Des lauréats du prix Nobel plaident pour l’indépendance de la Bibliothèque nationale
Sept gagnants du prestigieux prix avertissent que placer l'institution sous le contrôle des politiques menacera son existence même, la liberté académique et la recherche
Sept lauréats du Prix Nobel ont envoyé une lettre, mardi, qui dénonce avec force le projet du gouvernement de laisser les politiciens choisir les membres du conseil d’administration de la Bibliothèque nationale – une initiative qui, selon les critiques, nuira gravement à l’indépendance de l’institution.
Le courrier a été envoyé au président Isaac Herzog, au Premier ministre Benjamin Netanyahu ainsi qu’au ministre de l’Éducation Yoav Kisch, l’auteur de la législation qui prône ce changement.
« Nous constatons une réelle menace qui plane sur la nature indépendante de la Bibliothèque nationale et nous tremblons à l’idée que cette dernière puisse devenir un outil placé entre les mains du régime », ont écrit les auteurs.
La missive a été signée par le professeur Avram Hershko, qui a remporté le Prix Nobel de chimie en 2004 ; par le professeur Arieh Warshel, lauréat du Prix Nobel de chimie en 2013; par le professeur Ada Yonath, qui a gagné le prix dans la même catégorie en 2009 ; par le professeur Daniel Kahneman, lauréat du Prix Nobel en économie en 2002; par le professeur Michael Levitt, Prix Nobel de chimie en 2012 ; par le professeur Aaron Ciechanover, Prix Nobel de chimie en 2004 et par le professeur Roger Kornberg, Prix Nobel de chimie en 2006.
Le mois dernier, le gouvernement avait fait avancer un projet de loi proposé par Kisch qui permettrait au gouvernement de déterminer la composition du conseil d’administration de la Bibliothèque – une initiative qui viserait à pousser vers la sortie son recteur, qui n’est autre que l’ancien procureur de l’État à l’origine du procès pour corruption en cours de Netanyahu.
Le cabinet avait approuvé ce plan malgré l’opposition exprimée par la procureure-générale Gali Baharav-Miara, qui avait déclaré qu’il n’avait pas été soumis à la procédure appropriée.
La coalition avait espéré faire adopter cette législation dans le cadre de son enveloppe de projets de loi budgétaires. Le conseiller juridique du Trésor a depuis rejeté cette possibilité dans la mesure où elle n’est pas conforme à la Loi des Arrangements et il s’est opposé à l’idée qu’elle y soit intégrée en conséquence, a signalé Haaretz en début de semaine.
Le texte polémique pourra néanmoins être adopté de manière indépendante.
En apprenant les intentions de Kisch, « nous avons eu des tremblements de peur, chacun d’entre nous, au regard de cette épée qui plane sur l’indépendance de la Bibliothèque nationale et sur ses capacités à tenir son rôle national », ont écrit les auteurs de la lettre.
Ils ont noté que « de manière étonnante », ce projet n’a pas été discuté avec l’Université hébraïque qui est l’un des établissements qui contribue le plus aux collections de la Bibliothèque, et qu’il n’a pas non plus été débattu avec l’institution.
« Porter atteinte à la Bibliothèque nationale, c’est porter atteinte à chacun d’entre nous en tant qu’entité unique. Un interventionnisme politique dans une institution nationale, historique et culturelle transforme cette dernière en vulgaire ballon de football dans le jeu politique. »
Les auteurs ont aussi fait part de leur inquiétude de l’impact potentiellement négatif de cette initiative sur la liberté universitaire, estimant qu’elle pourrait être « une catastrophe pour l’excellence du secteur académique israélien, nuisant gravement à la connaissance et à la recherche en Israël ».
Ils ont aussi averti que certains donateurs et contributeurs ont d’ores et déjà indiqué qu’ils envisageaient de geler leurs apports – ce qui soulève, selon les lauréats du Prix Nobel, « une inquiétude profonde pour l’existence même de la Bibliothèque ».
L’Université hébraïque a publiquement menacé de reprendre ses collections si le projet de loi devait être adopté.
Selon la missive, l’Université avait confié ces dernières à la Bibliothèque dans la mesure où l’indépendance de l’institution avait été établie et inscrite dans une loi adoptée en 2007.
Cette loi précisait que l’institution « restera complètement indépendante » et que les nominations à des postes à responsabilité ou au conseil d’administration excluraient des désignations d’ordre politique.
Les articles publiés par les médias israéliens sur ce projet de loi ont noté que les politiciens de droite avaient pris pour cible la Bibliothèque depuis un an – depuis la nomination à sa tête de l’ancien procureur de l’État Shai Nitzan.
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Nitzan avait été fortement impliqué dans la préparation des poursuites pour corruption intentées contre le Premier ministre. Il avait fait l’objet de critiques de la part de Netanyahu et de ses alliés tout au long de l’enquête sur le Premier ministre dans le cadre de trois enquêtes, et plus particulièrement depuis le dépôt des chefs d’accusation – corruption, abus de confiance et fraude – contre lui.
Nitzan a depuis été dépeint, sans preuve, par les alliés du Premier ministre comme un activiste de gauche déterminé à démettre le Premier ministre de ses fonctions par des moyens illégitimes.
La proposition de Kisch – qui, selon le président du conseil d’administration de la Bibliothèque, représente une menace réelle pour la survie de l’institution – doit encore être approuvée par la Knesset, où la coalition de droite, d’extrême-droite et religieuse de Netanyahu occupe la majorité des sièges.
La Bibliothèque Nationale d’Israël avait été fondée en 1892 en tant que centre mondial de préservation des trésors spirituels du peuple juif. En 2007, la Knesset avait promulgué la loi sur la Bibliothèque Nationale, lui conférant un statut indépendant par la loi, afin de documenter la création culturelle dans l’État d’Israël et de permettre au grand public d’accéder gratuitement aux collections uniques qu’elle abrite. Auparavant, la bibliothèque était la propriété exclusive de l’Université hébraïque.
Les décisions gouvernementales tendant à prendre le contrôle de la bibliothèque s’inscrivent dans un contexte de manifestations de grande ampleur contre le projet de réforme du système judiciaire, qui comprend notamment une nomination des juges par le pouvoir politique.
Les critiques estiment que cette initiative portera gravement préjudice à la démocratie, à l’économie et à la sécurité du pays.