Contre les Houthis, Israël a besoin de partenaires pour vaincre cet ennemi lointain
Après des centaines de missiles tirés sur Israël, le Premier ministre affirme que les rebelles yéménites connaîtront le même sort que le Hamas et le Hezbollah ; jusqu'à présent, les campagnes saoudiennes et américaines n'ont pas dissuadé la force soutenue par l'Iran
Ces douze derniers mois, Israël a méthodiquement – et parfois de manière pour le moins spectaculaire – martelé l’Iran et ses alliés régionaux, en parvenant à couper les tentacules de la mythique « pieuvre terroriste » – formule maladroite que l’on doit à l’ex-Premier ministre Naftali Bennett.
La force armée du Hamas n’est plus que l’ombre de celle qui a violé la frontière israélienne, le 7 octobre 2023. Après avoir perdu sa direction et une grande partie de son arsenal, le Hezbollah a jeté l’éponge au Liban : il a accepté le cessez-le-feu et renoncé à attaquer Israël jusqu’à ce qu’il se retire de Gaza.
Le régime d’Assad en Syrie, principale plaque tournante du réseau iranien, s’est effondré en l’espace de quelques jours sous les coups des insurgés sur les bastions du sud du pays, enhardis par les succès remportés par Israël contre Téhéran et ses mandataires.
Et ce lundi, ce sont les milices chiites d’Irak qui auraient décidé de ne plus attaquer Israël.
Pour autant, un allié lointain de l’Iran demeure obstinément en première ligne des combats.
Tôt dans la journée de mercredi, les rebelles houthis du Yémen ont tiré un nouveau missile balistique sur Israël, le quatrième en moins d’une semaine, toujours la nuit, et le cinquième contre le centre d’Israël depuis le 16 décembre dernier.
Ces douze derniers mois, depuis le début de leur campagne contre Israël, les Houthis ont tiré pas moins de 200 missiles et 170 drones sur Israël.
Les autorités israéliennes se disent prêtes à faire face à cette menace.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a d’ailleurs fait savoir qu’Israël agirait contre les Houthis avec la même force que contre les autres « armes terroristes » de l’Iran.
Israël s’en prendra sous peu aux autorités houthies, a assuré mardi le ministre de la Défense, Israel Katz.
« Les Houthis commettent une grosse erreur en s’en prenant à Israël », a confié au Times of Israel un membre des autorités israéliennes.
« Désormais, avec le cessez-le-feu au Liban et des combats moins intenses à Gaza », a-t-il poursuivi, « nous avons tout le loisir de reporter notre attention et nos ressources sur le front yéménite, le front houthi. C’est ce que nous faisons depuis quelques jours, en coopération avec nos alliés, États-Unis en tête : le moment venu, nous nous ferons en sorte que les forces houthies paient pour ce qu’elles ont fait. »
Ces menaces ne sont en rien des promesses en l’air. Après l’attaque houthie sur une école de Ramat Gan, la semaine dernière, l’armée israélienne a mené des frappes aériennes intenses contre des cibles houthies. Selon des sources proches des autorités militaires israéliennes, ces frappes destinées à paralyser les trois ports utilisés par le groupe terroriste ont pris pour cibles des dépôts de carburant, des centrales électriques et des remorqueurs utilisés dans les ports contrôlés par les Houthis.
Pourtant, les Houthis, également connus sous le nom d’Ansar Allah, continuent de tirer.
Israël devra faire davantage que mener des frappes aériennes sporadiques. Il fait en effet face à un ennemi déterminé et résistant aux bombardements. Ce n’est qu’en agissant dans le cadre d’une coalition américano-arabe plus musclée contre les Houthis qu’Israël fera effectivement face à cette menace – ce qui pourrait avoir pour effet de le rapprocher de ses alliés naturels dans la région.
Une popularité retrouvée
Les Houthis ont de nombreuses raisons de continuer à tirer.
La violence envers Israël et les États-Unis est au cœur-même de l’idéologie houthie. Comme le dit le slogan du groupe : « Dieu est le plus grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, maudits soient les Juifs, victoire pour l’islam ».
Au-delà des tirs sur Israël, l’organisation soutenue par l’Iran a par ailleurs tiré des missiles et des drones sur une centaine de navires marchands en mer Rouge, ce qui a contraint nombre de compagnies de transport maritime à se dérouter afin d’éviter cette voie navigable clé et a paralysé le transport maritime mondial.
Avec ces attaques, les Houthis gagnent en notoriété au sein de l’axe iranien et du monde musulman au sens large.
« Le Hezbollah a accepté le cessez-le-feu », explique Danny Citrinowicz, chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale. « Les milices irakiennes n’attaquent pour ainsi dire plus. Les Iraniens hésitent à riposter : les Houthis sont quelque part les seuls à continuer à faire vivre la ‘résistance’. »
Quasiment inconnus il y a de cela 15 ans, les Houthis sont passés du statut de groupe tribal pauvre, dans le désert, à celui d’avant-garde de la lutte contre Israël, avec à la clef une popularité sans précédent au sein du monde musulman.
Des motifs intérieurs des plus pressants expliquent aussi que les Houthis tirent sur Israël. Le pays est en proie à la plus importante crise humanitaire au monde : 80% de sa population dépend en effet pour vivre de l’aide humanitaire, expliquent les Nations unies. Près de la moitié des enfants yéménites de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance allant de modéré à sévère.
« Le fait d’être en conflit constant a pour effet de renforcer la cohésion nationale », estime Wolf-Christian Paes, chercheur principal à l’Institut international d’études stratégiques, « parce que les gens posent moins de questions sur les services offerts à la population ou l’économie en temps de guerre. »
Les attaques des Houthis en mer Rouge sont beaucoup plus connues que le groupe lui-même. Selon un sondage réalisé en octobre, seules 8 % des personnes interrogées dans les zones contrôlées par les Houthis avaient une opinion favorable du groupe et 35 % approuvaient les attaques.
Pas vraiment un mandataire
S’il est indéniable que leur animosité envers Israël et l’Occident s’aligne parfaitement sur la vision du monde de l’Iran, les Houthis ne sont pas des mandataires comme le Hezbollah ou les milices chiites en Irak.
« Ils estiment faire partie de l’Axe de la résistance », analyse Paes. « Mais cela ne veut pas pour autant dire qu’ils prennent leurs ordres de Téhéran. »
Contrairement à d’autres mandataires, ils ne dépendent pas de l’Iran pour obtenir des fonds, qu’ils se procurent par l’impôt ainsi que par des réseaux de contrebande. De surcroît, les Houthis sont fidèles à une forme de l’islam chiite différente du modèle iranien et prennent des décisions indépendamment de l’Iran et de ses Gardiens de la révolution. En 2014, par exemple, l’Iran aurait conseillé aux Houthis de ne pas s’emparer de Sanaa, la capitale – conseil que le groupe avait totalement ignoré.
Les relations entre l’Iran et les Houthis ont pris de l’ampleur en 2011, lorsque ces derniers ont conduit le mouvement révolutionnaire qui a renversé Ali Abdallah Saleh, président yéménite pro-saoudien. Lorsque les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite – rivaux de Téhéran – ont fait la guerre aux Houthis en 2015, l’Iran a fait livrer au groupe des drones et des missiles perfectionnés.
En février dernier, le Commandement central des États-Unis a annoncé l’interception par la Garde côtière d’un navire iranien destiné aux Houthis contenant « entre autres, des composants de missiles balistiques à moyenne portée, des explosifs, des composants de moyens sous-marins et de surface sans pilote, des équipements de communication et réseau de niveau militaire, des systèmes lanceurs de missiles guidés antichars ».
Les récents succès remportés par Israël pourraient bien rapprocher davantage les deux parties en présence.
La relation « va se resserrer maintenant que le Hezbollah s’est retiré du jeu et qu’Assad a perdu le pouvoir », estime Kenneth Katzman, chercheur principal au Centre Soufan. « Les Houthis sont pour ainsi dire tout ce qu’il reste de la stratégie iranienne de l’axe de la résistance. »
Par ailleurs, il est possible que l’affaiblissement de l’axe iranien renforce et favorise l’indépendance du mouvement houthi.
« Si demain il y avait, par exemple, un changement de régime à Téhéran ou si le gouvernement de Téhéran décidait de tout arrêter, les Houthis ne feraient peut-être pas de même », poursuit Paes.
Des demi-mesures
Face à de puissants ennemis, les Houthis ont fait preuve d’une grande résistance. A l’instar de l’Afghanistan, le Yémen est caractérisé par un relief montagneux qui s’avère un atout précieux pour les groupes de guérilla confrontés à des attaques aériennes. Et au fil du temps, ils se sont habitués et adaptés aux campagnes aériennes.
Les Saoudiens ont dirigé la coalition sunnite qui a bombardé les Houthis en 2015 et déployé de dizaines de milliers de soldats au sol, sans parvenir à les déloger de la capitale ni à assurer le retour sur la scène du chef préféré de cette coalition.
En janvier dernier, les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé l’opération Poséidon Archer contre les Houthis. Mais, estime Brian Carter, membre de l’American Enterprise Institute, « ces demi-mesures réactives n’ont pas eu d’effets décisifs ni dégradé de manière significative les capacités militaires des Houthis ».
« Les Houthis ne se laissent pas décourager et ils ont recueilli des informations importantes sur le fonctionnement des défenses américaines contre leurs attaques », ajoute-t-il.
« Est-ce que cela a arrêté les Houthis ? Non », a déclaré le président américain Joe Biden au sujet de ces frappes aériennes. « Vont-ils continuer ? Oui. »
Les Houthis fabriquent leurs armes dans la clandestinité et bénéficient toujours d’un accès aux ports, et donc aux livraisons d’armes.
Les attaques menées par les États-Unis « n’ont absolument pas éliminé les dirigeants », assure Citrinowicz. « Elles n’ont pas touché à la mission iranienne au Yémen, pas plus qu’au au chef d’État-major ou à aucun des hauts responsables. »
Israël peut-il faire mieux ?
Si les Saoudiens et les Émirats arabes unis, et plus récemment les États-Unis et le Royaume-Uni, n’ont pas réussi à arrêter les attaques des Houthis, pourquoi Israël pourrait-il s’attendre à de meilleurs résultats ?
Même si les autorités israéliennes montrent à qui veut les voir les images du port de Hodeida en flammes après les opérations militaires israéliennes, ce ne sont pas des frappes aériennes sporadiques qui vont faire peur aux Houthis. Cela pourrait même avoir pour effet de les renforcer dans la région.
Pour réussir, Israël ne pourra pas faire cavalier seul, comme il l’a fait dans les pays voisins de Gaza et du Liban. Il devra discrètement rejoindre ou diriger une coalition renouvelée et agressive contre les Houthis.
« Il faut faire une pause », estime Citrinowicz. « Prendre le temps de discuter avec les Américains, attendre l’arrivée de l’administration Trump. Se fixer comme objectif stratégique de porter un coup fatal à la direction du groupe et à la production [NDLT : d’armes], travailler avec les pays de la région, Saoudiens en tête. »
Une coalition renforcée permettrait de mener des bombardements de haute intensité, semblables à ceux qu’Israël a imposés au Hezbollah. Elle pourrait s’en prendre aux autorités houthies, acculer les rescapés à la clandestinité et perturber gravement le commandement et le contrôle de l’organisation.
Israël pourrait également demander à ses alliés de lutter contre la contrebande d’armes à laquelle se livrent les Houthis. Jusqu’à présent, l’effort a essentiellement porté sur la protection des navires ou le bombardement d’emprises stratégiques, en prenant soin de laisser les navires de guerre hors de portée des missiles houthis. L’entrée en vigueur d’un blocus destiné à endiguer le flux d’armes iraniennes aurait à n’en pas douter des effets importants.
« Tous les missiles qui ne finissent pas entre les mains des Houthis sont des menaces en moins », assure M. Paes. « Faire passer en contrebande un missile balistique est tout sauf facile, surtout à bord d’un boutre [NDLT : Voilier arabe traditionnel en bois]. »
Carter a suggéré que les banques contrôlées par les Houthis soient déconnectées du système international SWIFT, ce qui compliquerait la tâche du groupe pour ce qui est des soutiens financiers ou le versement des salaires.
Et si cette coalition était réellement déterminée, elle apporterait son soutien aux forces gouvernementales yéménites dans le but de créer une menace terrestre crédible et de chasser les Houthis de la capitale et des ports.
On assite peut-être au début d’un tel mouvement. En effet, cette semaine, l’Arabie saoudite et ses alliés dans la zone ont mené des attaques contre les forces houthies dans deux provinces.
Le fait pour Israël de prendre la tête d’une coalition régionale confiante et efficace contre les Houthis – après des années d’opérations infructueuses et coûteuses – ne ferait que conforter sa place de leader incontesté de la coalition régionale anti-iranienne et plaiderait en faveur d’un approfondissement des relations avec l’État juif.
Si Israël et ses partenaires régionaux ne parviennent pas à déjouer la menace houthie, elle ne fera que croître.
« Même si la guerre à Gaza prenait fin demain, il reste que le génie est sorti de sa lampe », conlut Citrinowicz. « Ils s’en prendraient aux Saoudiens dès le lendemain, le surlendemain, et ils attaqueraient à nouveau Israël à cause de ce qui se passe en Cisjordanie. Cela serait sans fin. »
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