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Interview

Comment un Juif britannique du 19e siècle est devenu un chef zoulou et un seigneur de guerre esclavagiste

Dans son nouveau livre The Jew Who Would Be King, l'historien Adam Rovner raconte l'histoire de Nathaniel Isaacs, rescapé d’un naufrage devenu riche, aventurier et corrumpu

Détail d'une illustration de journal représentant la colonie de Nathaniel Isaacs à Matakong. (Crédit : Adam Rovner)
Détail d'une illustration de journal représentant la colonie de Nathaniel Isaacs à Matakong. (Crédit : Adam Rovner)

La vie de Nathaniel Isaacs a défié toutes les conventions. Cet Anglais juif blanc, ayant grandi au début du 19e siècle, passa une grande partie de sa carrière en Afrique, aux confins de l’Empire britannique. En Afrique du Sud, il gagna la confiance du célèbre chef autochtone Shaka Zulu, qui fit de lui un chef tribal tout en menant des guerres sanglantes contre d’autres tribus.

Plus tard, en tant qu’agent britannique en Afrique de l’Ouest, Isaacs négocia des traités avec des chefs locaux pour mettre fin à la traite des esclaves — mais il finit par devenir lui-même un chef de guerre esclavagiste.

L’historien Adam Rovner retrace cette vie mouvementée dans son nouveau livre, The Jew Who Would Be King: A True Story of Shipwreck, Survival, and Scandal in Victorian Africa (Le Juif qui serait roi : Une histoire vraie de naufrage, de survie et de scandale dans l’Afrique victorienne), publié par University of California Press le 15 avril.

Au début de sa carrière, « Isaacs jouait le rôle d’un Joseph – une sorte de conseiller auprès du roi Shaka », explique Rovner au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique.

« Plus tard, en Afrique de l’Ouest, il est devenu une sorte de Pharaon, un maître entêté retenant des personnes contre leur volonté. »

Mais « ce n’est pas exactement une histoire de Pessah », précise Rovner, qui dirige un centre d’études juives à l’université de Denver, où il enseigne également l’anglais.

« Il n’a pas entrepris d’exode. C’était un exil volontaire. Le seul moyen pour lui de s’en sortir en tant que Juif pauvre de la classe ouvrière dans l’Angleterre géorgienne était de se rendre aux marges de l’empire et de tenter de se faire un nom avec ce qu’il avait : son courage et sa capacité à déjouer ceux qui voulaient sa perte. »

Lorsque l’auteur a découvert cette histoire, il ne connaissait même pas le nom de son protagoniste. Il est tombé dessus alors qu’il effectuait des recherches pour un livre précédent, In the Shadow of Zion: Promised Lands Before Zion. Une source primaire s’est révélée étonnamment intrigante : Un discours du dramaturge britannique Israel Zangwill, actif à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Zangwill – surtout connu pour avoir popularisé le terme « melting-pot » dans sa pièce éponyme – expliquait que les Juifs avaient autant droit qu’un autre peuple à une patrie. Dans son plaidoyer, il mentionnait brièvement un roi zoulou juif, sans en révéler le nom. Cette référence attisa la curiosité de Rovner et l’incita à entreprendre des recherches en ligne.

« [Isaacs] avait fait l’objet de quelques articles sommaires et d’un livre généalogique publié à compte d’auteur », explique Rovner. « C’était une bonne histoire et j’ai commencé à faire des recherches. » Comme l’auteur allait le découvrir, « Isaacs était bien plus que le fait improbable qu’il était un chef zoulou ».

Un projet de recherche aux confins du monde

L’enquête autour de cette histoire a conduit Rovner bien loin de son domicile du Colorado.

Il a fait travailler les services des douanes en visitant de nombreuses destinations internationales liées à la trajectoire d’Isaacs : l’Angleterre, l’Afrique du Sud, la Sierra Leone… et même l’île de Sainte-Hélène, où Napoléon vivait en exil au moment même où un jeune Britannique — Nathaniel Isaacs — s’y rendait pour apprendre le commerce auprès d’un oncle dans le secteur de l’import-export. L’auteur a mené des recherches approfondies dans les archives, notamment au Cap, à Sainte-Hélène et à Freetown, la capitale de la Sierra Leone.

« Je ne me contente pas de consulter des documents d’archives », explique Rovner.
« J’accorde autant d’importance à ce que j’appelle ‘l’archive des pieds’ – parcourir les mêmes terres, visiter les mêmes lieux, peut-être croiser les descendants de ceux qui vivaient à l’époque d’Isaacs. C’est ainsi que l’histoire prend toute sa dimension. »

C’est dans cet esprit qu’il s’est rendu sur l’île isolée de Matakong, au large de la Guinée. C’est là, loin des yeux des Britanniques, qu’Isaacs est devenu un chef de guerre, détenant des esclaves – et, selon l’auteur, faisant peut-être aussi du commerce d’esclaves. Une tentative du gouvernement britannique de poursuivre Isaacs pour détention d’esclaves a finalement échoué.

Comme on peut s’y attendre, la narration de la vie d’Isaacs a posé de nombreux défis à l’auteur.

L’auteur et historien Adam Rovner sur la tombe de Nathaniel Isaacs à Canterbury, au Royaume-Uni. (Crédit : Autorisation)

« Il s’agit d’une histoire non rédemptrice », explique Adam Rovner. « Il commence par admirer la culture zouloue et exprime son opposition à la traite des esclaves dans des mémoires en plusieurs volumes. « Plus tard, il est lentement, lentement aspiré par le trafic d’esclaves ».

La question épineuse d’un Juif blanc détenant des esclaves noirs se pose. L’histoire des Juifs dans la traite des esclaves a été controversée au fil des décennies en raison des affirmations controversées et contestées sur l’étendue du rôle des Juifs dans cette traite.

« Il est évident que des Juifs ont participé à la traite des esclaves », explique Rovner. « Ils n’étaient pas les principaux acteurs », bien qu’ils aient bénéficié d’un « surplus de visibilité ».

Et, ajoute-t-il, Isaacs aurait pu être un cas à part – contrairement aux précédents Juifs esclavagistes de l’Empire britannique, il a conservé des esclaves après que l’Angleterre eut aboli le commerce des esclaves en 1833 : « Nous avons là quelqu’un qui travaille aux frontières de l’empire, qui subvertit les intérêts britanniques… Je ne pense pas que ce soit le reflet de son judaïsme. Ceux qui pensent que c’est le cas devraient se demander s’ils ne sont pas en train de créer des stéréotypes antisémites ».

La haine la plus ancienne façonne et suit le Zoulou juif

Le livre explore le rôle de l’antisémitisme dans la vie d’Isaacs. Il est né en 1808 à Canterbury. Le nom de cette ville, inextricablement lié à un archevêque, comptait également une importante population juive au début du 19e siècle.

Si son père n’apparaît plus dans les archives historiques dès le début de sa vie, Isaacs était proche de sa mère et a reçu une sorte d’éducation juive dans un pays où les Juifs étaient peu nombreux mais où l’antisémitisme revêtait de multiples formes : une forme grossière alimentée par des stéréotypes folkloriques et une forme prétendument plus distinguée que la classe terrienne aurait utilisée pour exclure les Juifs des droits légaux dont jouissaient les autres Britanniques.

Le siège de Solomon and Co, l’entreprise appartenant à l’oncle de Nathaniel Isaacs et dans laquelle il travaillait, à Jamestown, Sainte-Hélène. (Crédit : Adam Rovner)

L’antisémitisme a suivi la famille Isaacs à Sainte-Hélène. Bien que les oncles de Nathaniel aillent à l’église, ils le faisaient probablement parce que c’était obligatoire, et même cela ne les a pas épargnés de l’ire antisémite locale. Les habitants n’apprécient pas non plus que son frère Lewis Solomon et lui soient devenus les confidents de Napoléon emprisonné.

Après trois ans passés à Sainte-Hélène, Isaacs se lie d’amitié avec un ambitieux capitaine canadien, James Saunders King, qui l’invite à tenter sa chance en Afrique du Sud. King et Isaacs réussissent à atteindre Le Cap, mais un voyage ultérieur à Port Natal – à la recherche d’un des camarades perdus de King qui avait été chargé de créer un poste de traite – se termine par un naufrage. King, Isaacs et les autres membres de l’équipage survivent, notamment grâce à l’accueil hospitalier des Zoulous. Ils apprennent que les membres de la précédente expédition visant à créer un comptoir commercial sont bien vivants. Shaka demande à rencontrer les nouveaux arrivants blancs. Parmi eux, Isaacs apporte au chef zoulou une énorme réserve d’ivoire.

« Pour les Zoulous, le fait qu’Isaacs soit juif, qu’il n’ait pas le bon pedigree… ne signifiait rien », explique Rovner. « En ce sens, les Zoulous étaient bien plus égaux que la société britannique ».

Une existence sanglante

Le livre décrit les atrocités commises par les Zoulous à l’encontre d’autres tribus et au sein de leur propre population.

Isaacs s’est fait connaître des Zoulous en participant à une attaque meurtrière contre une autre tribu, au cours de laquelle il a été blessé au dos. En conséquence, Shaka conféra un « nom de louange » ou un titre honorifique à Isaacs, qui reçut plus tard une chefferie, accompagnée d’une parcelle de terre.

Les vestiges de la jetée Matakong de Nathaniel Isaacs. (Crédit : Adam Rovner)

« Il tente d’intéresser les Britanniques au territoire qui lui a été octroyé », explique Adam Rovner. « Les Britanniques n’étaient pas intéressés par le fait qu’un adolescent juif, sans statut social ni éducation, développe l’empire ».

Lorsqu’Isaacs quitte l’Afrique du Sud, il a déjà eu des enfants avec une Africaine. À son retour en Angleterre, il avait une haute opinion de Shaka, et les descriptions élogieuses du chef zoulou dans l’autobiographie d’Isaacs auraient donné naissance à une représentation plus mythique des prouesses militaires de Shaka, un mythe qui s’est ensuite propagé dans les romans à succès de H. Rider Haggard.

Croquis de Shaka Zulu attribué à James Saunders King, paru dans le livre de Nathaniel Isaacs « Travels and Adventures in Eastern Africa » (Voyages et aventures en Afrique de l’Est). (Domaine public)

Le deuxième acte de la vie d’Isaacs commence par une nouvelle aventure commerciale en Afrique. Ses relations avec les rois locaux sont si fructueuses que le gouvernement britannique le recrute pour conclure un autre type de marché : en échange de produits britanniques, les souverains locaux mettent fin à la traite des esclaves. Rovner a documenté neuf traités de ce type conclus par Isaacs.

The Jew Who Would Be King, par Adam Rovner. (Crédit : Authorisation)

Finalement, Isaacs est devenu suffisamment riche pour acheter l’île de Matakong, dont il a modernisé le port et formé une armée privée.

« Malheureusement, il semble que le pouvoir lui soit monté à la tête », explique Adam Rovner. « Il a été corrompu. Il s’est retrouvé à détenir des esclaves, voire à en faire le commerce.

« L’esclavage domestique a longtemps été pratiqué en Afrique de l’Ouest par diverses cultures, civilisations et groupes », ajoute-t-il. « Il semble qu’Isaacs ait en quelque sorte utilisé [la pratique locale de] l’esclavage domestique comme excuse pour maintenir les gens en esclavage.

En Afrique de l’Ouest, Isaacs a eu deux autres enfants, un fils et une fille, avec Mary Ann Lightbourn, une femme d’origine mixte européenne et africaine dont la famille était liée à la traite des esclaves. Après la fin de leur relation, Isaacs a entamé une nouvelle relation avec une autre femme d’origine européenne et africaine, Hannah Hayes, qui, selon Rovner, aurait pu le convaincre de devenir lui-même trafiquant d’esclaves.

« On pourrait l’interpréter comme une sorte de situation à la Macbeth, la femme étant Lady Macbeth », explique Rovner. « Il s’agissait avant tout d’un homme d’affaires très avisé. Il a probablement vu qu’il pouvait gagner de l’argent et s’enrichir en s’occupant d’âmes humaines ».

Lorsque l’une des filles d’Isaacs est devenue une jeune adulte, elle l’a accompagné à Liverpool, où la sœur et le beau-frère d’Isaacs étaient actifs au sein de la communauté juive locale. La fille d’Isaacs a épousé un immigrant irlandais dont Rovner suppose qu’il n’était pas juif. Pourtant, note Rovner, même jusqu’à la mort d’Isaacs en 1872, il a maintenu des liens avec le judaïsme.

« Sa fille et son gendre ont transporté son corps jusqu’au vieux cimetière juif de Canterbury. « Il a été enterré à côté de sa mère… Il se considérait, à la base, comme juif. Son identité juive signifiait clairement quelque chose pour lui – peut-être sentimentalement ».

The Jew Who Would Be King: A True Story of Shipwreck, Survival, and Scandal in Victorian Africa, par Adam Laurence Rovner.

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