Des soldats mis en garde contre les voyages à l’étranger suite à des accusations de crimes de guerre
L'armée a découvert que des groupes anti-israéliens avaient déposé des plaintes contre une trentaine de soldats qui ont servi dans la bande de Gaza
L’armée israélienne a mis en garde une trentaine de soldats et d’officiers qui se sont battus sur le front, dans la bande de Gaza, leur demandant d’éviter de se rendre à l’étranger après le dépôt, par des groupes pro-palestiniens et anti-israéliens, de plaintes pour crimes de guerre présumés à leur encontre, selon un article de Ynet.
Dans huit cas, les militaires qui se trouvaient à l’international ont été immédiatement sommés de revenir sur le territoire israélien, les responsables craignant qu’ils puissent être arrêtés ou interrogés dans le pays qu’ils visitaient, a noté le site d’information. Ces soldats se trouvaient à Chypre, en Slovénie et aux Pays-Bas quand il leur a été vivement recommandé de partir.
L’armée n’interdit pas à ses troupes de partir à l’étranger – elle procède toutefois à une « évaluation des risques » pour les militaires qui ont servi à Gaza, approuvant leur demande au vu des résultats de cet examen de la situation, a précisé le site d’information.
Les réservistes qui sont allés sur le terrain, à Gaza, doivent d’abord se rapprocher du ministère des Affaires étrangères pour s’enquérir du niveau de danger du pays qu’ils souhaitent visiter.
Les responsables s’inquiètent aussi – en plus des plaintes qui ont pu être déposées localement – de la possibilité que certains hauts-gradés de Tsahal puissent faire l’objet de poursuites devant la Cour pénale internationale. La CPI, le mois dernier, a émis des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour des crimes de guerre présumés.
La guerre avait éclaté le 7 octobre 2023 – à cette date, le groupe terroriste palestinien du Hamas avait commis un véritable pogrom dans le sud d’Israël. Les hommes armés avaient massacré plus de 1 200 personnes et ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande.
Israël a fait savoir que sa riposte militaire a pour objectif de détruire le Hamas, de garantir qu’une attaque similaire ne pourra jamais se reproduire en plus d’obtenir le rapatriement des otages – 97 se trouvent encore aujourd’hui dans les geôles du Hamas et tous ne sont plus en vie.
Des sources militaires ont confié à Ynet que l’armée est préoccupée à l’idée que les plaintes qui ont pu être déposées à l’encontre de soldats de plus bas rang ou d’officiers en voyage à l’étranger trouvent un fondement dans le jugement qui a été émis par la Cour de la Haye et dans les éléments qui ont pu être rassemblés à partir des réseaux sociaux ou d’articles parus dans les médias.
Les soldats concernés par ces mises en garde ont été identifiés grâce aux vidéos et aux images qu’ils ont pu poster en ligne, des images prises pendant qu’ils se battaient sur le front, à Gaza – même si au début de l’offensive terrestre au sein de l’enclave côtière, Tsahal avait donné pour instruction aux troupes de ne pas publier de films ou de photos, les responsables s’inquiétant de la possibilité que ces contenus puissent être utilisés dans le cadre de poursuites éventuelles pour crimes de guerre.
Les activistes anti-israéliens scrutent avec attention les comptes des soldats qui, sur les réseaux sociaux, ont pu poster des séquences de guerre, au cas où ces militaires en viennent à publier des images de leurs déplacements à l’étranger – des déplacements qui sont l’occasion, pour ces militants, de porter plainte à leur encontre dans leur pays, a indiqué Ynet.
En conséquence, les troupes qui prévoient de se rendre à l’étranger ont reçu le conseil de ne publier aucune image susceptible de révéler leur localisation.
Les experts juridiques, au sein de l’armée, estiment que la CPI ne partira pas à la chasse des officiers de bas-rang et des soldats qui ne faisaient qu’exécuter les ordres donnés par les leaders politiques, a fait remarquer le site d’information. De plus, la CPI ne devrait pas s’aventurer dans une telle démarche en raison du principe de « complémentarité » – un principe établissant qu’un pays démocratique, comme c’est le cas d’Israël, poursuivra lui-même les activités criminelles en utilisant ses propres tribunaux.
Toutefois, les autorités sont préoccupées à l’idée que des commandants de premier plan – comme peuvent l’être les chefs des Commandements du nord et du sud de Tsahal, ou le chef d’état-major Herzi Halevi – puissent être pris pour cible par la CPI, même si ses magistrats n’ont jamais pris de telles initiatives jusqu’à présent.
Israël accordera tout le soutien nécessaire aux soldats qui pourraient être arrêtés ou placés en détention pour être interrogés, ou qui pourraient se sentir menacés par les activistes lors d’un séjour à l’étranger, ont expliqué des sources proches de Tsahal. Ce soutien sera offert via les bureaux diplomatiques ouverts dans les pays où se trouvent les troupes concernées.
Les menaces de poursuites devant la justice de soldats pourraient bien s’accroître alors que les combats, à Gaza, ont baissé en intensité et que les groupes humanitaires et les médias étrangers sont autorisés à entrer dans la bande de manière croissante. C’est en conservant cela à l’esprit qu’une équipe interministérielle a été mise en place sous l’autorité des ministères de la Justice et des Affaires étrangères, en collaboration avec le département de droit international de Tsahal.
Cette équipe, qui comprend des représentants des services de sécurité du Shin Bet et de l’agence de renseignements du Mossad, procède à des évaluations qui se basent sur l’endroit où un soldat a été déployé et sur le risque, pour lui, d’être arrêté ou placé en détention dans chaque pays.
Un facteur déterminant qui entre en compte dans le cadre de ces évaluations est celui des pays qui ont fait savoir qu’ils respecteraient les obligations induites par les mandats d’arrêt qui visent Netanyahu et Gallant, ont précisé les sources de Tsahal auprès de Ynet.
De surcroît, l’État juif a loué les services d’avocats locaux, dans des dizaines de pays du monde entier, qui sont chargés de garder un œil sur les législations relatives à Israël et à la guerre. Ces avocats ont aussi été invités à surveiller les éventuelles plaintes qui pourraient être déposées contre des officiels israéliens ou contre des soldats, et ils prendront leur défense devant les tribunaux si cela s’avère nécessaire.
Le volume de matériels susceptibles d’être utilisés contre les militaires a été mis en exergue, mardi, par le Washington Post, qui a publié un reportage approfondi sur les vidéos qui ont pu être postées par les troupes israéliennes pendant les 14 mois de conflit – des images qui révèlent des agissements et des comportements susceptibles de réellement violer les ordres donnés par Tsahal et les dispositions du droit international.
« Des vidéos et des photographies ont montré à plusieurs reprises des forces israéliennes en train de démolir des bâtiments entiers, y compris des maisons et des écoles, les pillant et les incendiant parfois », a noté le journal. « D’autres images montrent des soldats israéliens posant à côté de cadavres, et appelant à l’extermination et à l’expulsion des Palestiniens. »
Exclusive:
Documentation showing the systematic torching of Palestinian homes by Israeli soldiers for no purpose as reported in Haaretz below.
The obtained footage below was taken in Burej Refugee Camp, Central Gaza yesterday by an Israeli soldier on social media page. https://t.co/HsIhQ0sYFy pic.twitter.com/HeWCqtKXbG
— Younis Tirawi | يونس (@ytirawi) January 31, 2024
Le Washington Post a affirmé avoir visionné et vérifié 120 photos et vidéos sur des milliers qui ont été postées en ligne par des soldats de Tsahal, « une vaste cache qui donne une vision rare et troublante de la façon dont certains éléments de l’armée israélienne se sont comportés » tout au long de la guerre.
Le journal a également interrogé des réservistes de Tsahal qui ont dit avoir ressenti un sentiment de vengeance chez un certain nombre de leurs camarades à Gaza.
Certaines vidéos tournaient en dérision la destruction d’habitations civiles – une destruction que la nécessité militaire peut toutefois justifier dans de multiples scénarios de guerre urbaine. Dans d’autres séquences, des réservistes apparaissaient en train de filmer des cadavres palestiniens d’une manière humoristique ou avec un apparent désir de vengeance.
Le journal a posté les vidéos sans flouter le visage des soldats. Un grand nombre des comptes identifiés dans le reportage n’étaient plus accessibles aux internautes et aux usagers des réseaux sociaux dans la journée de mercredi.
Dans le sillage de la publication du reportage, la personne en charge de l’éthique militaire Asa Kasher a qualifié ce phénomène de « rupture non seulement de la discipline militaire, mais aussi de la compréhension de ce qu’il faut faire pour représenter l’armée et Israël ».
Les séquences qui ont été reprises par le Post montraient des soldats en train de se réjouir de la démolition de bâtiments tout entier, menaçant l’intégralité de la bande de connaître le même sort. Sur d’autres apparaissaient des soldats en train de vandaliser des propriétés privées et en train de voler des objets et autres effets personnels dans des foyers palestiniens. Il y avait aussi des images de graffitis provocateurs ou de militaires en train de chahuter dans les décombres des quartiers civils. D’autres vidéos et d’autres images encore montraient des soldats en train de s’amuser avec des sous-vêtements féminins découverts dans les habitations – un phénomène qui avait d’ores et déjà été signalé dans le passé. Des troupes évoquaient aussi avec joie, dans certaines séquences, la perspective du retour des implantations dans la bande de Gaza – des implantations qui avaient été détruites par Israël quand le pays s’était retiré unilatéralement de l’enclave côtière, en 2005.
Les soldats qui se sont exprimés auprès du Post ont raconté que certains militaires mettaient le feu aux bâtiments qui ne leur serviraient plus pour leurs opérations, une pratique qui a déjà été évoquée dans le passé et qui, dit l’armée, est parfois nécessaire pour détruire les infrastructures exploitées par les terroristes.
Tsahal a indiqué au Post, dans un commentaire, que l’armée détruisait « les infrastructures du Hamas et autres cibles militaires en utilisant les moyens approuvés et appropriés » pour ce faire.
L’armée a toutefois reconnu que « faire brûler des bâtiments sans nécessité militaire est contraire aux ordres et aux valeurs défendues par Tsahal », ajoutant que « les accusations portant sur des conduites non-conformes aux directives et aux protocoles qui ont été approuvés feront l’objet d’un réexamen ».
Certains soldats qui ont été contactés par le Post pour commenter les contenus qu’ils avaient pu publier ont défendu leurs agissements, affirmant qu’ils n’avaient en aucun cas humilié les Palestiniens.
Shimon Zuckerman, qui avait fait paraître en ligne des séquences montrant des démolitions de maisons, a indiqué que l’armée lui avait demandé de ne plus poster ce genre d’images.
Mais il a expliqué au Post qu’il avait tourné ces vidéos « pour remonter le moral à la population en Israël, et c’est quelque chose que je ne regrette absolument pas ».
Elishav Libman, un militaire dont le frère avait été assassiné par les terroristes du Hamas lors de la rave-party Supernova, le 7 octobre, aux abords de la frontière avec Gaza, et qui a posté des vidéos et des photos montrant des graffitis au sein de l’enclave côtière, a pour sa part déclaré que « en fin de compte, mon public-cible, ce sont les citoyens d’Israël. Je sais ce qui redonne de la force à nos citoyens ».
Les experts juridiques à qui le journal a montré les vidéos ont estimé que les séquences pourraient peut-être être utilisées pour prouver des violations du droit humanitaire.
Tsahal a fait savoir que des entretiens disciplinaires avaient eu lieu avec certaines troupes qui ont été impliquées dans des incidents « qui ne respectent pas les valeurs et les principes de l’armée, et qui en contredisent les règles ». Les responsables ont aussi précisé que si des comportements criminels devaient être avérés, alors la police militaire serait appelée à intervenir.
Au mois de février, le chef d’état-major, Halevi, avait envoyé une missive aux soldats pour leur rappeler que l’armée « ne commet pas de carnage », qu’elle n’agissait pas par esprit de vengeance et qu’elle ne commettait pas de « génocide » dans la bande de Gaza.
« Nous agissons comme des êtres humains et, contrairement à notre ennemi, nous devons conserver notre humanité. Nous devons faire en sorte de ne pas utiliser la force là où elle n’est pas nécessaire, de faire la distinction entre les terroristes et ceux qui ne le sont pas, nous devons faire en sorte de ne pas prendre ce qui ne nous appartient pas – un souvenir ou des armes – et nous ne devons pas filmer des vidéos animées par la soif de vengeance », avait écrit Halevi dans sa lettre.
En février encore, l’avocate-générale de Tsahal, la générale Yifat Tomer-Yerushalmi, avait mis en garde les commandants contre d’éventuels agissements illégaux de la part des soldats au sein de l’enclave côtière.
Des propos qui avaient suivi la publication d’un article dans le New York Times, qui avait fait paraître des photographies et des vidéos montrant les soldats israéliens en train de prononcer des paroles désobligeantes au sujet des Palestiniens, de vandaliser des propriétés privées appartenant à des civils ou en train de sourire à la caméra alors qu’ils se trouvaient au volant de bulldozers ou qu’ils faisaient sauter des explosifs.
Washington s’inquiète de la construction de bases militaires à Gaza
De plus, mardi, les États-Unis ont indiqué qu’ils étaient préoccupés après la parution, dans le New York Times, d’un article qui établissait que l’armée israélienne avait renforcé de manière significative sa présence à Gaza, construisant plusieurs dizaines de nouvelles bases militaires dans le couloir de Netzarim, dans le centre dans la bande, et dans ses alentours au cours de ces derniers mois.
Le porte-parole du département d’État, Vedan Patel, a déclaré pendant une conférence de presse que si ces informations étaient exactes, alors les agissements de Tsahal seraient « très certainement incompatibles » avec la politique prônée par les États-Unis en ce qui concerne l’après-guerre à Gaza – une politique qui s’oppose à toute réduction du territoire palestinien, à toute perspective de contrôle militaire continu, par Israël, de la bande et à tout déplacement forcé des Palestiniens.
Patel a fait remarquer que les informations n’avaient pas été corroborées par Israël, ajoutant qu’il laisserait à Jérusalem le soin de commenter le sujet plus en profondeur.
Certains membres d’extrême-droite du cabinet de Netanyahu appellent au retour de la présence juive dans la bande de Gaza et à réduire la population gazaouie en encourageant l’émigration.
Jacob Magid a contribué à cet article.