Des soldats seuls originaires d’Ukraine retrouvent leurs proches en Moldavie
Une incroyable initiative a permis de réunir à Chisinau, avant Rosh HaShana, ces familles séparées par la guerre en Ukraine
CHISINAU, Moldavie – Pour les jeunes immigrants en Israël venus seuls faire leur service militaire, l’éloignement et les rigueurs du service peuvent rendre les réunions familiales difficiles à organiser.
C’est une situation difficile pour beaucoup de soldats seuls et leurs proches – en particulier pendant les grandes fêtes juives qui ont commencé dimanche soir, avec Rosh HaShana – mais elle l’est sans doute bien davantage pour les soldats originaires d’Ukraine, dont les proches vivent dans un pays ravagé par la guerre depuis l’invasion russe, commencée il y a sept mois.
Au-delà des risques inhérents à se rendre en zone de guerre ou de l’interdiction des vols depuis Kiev, ces soldats à la double nationalité ne pourraient pas revenir en Israël s’ils rendaient visite à leurs familles en Ukraine en raison de l’interdiction faite aux Ukrainiens en âge de combattre de quitter le pays.
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Les familles, quant à elles, ont du mal à sortir d’Ukraine, au-delà de l’absence de vols commerciaux, en raison des dangers liés à la proximité des zones de combat ou de la nécessité de rester s’occuper de parents qui ne peuvent ou ne veulent pas partir.
Pour surmonter ces difficultés et permettre à certains soldats seuls originaires d’Ukraine d’être avec leur famille pour Rosh HaShana, 19 d’entre eux ont pu se rendre en Moldavie où les attendaient leurs proches, arrivés par autobus.
Le voyage et la logistique – dont le transport des proches de l’autre côté de la frontière – ont été pris en charge par la Fraternité internationale des Chrétiens et des Juifs. L’organisation caritative a, pour ce faire, capitalisé sur son expérience dans le soutien aux soldats seuls en Israël et la facilitation de l’immigration en provenance d’Ukraine via la Moldavie, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier.
Selon l’armée israélienne, 370 de ses soldats d’active seuls sont originaires d’Ukraine. Les conditions de service de ces soldats n’ont pas changé avec la guerre, mais les commandants « prennent la question en compte et font au mieux pour faciliter la vie des soldats dont les familles vivent dans des zones de combat ».
« Mes parents sont là et moi, là »
À l’arrivée du vol transportant les soldats, à Chisinau, capitale de la Moldavie, en ce lundi 19 septembre, deux mères attendent déjà à l’aéroport.
« Nous venions de passer [le contrôle des passeports], je l’ai vue et j’ai commencé à pleurer… C’était vraiment émouvant », confie Yelyzaveta Kudriavtseva, évoquant le moment où elle a revu sa mère Yelena.
Kudriavtseva, qui sert dans la brigade de recherche et de sauvetage du Commandement du front intérieur, se rappelle la peur ressentie au début de l’invasion et la difficulté d’évaluer la situation sur place.
« Les premiers jours, c’était épouvantable de savoir que mes parents se trouvaient là et moi, ailleurs. Je ne pouvais rien faire pour les aider, je ne savais pas vraiment ce qui se passait », confie-t-elle. « Je me demandais constamment si tout allait bien. »
Kudriavtseva ajoute qu’elle n’a jamais perdu le contact avec sa famille et qu’il y a maintenant un certain sentiment de normalité, après sept mois de combats. Dans son unité, elle est le seul soldat originaire d’Ukraine.
« Au début, on en parlait beaucoup, mais maintenant, seulement de temps en temps. Pour autant, la guerre n’est pas finie », dit-elle. « Tout le monde veille sur moi. Je suis entourée de beaucoup d’attention. »
Elle ajoute qu’il n’y a « pas d’animosité » avec les camarades venus de Russie. « Tout va bien. Ils comprennent la situation. Ils sont solidaires, compréhensifs… me demandent si j’ai besoin d’aide. »
Kudriavtseva, qui est venue en Israël terminer ses études secondaires avant de faire son service, a également un frère aîné dans le pays. Elle dit que ses parents ont la citoyenneté israélienne mais ne souhaitaient pas faire leur alyah – le terme hébreu qui désigne le fait d’immigrer en Israël – avant la guerre, car « ils ont leur maison, leurs amis… » en Ukraine.
Elle se dit partagée sur la question de l’alyah de ses parents, car ils ne parlent pas hébreu et « n’ont rien » en Israël. Elle dit qu’il serait difficile de les aider, entre le travail de son frère et son propre service au sein d’une unité de combat. Elle ajoute que son père, dans la tranche d’âge des combattants, n’est pas autorisé à quitter le pays et que sa mère ne laisserait pas son père seul.
« Quand tout ira bien, nous serons ravis qu’ils viennent », assure Kudriavtseva.
« Respecte ma décision de rester en Ukraine »
D’autres soldats confient avoir invité leurs parents à venir en Israël, pour fuir la guerre, sans succès.
Emil Allakhverdieev, âgé de 20 ans, dit que sa mère et son jeune frère sont venus en Israël au début des combats, mais que son père ne les a pas suivis.
« Je voulais le faire venir, mais il a refusé de partir. Il a dit que s’il y avait la guerre, les hommes ne devaient pas fuir », confie Allakhverdieev, qui sert dans le bataillon de reconnaissance de la brigade d’infanterie Golani. « Il combat et fait tout ce qu’il peut pour que l’armée ukrainienne l’emporte sur les envahisseurs russes. »
Allakhverdieev est le premier de la famille à revoir son père Rafik, l’un des seuls hommes de la famille autorisés par les autorités ukrainiennes à se rendre en Moldavie pour cette occasion depuis son domicile d’Odessa.
Selon Allakhverdieev, c’est son père – un musulman originaire d’Azerbaïdjan – qui a voulu qu’il parte en Israël très jeune afin de faire son service dans l’armée israélienne et de vivre dans l’État juif.
C’est la première fois en trois ans qu’ils sont réunis.
« C’est une grande émotion. Je n’étais pas en contact avec lui [pendant le voyage]. Je ne savais pas où il était, ni quand il arriverait », dit Allakhverdieev à propos des retrouvailles avec son père.
« Ce que nous faisons n’a pas d’importance, tout ce que je veux, c’est être avec lui, lui parler, l’écouter », ajoute-t-il.
Allakhverdieev précise que, lorsqu’il est en Israël, il envoie des SMS à son père tous les jours et continue de ressentir « une sorte d’anxiété » en raison de la guerre, même s’il est très soutenu par ses camarades soldats et ses commandants.
« Mes camarades de l’armée sont constamment avec moi. Ils me demandent comment va mon père, comment va ma famille, si j’ai besoin de quelque chose, s’il me manque quelque chose », dit-il.
La sergente d’état-major Elizabet Zborowski, âgée de 22 ans, qui sert au sein de l’unité de renseignement tactique, assure parler régulièrement avec sa mère, la fréquence de leurs contacts ayant même augmenté en raison de la guerre.
Sa famille vit dans la ville de Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine, qui, bien que bien loin du front, a été la cible d’attaques de missiles russes, dont une frappe, en juillet, qui a fait 25 morts.
« J’ai toujours besoin de vérifier comment ils vont », explique-t-elle.
Zborowski évoque des sentiments ambivalents, en revoyant sa mère, qu’elle attribue au fait de ne pas l’avoir vue depuis plus d’un an, mais également à la guerre.
« Être ensemble, c’est bon mais c’est triste aussi d’une certaine manière », confie-t-elle.
Zborowski, qui est venue en Israël à l’âge de 15 ans pour terminer ses études secondaires, explique que la perception de sa famille sur ses activités, au sein d’une unité de combat, a beaucoup évolué.
« Je me rappelle le moment où j’ai dit à ma famille que je voulais être soldat de combat. Ils étaient furieux », se souvient-elle, évoquant leur inquiétude face au risque de blessures lors d’entraînements ou d’activités opérationnelles. « Les sentiments [maintenant] sont vraiment différents : il y a de la fierté. »
Zborowski tente, sans succès, de persuader sa mère de la rejoindre en Israël.
« Elle a toute sa vie en Ukraine », déclare Zborowski. « Bien sûr, j’ai essayé de la convaincre, mais elle m’a dit : ‘J’ai respecté ton souhait de partir [en Israël] alors que tu avais 15 ans, alors respecte ma décision de rester’. »
« De nombreuses difficultés »
Dans le cadre de ce déplacement exceptionnel, un repas festif de Rosh HaShana a été organisé pour les familles afin qu’elles puissent célébrer ensemble le Nouvel an juif, avant la visite de plusieurs sites juifs de Chisinau.
Ils ont d’ailleurs déposé des couronnes au mémorial du pogrom de 1903, de sinistre mémoire, au cours duquel 49 Juifs ont été tués dans un déchaînement de violence après qu’un membre de la communauté juive ait été suspecté d’avoir assassiné un enfant chrétien à des fins rituelles. À cette époque, Chisinau faisait partie de l’Empire russe. Ce massacre constitue un tournant dans l’histoire juive, laissant augurer de nouvelles formes de persécutions antisémites.
Alexander Vinaru et Anatoly Zarik, membres de la communauté juive locale qui ont participé à l’événement, assurent que les Juifs n’ont pas oublié le massacre et qu’ils entretiennent régulièrement le mémorial.
Ils se disent émus de voir des soldats israéliens, preuve qu’eux non plus n’ont pas oublié le pogrom.
Ils ajoutent que les liens entre la Moldavie et l’Ukraine ont toujours été bons, tant au niveau national que personnel, et que cela n’a pas changé avec cette nouvelle guerre.
La Moldavie, comme d’autres pays situés à la frontière occidentale de l’Ukraine, a connu un fort afflux de réfugiés en raison de la guerre.
Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, plus de 91 000 réfugiés ukrainiens ont été enregistrés en Moldavie.
Avec la Pologne, la Moldavie a été un pays de transit clef pour ceux qui ont fui la guerre et sont partis pour Israël.
« Lorsque la guerre a éclaté, nous avons compris que l’alyah d’Ukraine avait changé de nature, et que les gens venaient se réfugier dans les pays limitrophes. Des milliers de personnes souhaitent partir s’installer en Israël », explique Benny Hadad, chef du Département de l’alyah et de l’immigration de la FIJC.
Hadad explique qu’au début de la guerre, son organisation et l’Agence juive ont décidé d’unir leurs forces, plutôt que de travailler en parallèle, cette dernière étant chargée de conduire les immigrants d’Ukraine en Israël via la Pologne et la première, via la Moldavie.
La FIMCJ a ensuite décidé de mettre en place un système de soutien logistique en Moldavie pour faciliter le processus d’immigration. Le groupe a utilisé cette même infrastructure pour faire venir les parents des soldats isolés à Chisinau.
« La présence de cette délégation est le reflet et le fruit de toutes nos activités… L’alyah ne consiste pas seulement à mettre quelqu’un dans un avion. Cela présuppose un gros travail de fond, d’explication, de préparation et de travail en Ukraine », détaille Hadad.
Il évoque les difficultés rencontrées pour faire venir les familles, par bus, de Kiev et d’Odessa jusqu’en Moldavie, dont des « raisons techniques » qui ont empêché certains proches de venir, comme l’interdiction de sortie du territoire des hommes en âge de combattre ou le refus des autorités de laisser sortir l’une des mères, en raison d’une dette impayée.
Parmi les autres complications, citons les couvre-feux qui proscrivent les voyages de nuit ou encore la panne du bus d’Odessa, à proximité de la frontière, qui a nécessité l’affrètement d’un autre bus depuis Chisinau pour récupérer les passagers.
La mère d’un soldat qui vit maintenant au Monténégro a, pour sa part, dû rentrer par avion un jour seulement après son arrivée pour des raisons liées à son statut de réfugiée dans ce pays.
« Il y a eu beaucoup de difficultés », confie Hadad. « Nous avons fait le maximum. »
Il ajoute qu’il est encore trop tôt pour dire s’il y aura d’autres réunions de ce type avec d’autres soldats.
« Personnellement, je serais heureux de recommencer, ça bouge et ça apporte du bonheur », conclut-il.
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