Des résidents d’implantations s’installent dans les villes frontalières afin d’être prêts à retourner à Gaza
Une trentaine de familles seraient temporairement là mais 800 se sont inscrites pour s'installer dans six implantations potentielles dans l'enclave ; un seder de Pessah a été organisé dans la zone frontalière pour lancer un appel symbolique

JTA — Reut Ben Kamon était en CE2 quand sa famille a été déracinée de l’implantation de Neve Dekalim lors du désengagement de Gaza, en 2005. Les scènes d’affrontements entre les soldats et ceux qui vivaient au sein de l’implantation l’ont traumatisée, dit-elle. Pourtant, elle se dit nostalgique de la vie d’avant cette évacuation, évoquant les dunes de sable qu’elle et ses amis dévalaient derrière sa maison, l’air frais, les fleurs et ses voisins, des Juifs très diversifiés.
« C’était un endroit où on ressentait vraiment ce que sont l’essence du peuple d’Israël et l’essence de la Terre d’Israël », se souvient-t-elle.
Deux décennies plus tard, Ben Kamon a rejoint plusieurs autres familles qui ont bravé un épisode de pluie inhabituel pour la saison afin de passer le seder de Pessah dans des tentes dressées à proximité du kibboutz Saad, dans la zone frontalière de Gaza, un acte symbolique appelant au retour de la présence juive à Gaza.
Dans ce campement – qui a été organisé à l’initiative du mouvement Nachala Israël, un groupe pro-implantations qui fait la promotion de la création de nouveaux avant-postes juifs en Cisjordanie et d’une réinstallation des Juifs à Gaza – des soukkot détournées de leur usage traditionnel, des châteaux gonflables et un programme complet de prises de parole, d’activités pour les enfants et de visites guidées. Ce sont des milliers d’Israéliens qui sont venus au camp pendant les jours intermédiaires de la fête de Pessah [hol hamoed].
Le mouvement pro-implantations israélien considère depuis longtemps le seder comme un acte symbolique de rédemption et comme un catalyseur en ce qui concerne l’établissement de nouvelles implantations. En 1968, des activistes qui s’étaient présentés comme étant des touristes suisses avaient utilisé le seder comme prétexte pour rétablir une présence juive permanente dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie palestinienne, trois décennies après la fuite des derniers Juifs de la ville, dans le sillage de massacres. Aujourd’hui, Hébron est un épicentre des activités du mouvement pro-implantations – avec des milliers de Juifs qui vivent dans la ville et dans ses environs.
Et en 1975, des militants du mouvement pro-implantations Gush Emunim avaient organisé un seder dans le nord de la Cisjordanie, sur les terres qui devaient accueillir Kedumim – une implantation dont la fondatrice de Nachala, Daniella Weiss, a été maire pendant plus d’une décennie. Aujourd’hui, Kedumim compte près de 5 000 habitants.

Il y a trois ans, Nachala avait organisé un seder à proximité du carrefour de Tapuach, une initiative qui avait précédé l’établissement controversé d’Evyatar, un avant-poste – c’est le terme utilisé pour désigner les implantations sauvages qui n’ont pas obtenu d’autorisation préalable de la part du gouvernement israélien. Au mois de juin, Evyatar a été légalisé par le cabinet israélien, en même temps que quatre autres avant-postes.
Selon Arbel Zak, une dirigeante de l’organisation Nachala qui est chargée de mobiliser les familles pour qu’elles se portent volontaires à une installation dans de nouvelles implantations, ce sont environ 80 avant-postes qui ont été créés en Cisjordanie depuis le début de la guerre. Pour elle et pour d’autres membres du mouvement, Gaza est la prochaine frontière à franchir.
« Les gens disent que ce n’est pas logique ou que cela n’arrivera pas. Mais Evyatar, et Gush Emunim lui-même, sont la preuve que c’est possible et que c’est logique », s’exclame Zak.
Ben Kamon fait partie de ceux qui n’avaient jamais sérieusement envisagé l’idée de retourner à Gaza – jusqu’au 7 octobre 2023.
« Jamais je n’avais imaginé, ne serait-ce qu’une seconde, qu’il serait possible de retourner à Gaza. Mais à la seconde où la guerre a commencé, nous avons eu la certitude que c’était dorénavant une véritable option », dit-elle.

L’été dernier, Reut Ben Kamon, son mari et leurs quatre jeunes enfants ont quitté l’implantation d’Eli, en Cisjordanie, pour s’installer dans la communauté de Zimrat, dans le sud du pays, afin de se rapprocher de Gaza et de réaliser ce rêve. Ils vivent désormais sur un site temporaire qui est destiné aux « pionniers », dit-elle – des personnes prêtes à tout abandonner et à s’installer dans un nouvel endroit, parfois en quelques heures seulement.
Selon Batel Moshe, qui milite au sein de Nachala et qui s’était porté volontaire pour déménager à Gaza quelques semaines seulement après le 7 octobre, environ 30 familles vivent temporairement là, mais 800 autres se sont inscrites pour s’installer dans six implantations futures, au sein de l’enclave côtière. Les plans de ces implantations – certaines seraient ancrées au cœur de zones urbaines denses, comme Khan Younès – ont été dévoilés pour la première fois lors d’une conférence organisée par l’organisation au mois de janvier 2024 à Jérusalem, en présence de ministres d’extrême-droite et du parti du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Ce dernier a ouvertement rejeté l’idée d’un retour de la présence juive à Gaza.
« Les gens appellent pour demander s’ils peuvent investir dans des appartements [à Gaza] pour leurs enfants, » confie Moshe.
Weiss souligne le renforcement de la participation aux activités du groupe depuis la guerre – il y a eu, par exemple, des dizaines de milliers de personnes qui se sont réunies lors d’un récent rassemblement – comme preuve d’un fort soutien public à ses objectifs.
« La majorité des Israéliens sont favorables au retour de la présence juive à Gaza – si ce n’est pas immédiatement, ce sera tout du moins après la victoire israélienne contre le Hamas », estime Weiss. « C’est là le vrai chemin du sionisme ».

Les sondages mettent toutefois à mal ces affirmations. Alors que les premières enquêtes d’opinion réalisées après le 7 octobre montraient un soutien au retour des Juifs à Gaza à hauteur de 44 %, des données plus récentes – avec notamment un sondage réalisé au mois de février par l’Institut israélien d’études de sécurité nationale – ont révélé un fort déclin de ce pourcentage, dorénavant de 23 %.
Si Weiss et son mouvement ont appelé à l’expulsion – volontaire ou non – des Palestiniens de Gaza, tous ceux qui se sont engagés à se réinstaller dans l’enclave côtière ne partagent pas ce point de vue.
« Qu’il y ait trois Arabes ou qu’il y en ait trois millions, ça n’a pas d’importance pour moi, je m’en moque. Ce qui compte, c’est que les Juifs doivent être là-bas », déclare Aharon Amos Ben Naeh, un habitant de Jérusalem qui vivait auparavant dans le quartier musulman de la Vieille Ville.
Il raconte que des militaires sont venus au campement, les exhortant à poursuivre leur mission. « Ils sont venus à notre seder alors qu’ils sortaient [de Gaza] et ils nous ont dit que nous devions retourner là-bas », explique Ben Naeh, un récit qui est corroboré par une autre personne présente.

Alors qu’elle accompagne un groupe de visiteurs à un mémorial voisin qui a été érigé en souvenir des observatrices de Tsahal tuées le 7 octobre au sein de la base militaire de Nahal Oz, Zak pointe le doigt vers Gaza, montrant les sites où, espère-t-elle, de nouvelles implantations seront un jour construites. Des colonnes de fumée – probablement dues aux activités des soldats – s’élèvent avec la Méditerranée en toile de fond.
Au même moment, Netanyahu se trouve en visite dans le nord de la bande de Gaza.
« Qui sait ? », plaisante Zak, « peut-être aurons-nous la chance d’assister à un spectacle pyrotechnique donné par nos soldats. » Elle redevient sérieuse. « Voir ces destructions, ça ne me rend pas heureuse, mais j’aime savoir que Tsahal est là ».

Comme Weiss, Zak répète avec insistance sa conviction que seule la présence juive sera en mesure de dissuader le terrorisme : « Les clôtures ne servent à rien. Le 7 octobre l’a prouvé ». Elle rejette l’argument laissant entendre que le stationnement de soldats chargés de protéger un petit nombre de civils épuiserait les ressources militaires.
« C’est complètement le contraire », dit-elle. « Lorsqu’un soldat aperçoit une mère avec une poussette, il sait très exactement pour quoi il se bat ».
Sur la route qui retourne au campement, la police a bouclé la zone, anticipant une manifestation qui a été organisée par des groupes d’opposants au gouvernement qui dénoncent la présence de ces sympathisants du mouvement pro-implantations.
Ben Naeh fait part de son intention d’aller saluer les manifestants. « Je veux les prendre dans mes bras. Je veux leur dire que je suis fier d’eux. Je ne comprends pas grand-chose à la politique, je n’aime même pas Bibi. Mais ce que je comprends, c’est que ces gens, comme moi, sont profondément attachés à ce pays », indique-t-il en utilisant le surnom donné à Netanyahu.
Un manifestante repousse cette démonstration d’ouverture.
« Jamais je n’accepterai une étreinte de quelqu’un comme lui », s’exclame Yifat Gadot.
Selon Yifat Gadot, qui porte un tee-shirt « Bring Them Home », les personnes présentes dans le camp sont complices de l’échec de l’accord de cessez-le-feu qui ouvrirait la porte à la libération des 59 otages – dont 24 seraient encore en vie – qui sont toujours retenus en captivité à Gaza.
« La seule raison pour laquelle la guerre n’est pas terminée, la seule raison pour laquelle des centaines de soldats sont morts et pour laquelle les otages ne sont toujours pas rentrés chez eux, c’est que pour ces gens, la terre a plus de valeur que la vie humaine », affirme-t-elle.
À un moment donné, des tensions ont éclaté entre les manifestants et Gali Bat Chorin, qui était venue avec des membres du Forum Café Shapira pour soutenir les efforts de Nachala. Bat Chorin, qui a fondé le forum, affirme qu’il représente 15 000 universitaires, laïques pour la plupart, qui, comme elle le dit, « ont changé de cap d’un seul coup » pour réhabiliter la notion de sionisme dans le discours public.

Les manifestants sont « animés par une haine profonde du judaïsme et de tout ce qui est juif », a-t-elle déclaré. « Peu importe ce que nos ennemis nous ont fait, qu’il s’agisse de viols, d’enlèvements, de massacres ou d’enfants brûlés vifs, [les manifestants] estiment que le plus important est de combattre Daniella Weiss et de l’empêcher à tout prix de prendre des terres aux Arabes », a-t-elle ajouté.
Elchanan Shaked, un activiste de Frères d’armes, un groupe de protestation composé de réservistes, originaire de la ville de Rishon Lezion (centre), a également rejeté l’idée de recevoir une accolade de la part des résidents d’implantations.
« Dites-leur qu’avant de nous embrasser, ils devraient rapidement aller embrasser les 59 familles des otages et des personnes décédées », a-t-il déclaré. « Ensuite, je leur parlerai. »

Shaked a rejeté l’idée que la présence juive dans les territoires palestiniens protégeait Israël en son coeur.
» Le Gush Katif n’était même pas situé dans une zone qui aurait protégé la frontière », a-t-il déclaré, faisant référence au nom du bloc d’implantations démantelées de Gaza. « S’il n’y avait pas eu d’évacuation, ils auraient été les premiers à être massacrés le 7 octobre. »
Shaked a déclaré qu’il craignait qu’une attaque du type de celle du 7 octobre se produise à l’avenir en Cisjordanie. « Nous n’enverrons pas nos enfants à l’armée juste pour protéger une bande de messianistes fous qui veulent accomplir un fantasme de sanctification de la terre », a-t-il déclaré.
Dans le campement, le nouveau-né de Ben Kamon – son cinquième enfant – pleurait dans sa poussette. Tout en l’apaisant, elle réfléchit à la signification profonde de sa naissance.
Il est né le mois dernier en urgence sur le bord de la route 232, entre Kfar Aza et le kibboutz Mefalsim, sur le tronçon de route où des dizaines de personnes ont été tuées le 7 octobre. Elle l’a appelé Binyamin Ori, d’après le personnage biblique de Benjamin, qu’elle considère comme une force unificatrice parmi les 12 tribus.
» Et tout comme mon Binyamin, Binyamin est né sur le chemin du peuplement de la terre », a-t-elle déclaré.
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