Comment un ancien nazi est devenu une star du foot grâce aussi à un… rabbin
Le docu-fiction "The Keeper" raconte l'histoire vraie - et étonnante - du parcours de Bert Trautmann, ancien soldat allemand devenu gardien de but de Manchester City
- David Kross joue Bert Trautmann dans “The Keeper” (Crédit : Jürgen Olczyk/Menemsha Films)
- Photo du 5 mai 1956 tirée des dossiers de Bernd Trautmann, plus connu sous le nom de Bert, gardien de but de Manchester City né en Allemagne, au centre, assisté depuis le terrain par deux joueurs non identifiés, souffrant d'une fracture du cou, lors de la finale de la FA Cup contre Birmingham, au stade de Wembley à Londres. (Crédit photo : AP/PA, Dossier)
- David Kross dans le rôle de Bert Trautmann et Freya Mavor dans celui de Margaret Trautmann dans "The Keeper" (Jürgen Olczyk/Menemsha Films)
- Bert Trautmann (joué par David Kross), dans un match de football dans le camp de prisonniers de guerre de Lancashire, en Angleterre, en 1947 dans "The Keeper". (Jürgen Olczyk/Menemsha Films)
- David Kross dans le rôle de Bert Trautmann dans "The Keeper" (Jürgen Olczyk/Menemsha Films)
Le rabbin juif allemand et réfugié Alexander Altmann était un érudit respecté qui avait été rabbin d’une communauté de Manchester, en Angleterre, de 1938 à 1959. Mais s’il avait été un éminent spécialiste de Moses Mendelsohnn, philosophe juif allemand, les supporters de football anglais se souviennent de lui, pour leur part, pour une raison très différente : Une lettre ouverte qu’il avait été écrite dans le Manchester Evening News au mois d’octobre 1949.
A l’époque, environ 20 000 fans de football avaient protesté contre la nomination d’un ancien prisonnier de guerre allemand, Bert Trautmann, au poste de nouveau gardien de but du club de football de Manchester City. Alors que le ressentiment contre les Allemands était encore fort dans ces années d’après-guerre, les supporters de ce club de Premier League (et en particulier les Juifs) n’avaient guère été favorables à l’arrivée au sein de la formation sportive d’un ancien nazi – indépendamment de son talent.
Altmann avait perdu ses parents et d’autres membres de sa famille pendant la Shoah, mais il avait déclaré accepter Trautmann et il avait encouragé les autres à le faire.
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« Chaque membre de la communauté juive a le droit d’avoir son opinion – mais il n’y a pas d’effort concerté visant à mettre un terme au soutien que nous apportons au club de football de Manchester City… Si ce gardien de but est, comme on le dit, un homme digne de l’être, j’ai envie de dire que rien ne devrait l’empêcher à jouer au football. Chacun doit être jugé au vu de ses propres mérites », avait écrit Altmann dans cette lettre qui avait fait date.

Cette capacité d’Altmann à pardonner – mais non à oublier – est une scène essentielle de « The Keeper », film de fiction consacré à l’histoire de Trautmann.
Le réalisateur et coscénariste du film, Marcus H. Rosenmüller, 47 ans, n’avait jamais entendu parler de Trautmann ou d’Altmann avant que son partenaire de production ne lui présente l’histoire.
« J’ai joué au foot à partir de l’âge de cinq ans et jusqu’à 42 ans. J’étais un joueur amateur moyen, et puis un jour, mes genoux n’ont plus supporté… J’ai été vraiment surpris de ne jamais avoir entendu parler de Trautmann, particulièrement dans la mesure où j’étais fortement investi dans ce sport et que j’ai beaucoup lu là-dessus », explique Rosenmüller lors d’un entretien téléphonique accordé depuis le nord de la Bavière, où il tourne actuellement un film.

David Kross, qui prête ses traits à Trautmann dans « The Keeper », ignorait également tout de Trautmann alors qu’il a joué au football, pendant toute son enfance, près de Hambourg.
« Mais quand on est entré en contact avec moi pour le film, j’ai lu les biographies qui existent à son sujet et son parcours, d’une enfance passée dans l’Allemagne nazie jusqu’à la légende du sport qu’il est devenu au Royaume-Uni et tout cela m’a semblé avoir l’étoffe d’un film intéressant », a déclaré Kross depuis son habitation de Hambourg où il s’est récemment installé après avoir quitté Berlin.
La réputation de Trautmann, en tant que « légende vivante », considéré comme l’un des plus grands gardiens de but de tous les temps, s’était ancrée au cours des dernières 17 minutes de la FA Cup où il avait continué à jouer avec une fracture de la nuque pour s’assurer que Manchester conserve sa domination jusqu’à la victoire.
Kross, 30 ans a déclaré avoir lu de nombreuses versions du script lors des quelques années qui se sont déroulées avant le début du tournage à Munich et à Belfast, en Irlande du nord, en 2017. Les scènes des années passées par Trautmann au sein des Jeunesses hitlériennes et son service à la Luftwaffe, où il était parachutiste, avaient figuré dans des premières esquisses du scénario mais elles n’ont finalement pas été inclues dans la version finale.

Finalement, la décision a été prise de se concentrer principalement sur l’histoire d’amour qui avait uni Trautmann et son épouse Margaret Friar (Freya Mavor), qu’il avait rencontrée en 1947 lorsque le père de cette dernière – qui était entraîneur d’une équipe locale – l’avait découvert jouant au football avec d’autres détenus dans un camp de prisonniers de guerre de Lancashire. Jack Friar (John Henshaw) n’était guère enthousiasmé à l’idée de prendre un Allemand sous son aile – mais il désespérait de pouvoir remplacer un gardien de but incompétent par un autre qui saurait apporter la victoire à son équipe.
Le film retrace l’avancée de la relation du jeune couple, en parallèle à la reconstruction de Trautmann, qui refusera une offre de rapatriement. Il suit aussi ses progrès sportifs, qui lui permettent de passer d’une équipe locale à Manchester City après avoir été remarqué par l’entraîneur du club, Jock Thompson (Gary Lewis). Trautmann était finalement devenu un joueur exemplaire – il avait été désigné footballeur de l’année 1955-1956 – et il avait été reconnu par les gouvernements britannique et allemand pour son travail de promotion des liens entre les deux pays.

Dans ce qui est assurément une version romancée des événements, le film montre Margaret se dresser face à un groupe de supporters de Manchester City et des responsables opposés à l’arrivée de son mari dans l’équipe. Dans cette scène, le rabbin – qui, auparavant, avait dit au propriétaire du club qu’il comprenait l’appel au boycott des fans – change soudainement d’avis. Il écrira en conséquence la lettre ouverte.
« On ne peut pas tenir un seul homme pour responsable de tout ce qui est arrivé… Je ne le connaissais pas en tant que soldat. Je ne le connais qu’en tant qu’homme… Vous vous liguez tous pour briser un homme déjà cassé de l’intérieur au lieu de l’aider à se construire un avenir – parce que c’est plus facile que d’accorder le pardon. Vous savez, vous n’êtes pas meilleurs que ceux que vous accusez », s’exclame Margaret.
La relation entre Trautmann et son épouse devait être mise à l’épreuve peu après la victoire en FA Cup et la blessure de Trautmann, lorsque leur fils avait été tué dans un accident.

« The Keeper » montre Trautmann tenter de faire face à son chagrin en se persuadant que le décès de son fils est un retour de bâton pour son inaction durant les massacres perpétrés par les forces allemandes en Ukraine, dont il a été témoin. Dans le film, cette réflexion est symboliquement dépeinte par le biais des apparitions lancinantes d’un petit enfant tué par l’un des camarades de Trautmann, alors que ce dernier regardait sans réagir.
Rosenmüller a raconté que lorsqu’il avait rencontré Trautmann, une personnalité aimable et charismatique, dans son habitation espagnole en 2012, ce dernier avait admis avoir entendu des tirs dans une forêt ukrainienne où 40 à 50 Juifs avaient été assassinés en 1941. Il n’était pas intervenu et avait gardé le silence.
Le réalisateur avait déclaré que le footballeur à la retraite, qui devait mourir un an plus tard, à l’âge de 89 ans, avait répété de manière obstinée qu’en tant que soldat ayant subi un lavage de cerveau de la part du régime de Hitler, il n’avait eu d’autre choix que d’obtempérer.
« Une enfance passée dans l’Allemagne de Hitler, c’était ne plus être capable d’avoir une pensée bien à vous », avait confié Trautmann au Guardian en 2010.
Commentant la raison pour laquelle il s’était porté volontaire à la Luftwaffe – il avait alors 17 ans – il avait indiqué que « quand vous êtes un jeune homme, la guerre, c’est comme une aventure. Ensuite, quand vous êtes impliqué dans les combats, c’est très différent : Vous assistez à toutes les choses horribles de la guerre, la mort, les corps, la peur. Il n’est plus possible de se contrôler. Votre corps tout entier tremble ».
Trautmann avait expliqué à Rosenmüller que sa seconde vie avait commencé au camp de prisonniers de guerre.
« Il a dit qu’il savait qu’il avait échoué moralement pendant la guerre », a noté le réalisateur.
Tony Kushner, professeur de relations juives/non-juives à l’université de Southampton et fan de Manchester City depuis qu’il est enfant, estime dans une conversation avec le Times of Israel que les agissements de Trautmann, pendant la guerre – et notamment le fait qu’il ait été personnellement responsable de crime de guerre – n’ont pas été encore pleinement établis.

Bien que des biographies de Trautmann ont été publiées au fil des ans, plus récemment en 2009 et 2011, Kushner a déclaré qu’il serait possible pour un historien chevronné de fouiller dans les archives nazies et autres archives de guerre pour suivre Trautmann avec plus de précision pendant ses trois années de combat sur le front de l’Est, ainsi que l’année où il a combattu en France avant sa capture par les forces alliées.
Il est établi dès le début du film que Trautmann a reçu la Croix de fer et d’autres médailles pour sa bravoure, mais le fait qu’il ait été membre du parti nazi (ce qu’il était) reste ambigu. Dans la vie réelle, il y avait suffisamment de preuves contre Trautmann pour le classer initialement comme « noir » (un nazi impénitent) dans le camp de prisonniers de guerre.
Quant à la raison pour laquelle Altmann serait prêt à écrire sa lettre influente pour soutenir Trautmann, Kushner a déclaré qu’il pensait qu’elle reflétait la personnalité et la nature généreuse du rabbin. Ce geste était également conforme à l’époque, durant laquelle l’accent était mis sur la nécessité d’aller au-delà de la guerre et de contrer la menace communiste qui pesait sur l’Europe. En outre, les Juifs essayaient de détourner les accusations de double loyauté à la suite de la création d’Israël un an et demi plus tôt.

Les créateurs de « The Keeper » ont décidé de présenter l’histoire de Trautmann telle qu’elle se serait déroulée à l’époque. À la fin des années 1940, on ne savait pas grand-chose, voire rien du tout, sur les états de service de Trautmann pendant la guerre. On en sait plus aujourd’hui, et si l’intuition de Kushner est correcte, on pourrait en découvrir d’autres.
Cependant, en créant « The Keeper », Rosenmüller n’aspirait pas nécessairement à révéler la vérité sur le passé de guerre de Trautmann – quelle qu’elle soit.
« Je ne sais pas si Trautmann nous a menti lorsque nous lui avons parlé », a déclaré le réalisateur.
Rosenmüller était plus intéressé par l’arc de la remarquable histoire de la vie de Trautmann. Le geste du rabbin Altmann était un exemple, petit mais important, du processus de « vérité et de réconciliation » qui, selon lui, aurait dû – mais n’a pas eu lieu en Allemagne dans les décennies de l’immédiat après-guerre.
« The Keeper » se termine par une scène montrant Trautmann et Altmann se serrant la main après que Trautmann a accepté son passé après la mort de son fils.
« Cette rencontre est une chose que j’ai inventée pour le film. Elle n’a pas vraiment eu lieu. Je voulais montrer que Trautmann a eu une seconde chance grâce au rabbin », a déclaré Rosenmüller.
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