Israël en guerre - Jour 593

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Avec la guerre, un village bédouin non-reconnu se dote de son premier abri anti-aérien

Umm al-Hiran, comme de nombreuses communautés vulnérables du Neguev, manque d'infrastructures - notamment d'une protection cruciale face aux missiles - et risque d'être déplacé

Des bénévoles bédouins peignant un abri anti-aérien en béton installé dans le village bédouin non-reconnu d'Umm al-Khiran, dans le sud d'Israël, le 7 décembre 2023. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)
Des bénévoles bédouins peignant un abri anti-aérien en béton installé dans le village bédouin non-reconnu d'Umm al-Khiran, dans le sud d'Israël, le 7 décembre 2023. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Une boîte en béton volumineuse – ses murs font 30 centimètres d’épaisseur – a été placée à l’entrée d’Umm al-Hiran, la semaine dernière. C’est le tout premier abri anti-aérien public fourni à ce village du désert, qui compte 200 habitants.

Jusqu’à présent, les résidents de ce hameau bédouin non-reconnu, qui se situe à proximité de Hura, à l’Est de la capitale du Neguev, Beer Sheva, n’avaient aucune protection appropriée face aux tirs de roquette émanant de la bande de Gaza.

Le village est situé à une cinquantaine de kilomètres de l’enclave côtière, à l’intérieur des terres. Il avait été fondé en 1956, quand le tout nouvel État d’Israël avait réinstallé deux familles bédouines pour laisser la place à la construction d’une communauté juive, le kibboutz Shoval.

Au début des années 1960, ces résidents bédouins avaient quitté leurs traditionnelles tentes pour des cabanes et, au fil des années, ils avaient construit des logements semi-permanents.

Depuis l’établissement de l’État d’Israël, en 1948, les autorités ont cherché à réinstaller les citoyens bédouins, qui travaillent largement dans l’élevage de bétail, dans sept villes reconnues, s’efforçant de les urbaniser. Mais de nombreux membres de la communauté insistent sur le droit qui est le leur à rester où ils se trouvent et environ 12 000 – sur l’ensemble de la population bédouine dans le désert, qui s’élève à 300 000 personnes – continuent à vivre dans des villages non-reconnus éparpillés dans toute la région aride.

Une grande partie des constructions, dans ces villages, sont illégales, les villes n’existant pas aux yeux de la loi. Si les autorités ne procèdent que rarement à des expulsions de masse, elles démolissent toutefois régulièrement les habitations et autres structures hors-la-loi qui sont édifiées dans ces hameaux.

Des bénévoles sur une route non-pavée du village bédouin d’Umm al-Hiran, dans le sud d’Israël, le 7 décembre 2023. (Crédit : Valentin Schmid)

Les résidents n’ont pas non plus accès aux réseaux d’eau et d’électricité israéliens. Les autorités n’ont pas goudronné de route d’accès. Elles ne prennent pas non plus en charge la collecte des ordures et elles n’ont pas fait construire d’école ou de dispensaire de santé à l’intérieur de ces villages.

Depuis 2003, onze communautés bédouines qui étaient jusqu’alors illégales ont été rétroactivement approuvées par l’État. 35 autres attendant d’être reconnues, selon l’Association des droits civils en Israël (ACRI).

Initialement, le village d’Umm al-Hiran figurait sur la liste des villages appelés à être reconnus – une décision qui avait été changée, en 2004, par l’Autorité de gestion de la Terre, qui avait émis des ordonnances de démolition pour toutes les habitations qui avaient été construites là-bas.

La communauté est actuellement au cœur d’une bataille juridique à la Cour de district de Beer Sheva et à la Cour suprême, alors qu’elle tente de faire réaffirmer la décision qui avait été prise par le gouvernement en 1956. En même temps, la construction d’une nouvelle communauté juive, Dror, est en cours depuis 2016 aux abords du village, ce qui menace d’accélérer à la fois l’évacuation et la démolition d Umm al-Hiran.

Les travaux de construction de la ville juive de Dror, dans le Neguev, qui est adjacente au village bédouin non-reconnu d’Umm al-Hiran, le 7 décembre 2023. (Crédit : Valentin Schmid)

La Cour suprême avait statué en 2016 que l’État devait fournir un plan de relogement des habitants d’Umm al-Hiran – ce que l’État a été dans l’incapacité de faire jusqu’à maintenant. Les résidents affirment qu’ils ont fourni, de leur côté, six propositions distinctes et qu’aucune d’entre elles n’a été discutée. Un activiste local note que les seuls interlocuteurs des résidents, ces dernières années, n’ont pas été les responsables du gouvernement, mais la police.

« Nous sommes une communauté autonome qui s’est construite au fil des années, » explique Raad Abu Alkeean, chef du conseil local. « Nous sommes résilients et nous ne comptons que sur nous-mêmes. La majorité des habitants, ici, travaillent ou font des études, les hommes comme les femmes. Personne n’est au chômage. Nous n’attendons pas que les autorités de l’État viennent pour résoudre nos problèmes. Nous voulons seulement que nos droits soient respectés ».

Alors que le dossier est encore en cours devant la justice, les démolitions ont continué. Au mois de janvier 2017, un résident, Yaqoub Abu al-Qiaan, avait été blessé par balle par la police lorsque les agents étaient venus superviser la destruction de sa maison. Ce père de douze enfants, âgés de 47 ans, avait pris quelques effets personnels à bord de son SUV et il était parti, disant qu’il ne pouvait pas supporter d’assister à la démolition de son foyer. Il avait été blessé par balle par la police, peu après.

A ce moment-là, il avait perdu apparemment le contrôle de son véhicule, qui avait accéléré de manière précipitée et qui avait renversé un groupe d’agents présents sur les lieux et tuant l’un d’entre eux, Erez Levi. Les forces de l’ordre et les politiciens avaient affirmé initialement qu’Abu al-Qiaan avait commis intentionnellement un attentat terroriste à la voiture-bélier, revenant ultérieurement sur ces accusations – et le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait présenté ses excuses à la famille.

Des femmes bédouines sont assises au milieu de maisons détruites dans le village bédouin non reconnu d’Umm al-Hiran, dans le désert du Néguev, le 18 janvier 2017. (AFP Photo/Menahem Kahana)

La société civile s’engage face à l’inaction du gouvernement

L’une des principales difficultés rencontrées par les villages bédouins non-reconnus du Neguev en période de guerre, c’est qu’ils ne sont pas couverts par le système du Dôme de fer qui n’intercepte que les roquettes lancées en direction des zones urbaines inscrites sur les cartes, mais qui ne s’active pas lorsque ces tirs se dirigent vers « des zones ouvertes », non peuplées.

Umm al-Hiran, comme c’est le cas également d’autres villages bédouins non-reconnus, est complètement exposé aux tirs de roquette. « Parfois, le Dôme de fer fonctionne ici et parfois, il ne fonctionne pas », commente un bénévole local. Les maisons ne sont pas édifiées en respectant la réglementation israélienne en matière de construction et elles ne sont pas dotées d’une pièce blindée.

L’abri anti-aérien qui a été livré mercredi – il y en aura trois au total qui seront installés dans le village – a été fourni par l’organisation d’aide internationale IsraAID en coopération avec l’Ajeec, une organisation qui réunit Juifs et Arabes du Neguev.

Depuis le début de la guerre, les deux groupes ont livré 31 abris anti-aériens dans 20 villages non-reconnus. Ils prévoient d’en livrer onze de plus, qui viendront s’ajouter à la dizaine d’abris destinés aux crèches qui, jusqu’à présent, sont restées fermées en l’absence de protection face aux tirs de roquette.

Les activistes expliquent que les organisations issues de la société civile fourniront 200 abris au total, mais que ce nombre reste une goutte dans l’océan au vu du manque actuel – il faudrait 11 000 abris anti-aériens de plus dans le pays.

Kher Albaz, président de l’ONG Ajeec-Nisped, dans le village bédouin non-reconnu d’Umm al-Hiran, dans le sud d’Israël, le 7 décembre 2023. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Kher Albaz est le président de l’ONG Ajeec. Jusqu’à il y a quelques années, l’organisation était co-dirigée par Vivian Silver, une résidente d’origine canadienne du kibboutz Beeri, à la frontière avec Gaza, et une activiste qui aura défendu la paix durant toute sa vie. Elle a été assassinée, le 7 octobre, par des terroristes du Hamas alors qu’elle se trouvait dans sa maison. Ce jour-là, des milliers d’hommes armés avaient franchi la frontière et ils avaient semé la désolation dans les communautés du sud du pays et sur le site d’une rave-party, commettant des atrocités. En tout, 1 200 personnes avaient été tuées et 140 personnes avaient été enlevées, retenues en captivité dans la bande de Gaza.

En riposte, Israël a lancé une opération militaire, jurant de renverser le régime du groupe terroriste et d’obtenir la remise en liberté de tous les otages.

Dans un entretien avec le Times of Israel, Albaz évoque l’impact du conflit en cours sur les communautés bédouines, au-delà du seul aspect sécuritaire. « La majorité des Bédouins ont perdu leur travail, le 8 octobre, dans la mesure où ils ont tendance à travailler dans l’agriculture et dans les petites usines du secteur, ou comme chauffeurs – et que les activités économiques de la région se sont complètement arrêtées. Ce sont des familles entières qui se sont retrouvées sans revenu », raconte-t-il.

« De plus, la majorité des écoles ont fermé. Avant la guerre, plus de 40 000 enfants bédouins d’origine défavorisée mangeaient un repas chaud par jour à l’école – le seul repas pour un grand nombre d’entre eux. Maintenant, ils ne l’ont plus. Soudainement, le nombre de familles nécessiteuses a augmenté de manière énorme et cela ne fait qu’empirer », dit-il.

« Nous devons trouver un moyen de soutenir ces familles. Leur donner un colis alimentaire, ça et là, cela ne suffit pas », ajoute-t-il, faisant remarquer que les autorités ont récemment commencé à s’impliquer et à distribuer des coupons alimentaires.

L’organisation IsraAID s’est, elle aussi, mobilisée, offrant des repas aux familles bédouines en partenariat avec l’association World Central Kitchen, dont le siège est à Washington.

Molly Bernstein, administratrice de programme au sein d’IsraAID, explique que l’organisation œuvre d’arrache-pied, depuis deux mois, à soutenir les Bédouins dans le cadre de la guerre en cours dans la mesure où la communauté est considérée comme l’une des plus vulnérables au sein de l’État juif, avec un nombre de victimes qui est disproportionnellement élevé dans le cadre du conflit actuel.

Des ordures non-collectées dans le village bédouin non-reconnu d’Umm al-Hiran, dans le sud d’Israël, le 7 décembre 2023. (Crédit : Gianluca Pacchiani/Times of Israel)

Ilan Amit, co-directeur-général de l’Ajeec, déclare que la guerre est un moment crucial pour préparer sur le terrain un meilleur partenariat entre les communautés juive et arabe d’Israël et pour travailler, ensemble, « au lendemain ».

L’activiste souligne combien, sous certains aspects, il n’y a aucune différence entre une implantation bédouine reconnue ou non-reconnue, dans la mesure où cette reconnaissance juridique ne s’applique qu’aux parcelles de terrain, non aux constructions, ce qui donne « un statut quasiment automatique d’illégalité à toutes les habitations du village », ces dernières n’étant pas conformes aux règles en matière de construction – concernant notamment les normes anti-incendies, les pièces blindées et l’assainissement.

« Ce qui arrive habituellement après l’obtention d’un statut officiel pour les terrains, c’est que les résidents tentent de faire reconnaître de manière rétroactive leurs habitations par l’administration en charge de la planification en fournissant des preuves de leur présence sur une décennie et ce, majoritairement par le biais de photos aériennes », ajoute-t-il.

Dans de rares cas, le gouvernement accepte ces demandes de reconnaissance – mais le plus fréquent reste l’émission d’une ordonnance de démolition de la maison, continue Amit.

« De plus, les villages reconnus ne sont pas automatiquement reliés aux réseaux d’électricité et d’approvisionnement en eau – chaque maison a sa propre réserve d’eau, sa fosse d’aisance, ses panneaux solaires et ses groupes électrogènes. La collecte des ordures n’est pas non plus garantie, comme c’est le cas également des services de santé », poursuit Amit.

Nasser Hadduba, père de 11 enfants qui vit à Abu Talul, une ville bédouine de 2 000 habitants qui a été officiellement reconnue en 2014, estime que les seuls développements positifs, après la reconnaissance de sa localité, a été la construction d’une route digne de ce nom et l’ouverture de deux écoles.

Le gouvernement n’accorde toujours pas de permis de construire et les démolitions ne se sont pas arrêtées, explique Hadduba. Le conseil régional local n’a fourni aucun abri anti-aérien mobile et les enfants souffrent de stress constant face aux incessantes alarmes à la roquette.

Hadduba déclare que sa fille de dix ans a des problèmes de sommeil depuis le début de la guerre. Il s’est tourné vers les services de santé publique pour obtenir de l’aide, en vain, dans la mesure où il n’y a pas suffisamment de personnels pour s’occuper de la petite fille.

« Malheureusement, personne n’a encore répondu à nos inquiétudes », déplore-t-il.

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