La loi de conscription universelle catalyse les oppositions
Voté la semaine dernière après des années de débats, le texte ne fait que des mécontents, y compris la députée qui l’a supervisé
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Le projet de loi sur la conscription des ultra-orthodoxes voté la semaine dernière à la Knesset est le résultat d’années de débats, de querelles judiciaires et de manœuvres politiques énergiques. Mais en aucun cas, cela ne signifie que le débat sur le sujet est clos.
Le texte final ne fait presque que des mécontents. Les fervents soutiens de la conscription des haredim, après 65 ans d’inégalité, sont déçus du délai de trois ans avant la réelle mise en œuvre de la loi, mi-2017 – un délai suffisant pour que les vents politiques changent de direction et, avec eux, la législation.
Les dirigeants haredim, qui considèrent le service militaire comme un anathème à leur mode de vie religieux, estiment que les sanctions pénales prévues par la loi contre les ultra-orthodoxes réfractaires sont une déclaration de guerre.
Et pendant ce temps, les haredim qui reconnaissent à mots couverts qu’une grande partie de leur communauté voudrait mieux s’intégrer dans la vie publique israélienne, notamment en faisant le service miliaire et en rejoignant le marché du travail, sont frustrés par ce qu’ils perçoivent comme un refus du compromis.
Cela aboutit à un consensus de masse contre la loi, les ultra-orthodoxes s’alliant avec de nombreux partisans de la conscription des haredim pour affirmer que la loi est la pire possible pour les deux camps.
Les étudiants de yehiva bénéficieront d’exemptions totales du service militaire pendant plusieurs années, puis soudainement, en 2017, on leur dira que les exigences de leurs études et de leur mode de vie religieux sont délictueux.
« Il ne fait aucun doute que cette loi est inefficace dans la mise en œuvre de la conscription universelle, qui était pourtant l’un des enjeux des dernières élections », fait remarquer le professeur Yedidia Stern, vice-président de la recherche à l’institut de la démocratie d’Israël et ancien doyen de la faculté de droit de l’université Bar-Ilan.
Stern a été l’un des principaux experts consultés par le comité Shaked qui a élaboré la nouvelle loi.
« Il ne fait aucun doute que cette loi est inefficace dans la mise en œuvre de la conscription universelle, qui était pourtant l’un des enjeux des dernières élections »
Yedidia Stern
Il était aussi membre du comité Plesner, qui avait travaillé sur une autre version du texte lors de la précédente Knesset, et dont les conclusions ont conduit à la chute du gouvernement et à de nouvelles élections.
Le texte final est « inefficace, car il ne commence à fonctionner, de facto, qu’en 2017. Mais il exonère dans l’immédiat le nombre considérable de 50 000 hommes ultra-orthodoxes du service ».
En remplaçant la loi Tal, jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême l’an dernier, la loi annule l’obligation de poursuivre ses études religieuses afin d’éviter la conscription.
Dans le cadre de la nouvelle loi, « tout [homme haredi] qui a aujourd’hui 18 ans, s’il souhaite [rester en yeshiva] jusqu’à [la fin de l’âge limite de conscription] est libéré de toute obligation de faire son service… C’est le contraire de l’égalité. »
Même en 2017, précise Stern, « quand les jeunes de 18 ans en auront 21, seuls 5 200 d’entre eux devront faire leur service », selon le nouveau système de quota prévu par la loi. « Ça ne fait que 5 200 sur un groupe beaucoup plus important d’hommes ultra-orthodoxes. »
L’armée estime que 10 000 jeunes hommes haredim pourront être conscrits d’ici à 2017. D’autres prévisions parlent de 7 000 personnes éligibles pour le service militaire.
Pour l’heure, la nouvelle loi prévoit la conscription en 2017 de 5 200 jeunes sur un potentiel de 60 000 (en incluant les hommes âgés de 18 à 26 ans, l’âge maximum pour être conscrit).
« Et ces 5 200 n’iront pas seulement à l’armée. Certains feront leur service national », note Stern.
D’ici à 2017, la conscription ne concernera tout au plus que 10 % des personnes éligibles, un pourcentage inférieur aux haredim qui quittent la yeshiva et abandonnent les études religieuses.
Même après plusieurs années de fonctionnement, « la loi ne permettra pas d’atteindre l’égalité. En même temps, elle insulte profondément et symboliquement le public haredi, car elle instaure des sanctions pénales en 2017 » pour toute personne cherchant à échapper à la conscription – si les quotas ne sont pas respectés.
« En fait, ces sanctions ne seront pas mises en œuvre, car les objectifs de conscription ne sont pas élevés. Mais la loi énonce désormais que si les haredim ne respectent pas ces objectifs, des gens seront forcés d’abandonner leurs études religieuses et seront envoyés deux ans en prison », explique Stern.
« Une nation bien avisée n’instaure pas une loi qu’elle n’a pas l’intention de mettre en œuvre. Cette loi est un pistolet sans balles, une lettre morte. L’État ne peut pas envoyer des milliers de personnes en prison pour des raisons idéologiques. »
« Une nation bien avisée n’instaure pas une loi qu’elle n’a pas l’intention de mettre en œuvre. Cette loi est un pistolet sans balles, une lettre morte. L’État ne peut pas envoyer des milliers de personnes en prison pour des raisons idéologiques. »
Yedidia Stern
Les inquiétudes de Stern sont partagées par la députée Ayelet Shaked (Habayit Hayehudi), la présidente du comité éponyme, qui a rédigé la loi.
« Yedidia et moi pensons la même chose. Nous pensons que des sanctions pénales produiront l’effet contraire à ce qu’elles visent », confie Shaked au Times of Israel. « Nous avons déjà vu que cela provoquait des dégâts. Je m’y suis opposée et j’ai essayé de convaincre [les membres du comité] pendant sept mois de ne pas inclure cette disposition. »
Shaked continue toutefois d’insister que la loi est « une bonne loi, car elle gère cette question par étapes. Si les haredim respectent les objectifs, il n’y aura pas de conscription forcée. »
C’est aux dirigeants ultra-orthodoxes de décider si la loi conduira à l’intégration ou à la guerre culturelle, ajoute-t-elle.
« Désormais, tout dépend des dirigeants de la communauté haredi », estime Shaked. Si les rabbins ultra-orthodoxes s’opposent au nouveau système pour des raisons de principe, comme le craint Stern, « je pense que ce sera un désastre. S’ils ne le font pas, cela peut réussir. »
Shaked insiste sur le fait que 5 200 conscrits en 2017 n’« est pas un petit nombre. » Cela veut dire que 5 200 personnes seront conscrites sur un groupe de 60 000 la première année.
Mais chaque nouvelle année, 5 200 personnes de plus seront conscrites sur un groupe qui n’augmente que de 9 000 à 10 000 âmes annuellement. « Lorsque les [hommes] haredim [qui ont aujourd’hui] 18 ans en auront 26 [en 2025], la moitié d’entre eux fera soit son service militaire, soit son service civil. »
Les dirigeants ultra-orthodoxes ont toutefois protesté contre une loi qu’ils jugent insultante et inefficace.
« Les haredim représentent un public immense, peut-être des millions de personnes », avance Benny Rabinovich, éditorialiste à Yated Neeman, un journal ultra-orthodoxe affilé au mouvement Yahadut Hatorah, et porte-parole du rabbin centenaire Aharon Leib Shteinman, considéré comme le plus important dirigeant religieux ashkénaze ultra-orthodoxe vivant.
« Dans un groupe aussi large, il y a naturellement de la diversité. Certains sont faits pour les études, d’autres moins. Certains sont modernes, d’autres moins. Des Eda Haredi au Neturei Karta [des groupes haredim radicalement antisionistes] à ce que nous appelons la génération Facebook, la plus moderne, dont certains membres ont même servi dans l’armée – tous sont unis pour défendre le pivot le plus fondamental de la vie haredi : l’étude de la Torah. »
Le monde haredi est prêt au compromis, insiste cependant Rabinovich.
« Dès qu’un [jeune homme] n’étudie pas la Torah et qu’il n’est pas dans la yeshiva, il redevient un citoyen comme les autres. Il n’y a aucun débat là-dessus, et toutes les autorités religieuses, dont le rabbin [Elazar] Shach l’ont dit », affirme Rabinovich.
Rabinovich prend garde de préciser que le problème de la conscription est le même pour ceux qui quittent la yeshiva. « L’armée doit construire un cadre pour intégrer ces gens. Je ne dirai à aucun jeune homme haredi d’aller à l’armée à moins que je sois sûr qu’il trouvera un environnement qui ne le forcera pas à abandonner son mode de vie. »
Les tensions actuelles entre les haredim et le grand public, ajoute-t-il, sont dues au fait que la population laïque « n’accepte tout simplement pas la valeur de l’étude de la Torah comme la valeur essentielle du peuple juif. C’est difficile d’expliquer cela à quelqu’un qui ne le voit pas. Ça l’est vraiment. C’est une question de foi et de mode de vie. »
« Dès qu’un [jeune homme] n’étudie pas la Torah et qu’il n’est pas en yeshiva, il redevient un citoyen comme les autres. Il n’y aucun débat là-dessus, et toutes les autorités religieuses, dont le rabbin [Elazar] Shach l’ont dit »
Benny Rabinovich
Le résultat d’un tel écart culturel est une exigence injuste à l’égard des hommes ultra-orthodoxes.
« Seuls 20 % des conscrits sont des combattants qui affrontent un danger réel », fait remarquer Rabinovich. « Mais les parents de ces combattants ne se plaignent pas des 80 % de soldats qui vont à l’armée à Tel Aviv le matin et reviennent dormir à la maison le soir. Nous demandons à ces gens de comprendre que les étudiants de yeshiva sont comme les 80 %. Étudier en yeshiva n’est pas facile. »
Interrogé sur la manière dont les principaux dirigeants haredim envisagent les développements futurs, Rabinovich suggère que l’armée « devienne une armée professionnelle…C’est une idée que défendait Ofer Shelach lui-même [un ancien journaliste, aujourd’hui député de Yesh Atid] avant d’entrer en politique. Plutôt que de créer une armée professionnelle, payée décemment, [les dirigeants laïcs] veulent faire de l’armée une valeur sacrée pour unir la nation. Mais il y a d’autres valeurs. Sans la Torah, il n’y a pas de raison de se battre pour cet endroit. Ou alors, émigrons tous en Suisse. »
Maintenant que le texte a force de loi, « nous allons être testés », affirme Ayelet Shaked. Les dirigeants haredim choisiront de coopérer, espère-t-elle, tandis que le ministre de l’Économie Naftali Bennett « devra trouver du travail » pour les dizaines de milliers de haredim libérés de la yeshiva.
Mais malgré tous les bénéfices potentiels en cas d’accord des différentes parties, la loi n’encourage pas vraiment une telle coopération, estiment les opposants de tous bords au texte.
Stern résume l’état actuel des débats : « Il n’y a pas un seul spécialiste de la communauté haredi qui pense que cette [loi] soit une bonne idée. Les experts, les sociologues, les juristes, les journalistes… tous disent que ce n’est pas une solution. »