En Israël, la prix Nobel de littérature parle des Polonais, des Juifs et du messie
Olga Tokarczuk dit ne pas aimer s’impliquer en politique mais note que les Polonais ont, comme l’Ukraine, le "sentiment de danger que la Russie représente pour le monde libre "

L’auteure polonaise Olga Tokarczuk, lauréate du prix Nobel, répond aux questions de manière aussi réfléchie et complexe que de nombreux passages de son roman, primé en 2014, Les livres de Jacob.
Âgée de 60 ans, Tokarczuk s’est récemment rendue en Israël pour le Festival des écrivains de Jérusalem. Il s’agissait de sa troisième visite.
« Chaque fois que j’arrive [en Israël], je suis gagnée par l’émotion que représente l’existence-même de ce pays », confie-t-elle.
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Il s’agit de la première visite de Tokarczuk en Israël depuis qu’elle a remporté le prix Nobel de littérature, en 2018.
Lors de la séance d’ouverture du Forum international du livre et du Festival des écrivains au YMCA de Jérusalem, l’écrivain Julian Barnes a – depuis son domicile en Angleterre – reçu le Prix de Jérusalem 2022 avant que ne s’engage une conversation entre Tokarczuk et Tamar Ish-Shalom.
Les 912 pages des Livres de Jacob sont divisées en sept livres qui commencent en 1752 à Rohatyn (actuellement situé dans l’ouest de l’Ukraine, mais en territoire polonais avant la Seconde Guerre mondiale) et se terminent à Korolówka au moment de la Shoah, avec Jacob Frank, un Juif polonais qui prétend être le messie.

Les Livres de Jacob ont été publiés en 2014 et n’ont été traduits en hébreu que récemment.
Tokarczuk confie considérer ce roman historique, qu’elle a passé huit ans à écrire, et déroulant la double histoire des Polonais et des Juifs, comme son œuvre la plus accomplie.
Et pourtant, assure-t-elle, s’adressant à un groupe de journalistes, lorsque les Polonais parlent des Juifs, ils ne parlent que de la Shoah.
« Les Polonais peuvent voir à travers ce livre à quel point ces deux cultures ont coexisté et se sont mutuellement influencées », explique Tokarczuk, qui n’est pas juive.
Tokarczuk évoque également la Seconde Guerre mondiale et la situation actuelle en Ukraine, le rôle joué par la Pologne dans l’aide aux Ukrainiens, avec l’accueil de près de trois millions de réfugiés.
« Je ne connais personne qui n’ait accueilli quelqu’un ou aidé d’une manière ou d’une autre », assure-t-elle.
Les Polonais partagent avec les Ukrainiens le « sentiment de danger que la Russie représente pour le monde libre », affirme Tokarczuk, ajoutant que le gouvernement polonais avertissait du risque d’agression russe depuis des années.
« Personne ne pouvait imaginer que cette guerre serait si cruelle, si anachronique », explique Tokarczuk, ajoutant que le conflit rappelait les terribles images de la Seconde Guerre mondiale.
Mais bien qu’elle puisse écrire des œuvres politiques qui questionnent l’humanité et la société, Tokarczuk ne se voit pas écrire à propos des événements actuels.
Elle s’est sentie attirée un peu par hasard par Jacob Frank, un personnage historique assez minable converti à l’islam puis au catholicisme. Pour les Juifs orthodoxes, c’était un traître et une menace pour la judéité et pour les catholiques, un étranger, un infidèle enfermé de longues années en prison.
Tokarczuk a passé de nombreuses années à faire des recherches à son sujet.
« J’ai cherché dans les musées, les archives, dans toutes sortes d’endroits parfois contre-intuitifs », explique-t-elle.
Avec son mari, elle a voyagé dans toute l’Europe sur les pas de Frank, « pour voir à quoi ressemblaient ces endroits », ajoute-t-elle.
« Je ne suis pas historienne, je ne l’ai jamais été, et je n’avais aucune idée de la manière d’écrire ce genre de roman historique. J’ai dû tout apprendre », confie-t-elle.
Bien que Tokarczuk ait passé de nombreuses années à faire des recherches et écrire sur Jacob Frank, elle ne le comprend pas et a peu d’empathie pour lui.
« Il peut être manipulateur et psychopathe. Donc quand j’écrivais à son sujet, j’essayais toujours d’apporter le point de vue des autres », explique-t-elle.

Elle compare son écriture à des enjambées légères au-dessus d’un ruisseau, de rocher en rocher.
« Dans cette métaphore, les pierres sont les faits historiques », explique Tokarczuk. « Et l’eau, mon imagination, ma créativité, ma capacité à incarner les faits. »
Elle dit avoir voulu écrire un livre susceptible d’être lu comme une œuvre historique, avec le même plaisir qu’un roman épique.
Tokarcuzk assure que l’ouvrage Les Livres de Jacob est, à ce jour, sa plus grande réussite littéraire, mais qu’il lui a énormément coûté.
Ses amis lui ont recommandé d’aller consulter un spécialiste en médecine chinoise, qui après l’avoir examinée, lui a demandé ce qu’elle avait bien pu faire pour épuiser à ce point ses réserves d’énergie.
Elle va mieux maintenant, mais, confie-t-elle, « Je ne suis pas sûre de refaire un jour quelque chose de semblable. »
Le prochain roman de Tokarcuzk, sur le point de sortir en Pologne, est un thriller.
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