Autrefois épineuse, la relation entre le maire musulman et les Juifs de Londres est dorénavant au beau fixe
Sadiq Khan encourage le vote en faveur des bons candidats locaux du Labour - presque en dépit du chef de son parti
LONDRES — En 2004, un jeune avocat musulman de Londres répondant au nom de Sadiq Khan partageait une plate-forme avec cinq extrémistes politiques lors d’une réunion organisée par les Amis d’Al-Aqsa et intitulée « Palestine — La souffrance continue encore ».
Parmi les intervenants, Daud Abdullah, à la tête du boycott de la Journée du souvenir de l’Holocauste en 2005 alors qu’il était secrétaire général adjoint du Conseil musulman du Royaume-Uni et le docteur Azzam Tamimi, qui n’avait pas hésité à déclarer à une occasion qu’il voulait voir Israël détruit et remplacé par un état islamique.
Comme l’avait décrit un important militant de la communauté juive britannique, la relation entre Khan et cette dernière, à cette époque, était « difficile… délicate, inconfortable ».
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Revenons à aujourd’hui. Khan, âgé de 46 ans, est devenu le maire très admiré de Londres, dont l’engagement le plus récent auprès de la communauté juive a fait une apparition – fortement applaudie – lors de la cérémonie de Yom HaShoah organisée au sein de la capitale.
Au cours de l’année passée, il s’est fréquemment affiché à l’occasion d’événements communautaires juifs dont la célébration de Hanoukka à Trafalgar Square dans le centre de la ville. Il a également appuyé l’initiative de la Journée de la Mitzvah. Il a élevé une voix forte contre l’antisémitisme et, récemment, il a appelé sur un ton incisif à ce que son prédécesseur, Ken Livingstone, soit démis de ses fonctions au sein du parti Travailliste après qu’un tribunal a reconnu coupable ce dernier d’avoir amené le discrédit au sein du parti.
Avant son élection au poste de maire, l’année dernière, Khan était, depuis 2005, un membre fougueux du parlement issu du parti du Labour, représentant le district de Tooting, au sud de Londres, situé à proximité de l’endroit où il avait grandi.
Alors qu’il vient d’achever sa première année à la tête de la ville de Londres, le parcours de Khan, devenu le politicien du Labour favori de la communauté juive britannique, vaut certainement le coup d’oeil.
Lorsque le Times of Israël
Il s’est entretenu avec Khan dans la salle réservée à la presse d’un stade, au-dessus d’un terrain vert où s’est déroulée la cérémonie organisée en 2017 pour Yom HaShoah, l’homme politique a ri et expliqué qu’il pourrait être qualifié comme « tout simplement le politicien préféré de la communauté juive, point barre ».
‘Le politicien favori de la communauté juive, point barre’
Mais ce titre, il a âprement lutté pour l’obtenir. En 2004, avant qu’il n’entre au Parlement, Khan, issu d’une famille de huit enfants et fils d’un chauffeur de bus, était un musulman plein de fougue.
Conseiller municipal du Labour local, il a présidé la commission juridique du Conseil des musulmans britanniques, dirigé le groupe de défense des droits de l’Homme Liberty et, entre autres fonctions controversées, il a été l’avocat au Royaume-Uni du chef du groupe Nation of Islam, Louis Farrakhan. Il a longtemps été, en fait, l’épine dans le pied de la communauté juive anglaise.
Pour Khan, qui s’exprime avec des mots rapides – son enthousiasme l’entraîne parfois à trébucher sur ses phrases – le tournant a eu lieu en 2008 lorsqu’il a été désigné ministre des Communautés et qu’il a commencé, pour la première fois, à rencontrer des leaders de la communauté juive sur d’autres terrains de jeu.
Il reconnaît, dit-il, « qu’être un Londonien juif est un défi… Je n’avais pas complètement pris la mesure du niveau de l’antisémitisme. J’ai commencé à comprendre la corrélation entre les tensions au Moyen Orient et la croissance de l’antisémitisme au Royaume-Uni. Et même si je connaissais le problème, je n’en ai pas tout de suite saisi l’ampleur ».
Responsable des cultes, il a été chargé de mettre en oeuvre les recommandations mentionnées dans le rapport parlementaire sur l’antisémitisme écrit par le législateur John Mann, ce qui a apporté à Khan une expérience de premier plan sur la ligne de front de la politique communautaire juive.
Il a rencontré, dit-il, des leaders du Community Security Trust et du Board of Deputies avec lesquels il est devenu ami. Il a commencé également à visiter des synagogues – certaines dans lesquelles il a eu l’occasion de rompre le jeûne du Ramadan.
Khan est un musulman pratiquant et sa dévotion religieuse lui a certainement apporté quelques fans dans la communauté juive strictement orthodoxe. Il a également établi de bonnes relations avec l’institut Nightingale House, une maison de retraite innovante, qui se situe dans son ancienne circonscription.
Une fois choisi par le Labour comme candidat à la mairie, Khan s’est immédiatement mis au travail. Mais surprise – et signe fort – pour la communauté juive que son premier engagement public municipal après son élection en 2016 a été une apparition lors d’une commémoration organisée à l’occasion de Yom HaShoah.
Disant qu’il s’est senti « honoré » de pouvoir revenir cette année, Khan donne toutes les indications montrant qu’il est à la fois émerveillé et touché par les survivants de l’Holocauste avec lesquels il s’est trouvé en contact. Il évoque régulièrement l’importance d’enseigner l’Holocauste à tous les élèves des écoles, en ne restreignant pas cet apprentissage aux seuls enfants juifs.
Il peut probablement attribuer une part de sa popularité auprès des électeurs juifs au fait qu’il a su respecter sa promesse pré-électorale de ne pas utiliser sa fonction de maire de Londres pour commenter la politique étrangère. La communauté juive lui est reconnaissante de conserver une vraie neutralité face aux controverses sur le Moyen Orient – en particulier suite aux récents propos tenus par Ken Livingstone, son prédécesseur au poste de maire pour le Labour, qui sont encore dans toutes les têtes des électeurs.
Le maire a, bien sûr, un agenda extraordinairement complexe qui englobe les nombreux défis qui se posent aujourd’hui à la communauté extrêmement diversifiée de Londres.
« Il y a des défis que doit affronter notre communauté londonienne et mon job, en tant que maire, c’est de les résoudre », explique-t-il.
« Par exemple, il faut geler les tarifs pour les transports à Londres, et mettre en service le métro de nuit. Nous avions des programmes relatifs à la résolution de la crise des logements pour pouvoir offrir des habitations à prix abordable dans la ville, nous avions des programmes pour purifier l’air de Londres, pour assurer par l’îlotage le maintien de l’ordre dans les quartiers ».
Puis est arrivé le Brexit, le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne, un développement que Khan admet ne pas avoir vu venir et pour lequel il n’avait prévu aucun programme d’anticipation initial.
‘L’un des plus grands défis pour moi, c’est de nous rappeler à tous et au monde que Londres est ouverte aux talents’
« Ce qui est important pour Londres », dit-il, « c’est que c’est le moteur de notre pays et que sa réussite dépend de celle de Londres. Londres s’appuie fortement sur l’accès à un marché unique, à l’union douanière, à la capacité d’attirer les talents. Alors l’un des plus grands défis pour moi, c’est de rappeler à tous et au monde que Londres est ouverte aux talents. On va continuer à être un endroit où les entreprises peuvent venir investir ».
Ces derniers mois, le maire a consacré la majorité de son temps à gérer les conséquences du Brexit.
Il a toutefois des informations plus optimistes à donner : « Plus de la moitié de mes adjoints sont des femmes, nous avons la toute première femme commissaire de la police métropolitaine et la toute première femme commissaire des sapeurs-pompiers de Londres, 10 de mes conseillers sur 16 sont des conseillères et j’affirme donc toujours que je suis un féministe fier de l’être à la mairie ».
Tout ne s’est néanmoins pas passé comme il l’aurait souhaité, bien sûr. Il a réussi à relever le « salaire minimum vital » mais n’est pas parvenu à gérer comme il le voulait la crise du logement à Londres. Comme le dit Khan, « j’ai toujours dit que m’attaquer au logement serait un marathon, pas un sprint ».
Et le Brexit, explique-t-il, a mené certains développeurs immobiliers à se montrer inquiets face aux investissements immobiliers – « mais c’est indépendant de ma volonté ».
Comment caractériserait-il sa relation avec la communauté juive ? Khan répond : « Je juge tous les Londoniens de la même manière. Ce qui est formidable à Londres, c’est que vous êtes accepté pour ce que vous êtes, que vous soyez chrétien, musulman, juif, hindou, sikh, bouddhiste, membre d’une foi organisée ou non. Je n’aime pas parler de ‘tolérance’. Vous devez être respecté et reconnu, pas toléré. On tolère un mal de dents, pas un individu ».
‘Vous devez être respecté et reconnu, pas toléré. On tolère un mal de dents, pas un individu’
Il évoque différentes occasions où il a rencontré la communauté juive : Pessah (et il dit Pessah, pas Pâque), Hanoukka, le 80e anniversaire de la Bataille de Cable Street l’année passée.
« Cela fait partie intégrante du boulot de maire », dit Khan, et il semble y prendre plaisir. Il aime la diversité, dit-il et en effet, la veille de la cérémonie organisée pour Yom HaShoah, il faisait part de sa fierté d’être anglais aux côtés des Londoniens qui fêtaient la St George.
Mais tout n’est pas un tapis de pétales de roses. Khan reconnaît que certaines choses lui brisent le coeur.
« L’une des choses qui me brisent le coeur, c’est que tout simplement, parce qu’une école sera une école juive, ou qu’un lieu de culte sera une synagogue, il faudra assurer une protection 24 heures sur 24 et sept jours sur sept », déplore-t-il.
‘Rien n’est trop insignifiant pour être rapporté’
« Cela me fend le coeur qu’il y ait besoin du CST [Community Security Trust]. Cela me fend le coeur qu’en 2017, simplement parce que vous êtes Juif, vous pouvez être victime d’un crime de haine. Alors nous devons redoubler d’efforts. Je veux qu’aucun Londonien – et dans ce contexte, qu’aucun Juif londonien – se sente trop mal à l’aise ou suffisamment peu en confiance pour faire part d’un crime de haine. Ne pensez pas que c’est trop insignifiant. Rien n’est trop insignifiant pour être rapporté ».
Nous évoquons une fois encore Livingstone et l’annonce faite par le leader du parti Travailliste Jeremy Corbyn que la place de l’ancien maire dans le parti serait reconsidérée par le comité exécutif national de la formation. Au moins publiquement, il semble que pas grand-chose ne soit arrivé depuis cette déclaration.
Khan écarte les mains : « Il faut faire quelque chose. Il faut que cela se fasse. Pour être honnête, les élections législatives sont intervenues et je n’ai pas parlé de ça à Jeremy Corbyn mais l’antisémitisme est une forme de racisme et nous ne pouvons pas voir de hiérarchie dans le racisme, où l’antisémitisme serait considéré comme moins grave que d’autres formes de racismes ».
Il a conscience de la réponse apportée par de nombreux Juifs londoniens au parti travailliste de Corbyn – mais il encourage vaillamment les électeurs à voter pour les bons candidats locaux, presque en dépit du leader du parti.
‘Nous ne pouvons pas voir de hiérarchie dans le racisme, où l’antisémitisme serait considéré comme moins grave que d’autres formes de racismes’
Néanmoins, certains ne peuvent pas oublier que lorsque que Khan était encore un parlementaire, il a fait partie de ceux qui ont nommé Jeremy Corbyn à la tête du Labour. D’un autre côté, même s’il a pris ses distances face à Corbyn depuis son élection à la mairie – il a même soutenu Owen Smith, challenger au sein du Labour, qui s’était présenté l’année dernière contre Corbyn pour diriger la formation – il l’a tacitement approuvé après l’annonce des élections législatives, disant qu’il voulait que le Labour puisse former le prochain gouvernement. Mais il paraît difficile de penser qu’un politicien rattaché au parti Travailliste soit en mesure de dire autre chose.
Khan pense véritablement que les solutions apportées par le Labour pourront résoudre les problèmes au Royaume-Uni. Après l’annonce par la Première ministre de l’organisation des élections législatives, a-t-il eu envie de revenir à la chambre des Communes ? A cette question, Khan éclate de rire.
« Non, non. J’adore mon job de maire, c’est le meilleur travail du monde. Je veux être là, faire la différence, tendre la main aux autres pour leur venir en aide ».
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