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En Russie, la culture, nouvelle cible des tenants d’un retour à l’ordre moral

Ces attaques, notamment contre l'aspect "blasphématoire" d'une œuvre, repose sur un arsenal juridique qui ne cesse d'évoluer

Le directeur d’un théâtre limogé après un spectacle « blasphématoire », un film occidental interdit pour « insulte aux Russes », une école de danse fermée après un spectacle « indécent »: la culture en Russie est dans le collimateur du pouvoir et de l’Eglise orthodoxe, tenants d’un retour à l’ordre moral.

Ces attaques portées à la culture rencontrent souvent l’assentiment d’une société travaillée par les valeurs conservatrices et anti-occidentales prônées par le Kremlin sur fond d’isolement croissant du pays après plus d’un an de crise en Ukraine.

Depuis l’irruption en 1999 sur le devant de la scène politique de Vladimir Poutine, le pays a déjà connu plusieurs reprises en mains: les médias d’abord, puis le monde des affaires et de l’opposition politique, ainsi que les ONG de défense des droits de l’Homme. Désormais, c’est le domaine culturel qui semble visé. Et les autorités ont un plan.

« L’heure est venue de formuler notre propre vision de nous-mêmes, héritiers de la civilisation russe, grande et unique », a ainsi déclaré le ministre de la Culture Vladimir Medinski pour expliquer l’interdiction en Russie d’un thriller américain, « Enfant 44 », tiré d’un roman sur un tueur en série sévissant dans l’Union soviétique de Staline.

Ce film, où jouent notamment Vincent Cassel et Gary Oldman, présente des « êtres humains déficients » et déforme l’Histoire, a fustigé le ministre qui dit se dresser contre « ces clichés sauvages » destinés à écraser les Russes.

Auparavant, c’est le directeur du théâtre de Novossibirsk, en Sibérie, qui avait été limogé après la représentation d’une version de « Tannhäuser », un opéra de Richard Wagner, faisant de Jésus-Christ le personnage d’un film érotique. L’opéra avait déclenché la colère de l’Église orthodoxe et de spectateurs.

Dans le même temps, l’auteur d’une fresque murale à Perm (Oural), représentant une crucifixion du premier homme dans l’espace, Iouri Gagarine, en « Jésus de la science », risque jusqu’à un an de prison. Et dans l’enclave russe de Kaliningrad, une exposition du photographe canadien Frank Rodick, dont des portraits de sa mère morte, a également provoqué un scandale, le Patriarcat régional appelant à fixer « des limites au supportable dans l’art ».

Dans un tout autre genre, trois adolescentes filmées devant un monument de la Seconde Guerre mondiale alors qu’elles faisaient du « twerking », cette danse provocante en vogue sur les réseaux sociaux, ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 15 jours de prison. Et leur école de danse de Novorossiïsk, sur les bords de la mer Noire, fait l’objet de « vérifications » de la justice.

Censure et auto-censure

Les attaques, notamment contre l’aspect « blasphématoire » d’une œuvre, s’appuient sur l’arsenal juridique. En juillet 2013, les députés ont en effet adopté une loi instituant le délit d' »offense aux sentiments religieux des croyants ». De facto, la Russie faisait du blasphème un délit punissable d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison. Et si en 2013, les autorités ont dû vérifier une dizaine de cas d’offense, en 2014, le chiffre est monté à environ une cinquantaine.

Pour le cinéaste Sergueï Selianov, notamment producteur de dessins animés inspirés du folklore russe, cette nouvelle « censure veut combler le vide laissé par l’ancienne idée nationale enterrée en même temps que l’URSS ».

Le concept actuel de nation russe, précise Konstantin Remtchoukov, rédacteur en chef du quotidien Nezavissimaïa Gazeta, s’appuie sur « deux éléments obligatoires, le patriotisme et l’anti-occidentalisme ».

Ce sentiment anti-occidental vient de l’élite russe comme de la société cornaquée par des médias russes lancés dans une course à la critique des Occidentaux pour leur gestion du dossier ukrainien comme leur acceptation du mariage homosexuel.

Dernier exemple en date la semaine dernière: la troupe du Théâtre dramatique de Pskov, dans l’ouest du pays, a ainsi dénoncé… son propre spectacle.

Un des comédiens, Sergueï Popkov, a ainsi critiqué le rôle du nain couronné roi, y voyant « une allusion à notre président », Vladimir Poutine. « Nous devons nous protéger (…) contre l’Occident qui veut tout faire exploser ici! », a-t-il lancé avant d’exiger le retour de la censure artistique soviétique.

La Seconde Guerre mondiale ou « Grande Guerre patriotique », comme l’appellent les Russes depuis 70 ans, est le sujet intouchable par excellence. Et l’autocensure a évidemment commencé à faire son oeuvre, confinant parfois à l’absurde.

Ainsi, à Moscou, des librairies ont retiré de la vente « Maus », monument de la bande dessinée d’Art Spiegelman racontant la Shoah à hauteur d’homme, en raison d’une couverture sur laquelle figure une croix gammée jugée inappropriée avant le 70e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Une loi votée en décembre 2014 interdisant la « propagande nazie », les libraires ont préféré ne pas prendre de risque et faire disparaître l’ouvrage de leurs rayons.

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