Briser les barrières entre laïcs et ultra-orthodoxes
Fondateur d’une yeshiva aux Etats-Unis, le rabbin Berel Wein propose plusieurs idées pour faire régner l'harmonie entre les différents courants du judaïsme en Israël : de nouveaux programmes scolaires, une armée de volontaires et le rapprochement entre les yeshivot et les universités
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Né à Chicago, le rabbin Berel Wein a fait son alyah il y a 17 ans « parce que c’est notre maison ; parce que c’est le seul endroit où vous pouvez vraiment vivre une vie juive ; parce que l’avenir du judaïsme est ici. »
Ancien rabbin de la congrégation de Miami Beach, puis superviseur de la casheroute à la Orthodox Union, il a fondé et dirigé pendant 20 ans la yeshiva Chaare Torah à Monsey (New York), transmettant les rênes à son fils lorsqu’il a émigré en Israël.
Alors qu’l vient d’avoir 80 ans, il est aujourd’hui le rabbin d’une synagogue dans le quartier de Rehavia à Jérusalem, où il s’est installé.
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J’ai souhaité parler avec Wein le mois dernier au moment où la Knesset a fini par adopter une loi visant à assurer un « partage du fardeau national » plus juste – destinée à contraindre les ultra-orthodoxes israéliens à servir dans l’armée, puis à intégrer le marché du travail, avec des sanctions pénales prévues contre les réfractaires.
Loin d’être plébiscitée, même par ses législateurs, la loi apparaît au yeux de beaucoup d’observateurs comme une occasion manquée – une solution imposée peu susceptible de produire le résultat escompté et déjà profondément contestée.
Une des raisons principales de son probable échec, font valoir les détracteurs, est la façon dont le texte a été voté, en dépit de la résistance des dirigeants ultra-orthodoxes et sans véritable consultation avec eux.
Je me suis dit que Wein, un penseur intelligent et atypique, ancien directeur d’une yeshiva aux Etats-Unis qui se définit clairement comme ultra-orthodoxe, aurait quelques idées sur la façon dont nous aurions pu mieux faire. Extraits.
Selon vous, quelle est l’origine de la déconnexion entre les haredim et les laïcs?
La majorité de la communauté haredi n’a pas accepté l’existence de l’Etat d’Israël : cela n’aurait pas dû arriver. Cela ne pouvait pas arriver. Les mauvaises personnes l’ont fait advenir.
Ils continuent de mener des combats du XIXe et du XIXe siècles d’Europe de l’Est, sans prendre en compte la Shoah et d’autres changements qui ont affecté le peuple juif.
Il y a eu une période où c’était un peu différent. Lorsque l’État a été fondé, [le journal ultra-orthodoxe] Hamodia a fait sa une avec un shehecheyanu (bénédiction remerciant Dieu pour ses réalisations) – même s’ils savaient que Ben Gurion n’allait pas porter les tefilines.
Mais la religion est devenue tellement politisée – c’est devenu un combat sur le système scolaire…
Mais le problème de base, encore une fois, c’est que la communauté haredi – sans commune mesure avec le monde arabe – n’a pas accepté l’Etat. Si c’était le cas, les problèmes seraient limités.
Et malgré tout, de bas en haut, l’acceptation commence à se faire. Le Shas [un parti politique ultra-orthodoxe séfarade] a intégré les programmes de base dans ses écoles…
Mais pas les Ashkénazes.
Les Ashkénazes ont tendance à rabaisser les Séfarades. Pourquoi n’y a-t-il pas 15 députés ashkénazes haredim à la Knesset ?
Parce que beaucoup de leurs électeurs ne votent pas pour les haredim. La communauté a grandi, mais pas le nombre de leurs députés.
Trop souvent, les hommes politiques ne servent pas la collectivité. Les rabbins les suivent et non l’inverse. Les politiciens leur fournissent des informations [qui servent leurs propres intérêts].
À ses débuts, ce pays était athée, socialiste et anti- religieux. Il a évolué depuis. Mais les cicatrices continuent d’affecter notre société. Comme l’a dit Nixon, vous avez des raisons de devenir paranoïaque quand le monde entier est contre vous.
À ses débuts, ce pays était athée, socialiste et antireligieux. Il a évolué depuis. Mais les cicatrices continuent d’affecter notre société.
Comme l’a dit Nixon, vous avez des raisons de devenir paranoïaque quand le monde entier est contre vous.
Les députés passent une loi – et vous supposez d’emblée qu’elle vous vise.
Nous avons lutté pendant 150 ans pour simplement manger casher ! [Le maire de Tel Aviv] Ron Huldai veut ouvrir les magasins le shabbat ? Nous ne céderons sur rien. Nous n’enverrons pas une seule personne à l’armée !Nous allons refaire manifester 300 000 personnes.
Dans ce cas, comment voulez-vous régler tous les problèmes, notamment l’armée et les questions liées à l’emploi ?
Les laïcs israéliens doivent mieux accepter la communauté haredi. Je viens de lire un sondage qui montre qu’une grande proportion d’employeurs ne veulent pas embaucher de haredim.
Nous devons changer les programmes dans les écoles ultra-orthodoxes et laïques. Les Israéliens moyens ignorent totalement l’histoire juive, la tradition et la foi. Nous devons nous rencontrer quelque part au milieu.
Nous pouvons le faire. Lapid père [le défunt Yossef (Tommy) Lapid] était antireligieux. [Le chef du parti Yesh Atid Yair] Lapid fils veut se rendre plus aimable.
Il aurait dû rencontrer des [rabbins ultra-orthodoxes influents tels que le défunt chef spirituel du Shas] Ovadia Yossef, le rabbin Gerer ou Rav Shteinman.
En ce qui concerne les yeshivot et l’entrée sur le marché du travail, nous devons inventer un modèle à l’américaine : un jeune homme étudie dans une yeshiva jusqu’à 22-25 ans, puis décide s’il veut faire cela toute sa vie ou sortir voir le monde.
Aux États-Unis, vous pouvez obtenir un diplôme en littérature talmudique, puis étudier le droit ou la médecine.
L’Association des collèges rabbiniques est reconnue par les universités américaines. Elle délivre un diplôme. Ici, l’interaction avec le monde universitaire – obtenir un diplôme, aller à l’Université hébraïque – est un anathème.
Mais la communauté a besoin de cela, elle a besoin de psychologues et de médecins.
Si vous avez étudié le Talmud pendant six ans, vous n’êtes pas un imbécile. Vous vous attelez pendant des heures à la résolution des problèmes.
Vous développez des compétences linguistiques. Des compétences analytiques. En dehors du spirituel. Tout ne tourne pas autour de deux personnes qui se battent sur un bœuf. La plupart des yeshivot sont sérieuses.
Si vous avez étudié le Talmud pendant six ans, vous n’êtes pas un imbécile.
Le Talmud contient de nombreux enseignements sur le monde.
C’est le meilleur guide en psychologie que je connaisse ; il propose un éventail de savoirs. Les diplômés de yeshivot peuvent exceller.
Les haredim veulent entrer sur le marché du travail. Et les hommes politiques haredim savent – ils me le disent en privé – que la situation actuelle est intenable. Si Lapid avait discuté avec les dirigeants haredim, ils auraient pu arriver à quelque chose ensemble.
Comment s’accorder sur l’obligation de faire l’armée ?
D’abord, la plupart des armées du monde sont des armées de volontaires.
Trop peu de gens se porteraient volontaires.
Les gens serviraient. Qu’est-ce que l’armée israélienne aujourd’hui ? 250 000 à
300 000 personnes ? [En réalité, environ 175 000 personnes dans l’armée permanente et 450 000 réservistes]. Vous obtiendriez cela sans problème, surtout si il y avait des incitations.
L’armée israélienne remplit aussi une fonction sociale elle intègre et offre des possibilités …
Elle l’a fait. Je ne suis pas sûr qu’elle le fasse aujourd’hui.
Il ne sert à rien de forcer les haredim à s’engager. L’armée israélienne, même si elle a tenté l’impossible, n’est pas en mesure de répondre aux exigences de leur mode de vie. Et elle ne veut pas de 40 000 haredim.
Les haredim considèrent que l’armée utilise de faux arguments pour les intégrer, ce qui n’est pas ce que l’armée estime faire. Les haredim redoutent aussi qu’on tente de les convertir, ce qui n’est pas l’objectif.
Mais ceux qui s’opposent à l’armée comme une institution non-juive comprennent mal le judaïsme.
Ceux, dans le monde haredi, qui disent que ce sont ls yeshivot qui sauvent et protègent Israël ?
Tout au long de l’histoire juive, de Josué au Second Temple, il y avait une armée. Les Maccabées avaient une armée. Le roi David aussi.
Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes. Dieu nous donne des opportunités.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel