Des enfants juifs visés par l’antisémitisme aux Émirats, sur fond de guerre à Gaza
Malgré la sécurité relative depuis les accords d’Abraham, des familles juives signalent insultes, menaces et tensions croissantes dans les écoles des Émirats

Aux Émirats arabes unis, où la vie juive prospère depuis les accords d’Abraham négociés par les États-Unis en 2020, les enfants juifs se retrouvent aujourd’hui en première ligne face à l’antisémitisme, sur fond de guerre entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza.
Des parents juifs vivant aux Émirats se sont confiés au Times of Israel sous couvert de l’anonymat pour protéger leurs enfants. Ils racontent que ces derniers sont victimes d’insultes et de violences verbales à l’école, ainsi que d’incidents plus graves, dont des menaces avec des couteaux en plastique dans leur quartier, ou encore des questions provocantes du type : « Israël ou Palestine ? »
« Ce sont les enfants qui souffrent le plus », a déclaré un membre éminent de la communauté. « Ils sont vraiment dans une position extrêmement délicate, car ce sont des enfants, et que peuvent-ils répondre quand ils sont pris pour cibles à cause d’un conflit qui les dépasse complètement ? »
D’autres parents ont décrit au Times of Israel des incidents au cours desquels des enfants ont été traités de « sale juif », ou à qui l’on a demandé, « combien de bébés as-tu tués aujourd’hui, assassin de bébés ? »
Bien que les Émirats appliquent une politique de tolérance zéro en matière de crimes de haine et de harcèlement, la plupart des cas sont traités au niveau de l’école – et, selon les parents, pas toujours de manière satisfaisante. Certains enfants juifs ont été contraints de changer d’établissement pour échapper à ces abus.
Alors que le conflit s’éternise, la sécurité a été renforcée autour de la communauté juive, très soudée, qui s’est encore resserrée depuis, non seulement le déclenchement du conflit, mais aussi à la suite du meurtre tragique de l’émissaire du Habad, le rabbin Zvi Kogan, âgé de 28 ans, en novembre dernier.
Si la communauté affirme se sentir en sécurité dans l’État du Golfe, la guerre a profondément affecté la vie juive. À Dubaï, les rassemblements de Shabbat et les célébrations des fêtes ont été réduits. Les événements communautaires qui, jusqu’à récemment, se déroulaient dans des hôtels ou d’autres lieux publics autorisés, ont été relocalisés dans des maisons privées, soit un retour à la situation d’avant les accords, lorsque la vie juive publique n’était pas officiellement reconnue.
À Abou Dhabi, les prières se poursuivent toutefois à l’Abrahamic Family House, la première synagogue construite dans la région depuis plus de 100 ans. Elle fait partie d’un complexe interconfessionnel abritant également une mosquée et une église.
« Personne n’a peur ici, mais pour les enfants, c’est très difficile d’être pris pour cible à l’école en raison de leur origine ou de leur religion », a ajouté un des doyens de la communauté.
L’an dernier, à l’occasion de la Journée internationale annuelle, un événement annuel célébrant la diversité des quelque 200 nationalités représentées aux Émirats, avec des stands dédiés à chaque pays, toute présence israélienne a été interdite en raison de la guerre. La Palestine, en revanche, a été représentée, parfois à travers des cartes effaçant Israël, ont rapporté des parents au Times of Israel.
Un parent israélien ayant la double nationalité a confié que ses enfants se présentaient uniquement sous la nationalité de leur autre citoyenneté, par souci de protection face aux risques d’abus.
Une communauté en plein essor menacée ?
La communauté juive des Émirats a connu une croissance fulgurante, en passant de quelques dizaines de membres vivant dans la discrétion avant les accords d’Abraham à plus de 2 000 aujourd’hui. Des Juifs venus d’Israël, d’Europe et d’ailleurs dans la diaspora affluent dans ce havre fiscal du Golfe.

Le groupe mondial de sensibilisation juive hassidique Habad a été à l’avant-garde des efforts visant à établir des éléments de la vie juive, de la constitution de minyanim (quorums de prière) à l’ouverture d’un supermarché casher, d’un mikvé et d’un établissement scolaire.
Mais pour les enfants qui ne fréquentent pas l’école juive, les préjugés sont sans précédent. Un membre de la communauté raconte que ses enfants ont été mis à l’écart par leurs camarades.
« Mais où est-ce que les Juifs sont vraiment en sécurité ? Les Israéliens et les Juifs sont pris pour cible partout dans le monde. C’est très triste, mais c’est notre réalité 255», a-t-il déclaré.
Un autre parent, dont l’enfant a subi de graves brimades verbales, souligne toutefois le soutien qu’il a reçu de la part des autorités éducatives et même de la police de Dubaï.

« Il ne s’agit pas seulement des écoles. Les autorités prennent cela très au sérieux », a déclaré le parent. « Nous avons besoin d’enseignants capables de gérer ces situations, mais l’essentiel reste de préparer nos enfants à la maison, de leur apprendre comment réagir face à ce type de comportement, et surtout, à ne pas répondre — car cela peut aggraver les choses. »
« Il est essentiel de leur offrir un environnement familial sécurisant, tout en les aidant à être fiers de leur identité. Nous devons leur enseigner qu’ils sont confrontés à de l’ignorance, rien de plus », a-t-il ajouté.
Justice pour le meurtre du rabbin
Le meurtre tragique de l’émissaire de Habad, âgé de 28 ans, survenu en novembre dernier, a profondément choqué la communauté juive des Émirats. Lundi, le gouvernement émirati a annoncé que les trois auteurs du crime, tous de nationalité ouzbèke, avaient été condamnés à mort.
Cette condamnation ne ramènera pas le jeune rabbin tant apprécié, mais elle constitue une forme de justice pour une communauté au cœur brisé.

Les tensions récentes ont poussé certains membres de la communauté à s’interroger : vivre dans un État musulman du Golfe est-il encore le bon choix pour eux et leurs familles ? D’autres y voient au contraire une occasion de faire évoluer les mentalités.
« Je considère mes enfants comme des ambassadeurs », déclare un père israélien.
« Pour beaucoup de ces enfants musulmans, c’est la première rencontre avec des Israéliens, et c’est très important. C’est une chance de nous voir comme des êtres humains, de découvrir nos points communs. En Israël, nous n’avons pas cette même opportunité de faire une différence. »
« En Israël, nous sommes protégés. Mais dans la diaspora, nous avons la responsabilité de montrer pourquoi il est plus crucial que jamais d’être une ‘lumière parmi les nations’. C’est vraiment le moment », ajoute-t-il.
Si de nombreux enfants sont encore confrontés à des préjugés, certains membres expérimentés de la communauté affirment que la situation s’est améliorée avec le temps.
« C’était plus difficile au début de la guerre, quand les incidents étaient plus extrêmes. Mais les choses se sont apaisées. Relativement parlant, les Émirats restent un pays bien plus sûr pour nous que beaucoup d’autres dans le monde, où l’antisémitisme explose », déclare l’un d’entre eux.
« Oui, il y a eu des incidents, mais rien de comparable aux manifestations de masse, aux agressions quotidiennes ou aux violences verbales qu’on observe ailleurs », renchérit un autre membre de la communauté.

L’année dernière a été une « année record » pour l’antisémitisme, avec une hausse mondiale de 340 % des incidents par rapport à 2022, selon un rapport conjoint de l’Organisation sioniste mondiale et de l’Agence juive pour Israël. Aux États-Unis, qui abritent environ la moitié de la population juive mondiale, cette augmentation atteint 288 %.
Mais contrairement à d’autres pays, les manifestations sont interdites aux Émirats, tout comme l’affichage public de drapeaux étrangers, en vertu d’une politique nationale axée sur la tolérance et la coexistence. Ces restrictions ont contribué à maintenir un climat d’apaisement, là où d’autres pays ont connu de fortes tensions.
« Les Émirats sont très stricts en matière de crimes de haine et de discrimination, et ils agissent rapidement, même avant le déclenchement de la guerre », témoigne un autre membre de la communauté, qui a bénéficié de l’assistance de la police de Dubaï après un incident de violence verbale.
« Nous nous sentons vraiment plus en sécurité ici que nos amis ou nos proches vivant ailleurs dans la diaspora, comme à Londres ou à Paris, où le soutien à la cause palestinienne se transforme souvent en actes de haine contre les Juifs », conclut-il.