbre port de Mokha.
Depuis 2015, elle a été le théâtre de combats parmi les plus intenses d’une guerre entre les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, et les forces progouvernementales, alliées à une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.
Contrôlée par le gouvernement mais assiégée par les rebelles, Taëz a fait en décembre l’objet d’une proposition de l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen pour un accord sur la « désescalade » des combats et l’ouverture de couloirs humanitaires.
Échappant à l’autorité du gouvernement, de nombreuses milices locales, dont certaines ont des liens avec des islamistes radicaux, cherchent par ailleurs à contrôler les différents quartiers de cette ville, déjà éprouvée par le conflit.
Musique, mathématiques et arabe
Au Yémen, près de 500 000 élèves ont abandonné l’école depuis 2015, portant le nombre total d’enfants déscolarisés dans le pays à deux millions, selon un rapport de l’Unicef publié en mars 2018.
Taëz n’a pas été épargnée : l’école Al-Nawares, où étudie Nazira, a dû fermer et a été le théâtre de combats qui ont troué ses murs entre 2015 et 2016, juste après le début de l’intervention de l’Arabie Saoudite et de ses alliés.
Lorsqu’elle a rouvert ses portes, les responsables éducatifs ont décidé d’intégrer la musique au programme, en plus des mathématiques et de l’arabe, dans l’espoir qu’elle redonnerait du plaisir aux élèves.
« Leur état psychologique était très fragile après tous les bombardements et les combats », explique le proviseur Shehabeddine al-Sharabi.
Le directeur d’une université de la ville voisine de Mokha a alors recommandé le prêt gratuit d’instruments de musique à l’école de Taëz.
« Ce n’est pas qu’une activité extrascolaire ici. La musique a un effet sur nos élèves, ils sont plus réactifs », souligne M. Sharabi.
« L’éducation est une arme »
L’utilisation de la musique dans un but de thérapie psychique – la musicothérapie – est fréquente dans plusieurs pays pour traiter le stress post-traumatique chez les soldats et les survivants d’un conflit ou de catastrophes naturelles.
Dans les salles de classe de l’école Al-Nawares, des dizaines de garçons et de filles bénéficient chaque jour d’un répit face aux atrocités commises dans un pays théâtre, selon l’ONU, de la pire crise humanitaire du monde.
Souriant et tapotant sur leur bureau, des enfants aux yeux brillants chantent une comptine en anglais.
Dans une autre classe, des élèves un peu plus âgés chantent « L’éducation est une arme ». Leur professeure, Abir al-Sharabi, prend le temps de les aider à apprendre à jouer eux-mêmes les airs.
« On sent qu’ils se sentent plus à l’aise ici que dans les autres cours », déclare Mme Sharabi à l’AFP.
« Leur énergie est différente. Et certains élèves ont même de l’expérience en chant! Toutes leurs voix sont belles », se réjouit-elle.
« La guerre est la cause de tant de douleur, c’est parfois plus facile de l’exprimer par la chanson ».