Folie et mortalité dans un film d’art et d’essai israélien sur un étudiant de yeshiva
Avec un récit sombre et de la nudité masculine frontale, Tikkun, le nouveau film d'Avishai Sivan connaît un succès surprise - même pour le cinéaste

L’idée kabbalistique du « tikkun » comme forme de réparation et de guérison est un concept familier dans le judaïsme, y compris parmi les ultra-orthodoxes.
Beaucoup moins familier est le fait de décrire le monde ultra-orthodoxe avec un récit troublant, de la nudité masculine frontale et d’autres éléments choquants, comme le fait le sombre long-métrage israélien de deux heures intitulé « Tikkun. »
« Ce n’est pas un film facile », admet le réalisateur Avishai Sivan.
Primé en Israël et figurant dans la sélection officielle de principaux festivals de cinéma dans le monde entier, cette histoire d’un étudiant de yeshiva tourmenté a été projetée pour la première fois au Lincoln Center de New York ce mois-ci et joue dans d’autres salles sélectionnées à travers les États-Unis.
« Tikkun » est le deuxième volet de Avishai Sivan dans ce qu’il appelle sa trilogie religieuse, qui a commencé avec « Le Vagabond », l’histoire d’un jeune étudiant de yeshiva qui cherche le salut en errant dans les rues de la ville.
Ce film a été présenté au Festival de Cannes en 2010 dans la catégorie Quinzaine des réalisateurs et a obtenu les prix de meilleur premier long-métrage et de la meilleure photographie au Festival du film de Jérusalem en 2010.
« Après avoir terminé le premier film, j’ai senti que j’avais en moi beaucoup de matériel à partager dans un autre film. Voilà comment j’ai commencé à écrire ‘Tikkun,’ dit Sivan, 38 ans, qui ne vient pas d’une famille ultra-orthodoxe. Pour ‘Tikkun’, il a également été scénariste, co-producteur et le co-monteur.

Le film, qui a été projeté aux festivals de film de Telluride et de Mill Valley, est également une sélection officielle au festival New Directors / New Films et à la troisième WinterFest annuel du Jewish Film Institute. Il a remporté le prix de la meilleure photographie au Festival international du film de Valladolid au Mexique et à Locarno, en Italie, il a obtenu le Prix Spécial du Jury Léopard d’argent, avec une mention spéciale pour la cinématographie et le Prix Don Quichotte de l’IFFS.
Il a été nommé meilleur film israélien, meilleur scénario, meilleur acteur pour Khalifa Natour et meilleure photographie au Festival du film de Jérusalem en 2015.
Outre le cinéma, Sivan est l’auteur du livre « Rêveries sur le cinéma en faisant du vélo à travers la ville » (Sitra Akhra Publishing, 2011) et de tableaux qui ont été exposés dans des galeries et musées en Israël et à l’étranger.
Sivan est un natif de Or Yehuda près de Tel Aviv qui a grandi en allant dans les écoles publiques laïques mamlachti et a étudié plus tard le cinéma à la Camera Obscura School of Art de Tel Aviv.
Dans une interview avec le Times of Israel, il a parlé de son travail.
Je comprends que vous avez créé un certain nombre d’œuvres expérimentales. Qu’est-ce qui vous a amené à faire « Tikkun, » une œuvre racontant l’histoire d’un homme ayant frôlé la mort – ce qui ne le conduit qu’à plus de souffrances ?
L’histoire est un peu différente du « Vagabond », mon premier long-métrage, donc je ne sais pas vraiment comment j’ai sorti ces scènes surréalistes. Cela vient me frapper pendant que je dors ou marche dans la rue. Je n’ai pas vraiment de façon spécifique pour saisir mon imagination.
Toutes mes œuvres sont beaucoup plus radicales que cela. Ceci est un film dans lequel vous pouvez réellement voir une histoire. Tous les autres films sont beaucoup plus abstraits.
Comment vous sentez-vous suite à l’attention que le film a reçu ?
Les prix que je reçois – c’est flatteur et très surprenant. Bien que ce film soit très « d’art et d’essai » et convient à l’industrie des festivals, c’est aussi un film très radical et j’ai eu beaucoup de mal pour trouver des fonds.
Je n’avais pas vraiment pensé qu’il aurait du succès et recevrait des prix. C’est ma première fois en tant qu’artiste et en tant que cinéaste que je rencontre le genre de succès généralisé où ce film « Tikkun » est distribué à la fois aux États-Unis et en France et a gagné beaucoup de récompenses.
Je ne suis pas vraiment habitué à cela. Donc, il me met dans une situation où je suis surpris. Et d’autre part, je suis un peu gêné que je ne sache pas vraiment comment réagir. Et de toute évidence, cela a un bon côté. C’est agréable de recevoir des prix.

Comment a été votre expérience de travail avec la distribution diversifiée de Tikkun ?
Le personnage principal, Haim-Aaron, est interprété par Aharon Traitel qui était, dans son passé, un Hassid ultra-orthodoxe. Il a abandonné la religion à l’âge de 15 ans, ce n’est pas un acteur. Travailler avec lui, m’a beaucoup appris parce que je me ne viens pas de ce monde. C’était aussi fascinant pour moi parce que je devais créer une méthode pour qu’il apprenne à travailler pour le cinéma. Il n’est pas un professionnel et je pense qu’il s’agit de son premier rôle.
Le père [interprété par Khalifa Natour] et la mère [Riki Blich] sont joués par deux acteurs professionnels laïques et ne viennent pas du monde orthodoxe donc ils avaient besoin de faire quelques études et de recherches pour comment se comporter comme des hassidim. Et le père est interprété par un acteur palestinien alors pour lui, c’était un très grand défi.
Et c’est tout simplement incroyable, comment il a une façon dogmatique pour entrer dans tous les rôles qu’il fait, le regarder apprendre le yiddish et apprendre les prières, c’était incroyable et je suis plein d’admiration pour la façon dont il a réussi à obtenir une telle précision.
Quel rôle a dans le film votre propre système de croyance ?
Ce film n’est pas vraiment sur la foi juive. Il est sur la foi en général, et c’est ainsi que je suis arrivé à imaginer ce film. Je suis aussi un artiste et j’ai eu le temps avant de commencer le film à faire les choses d’une manière très professionnelle. J’ai eu un studio et peint sur toile, et dans ce processus, j’ai senti que c’est un peu comme essayer d’atteindre ma foi et d’atteindre le sublime. J’ai travaillé très dur et, finalement, le résultat est que j’ai oublié de manger et oublié de dormir, et sans m’en rendre compte, j’ai nui à ma santé.
« L’esprit veut atteindre et être relié à la dimension métaphysique, alors que notre corps essaie tout le temps de nous rappeler que nous ne sommes pas différents des animaux »
Le film ‘Tikkun’ aborde ce combat entre le corps et l’esprit. L’esprit veut atteindre et être relié à la dimension métaphysique – il fait de nous des êtres civilisés, intelligents, poétiques, alors que notre corps essaie tout le temps de nous rappeler que nous ne sommes pas différents des animaux. Et tout le temps vous devez jouer avec ces deux forces qui sont en nous.
Donc, je ne sais pas, ce n’est pas vraiment une sorte de croyance religieuse spécifique, mais une qui est plus universelle, sur comment les êtres humains ont besoin d’atteindre leur âme et de méditer et de briser le fait que le corps ressemble plus à un outil de l’âme .
Avez-vous des expériences de mort imminente qui ont influé sur votre décision de réaliser ce film ?
Je me suis souvent évanoui. Donc, je connais ce sentiment d’être temporairement « hors de cette vie. » Parce que je ne mange pas bien et je suis constamment faible et étourdi, et j’ai l’impression que je perds le contrôle de mon corps, et je suis un peu entre les mondes.
J’ai un léger goût de cela avec ma condition physique. Donc, je sais comment je le ressens, comme si mon corps est contre moi. Ou que mon corps me combat. Je suppose qu’habiter mon propre corps est une sorte de conflit dans ma vie quotidienne, et cela se repporte en quelque sorte à l’expérience de la mort. Cela est là tout le temps et je le ressens assez fortement.
Quel genre de juif êtes vous ?
Mes parents sont originaires de l’Ouzbékistan. Ils sont très traditionnalistes. Je suis très laïque, donc je n’ai pas vraiment avoir une définition classique ou spécifique pour ma façon d’interpréter le judaïsme.
Pourquoi avez-vous montré le héros, un étudiant de yeshiva, nu ?
‘Je ne pense pas que la nudité, ou la provocation ou les tabous soient hors de question pendant que vous faites un film’
Le cinéma pour moi est de l’art. Ce n’est pas un divertissement pour un public qui a besoin de fuir leur vie … Je ne pense pas que la nudité, ou la provocation ou les tabous soient hors de question pendant que vous faites un film. Tout est un outil qui doit défier l’art que vous essayez de faire.
Je ne pense pas que la nudité ou la provocation dans mon film soient juste de la nudité. C’est une partie organique de l’histoire… Le film doit montrer les choses dans cette société extrême, et la nudité fait partie du jeu, et une partie de l’histoire, et une partie de la vie, de sorte que même les hassidim peuvent être nus.
Quels sont vos projets actuels de scénarios ?
L’un sera d’un autre type de ce à quoi je suis habitué et ai fait jusqu’à présent – un thriller d’espionnage basé sur le livre israélien « Trois enveloppes » de Nir Hezroni. C’est l’histoire d’un agent qui travaille dans une organisation qui est similaire au Mossad, mais qui a une méthode très originale de travailler. C’est presque similaire à un attentat terroriste.
Le film sera appelé « Le Pirate » et j’espère le connecter en quelque sorte avec le roman « La Zone autonome temporaire » de Hakim Bey sur les endroits qui ne sont pas vraiment repertoriés sur des cartes, où les gens peuvent vivre de façon très libre et très clandestine. Mon agent sera ce genre de pirate qui fait son chemin à travers la technologie moderne … faisant des choses très simples, mais … très efficaces.
L’autre projet que j’ai est appelé ‘La femme de Lot.’ Je le développe également maintenant et ce sera le troisième volet de ma trilogie religieuse, qui comprend « Le Vagabond » et « Tikkun. » C’est sur un couple orthodoxe qui ne parvient pas à mettre au monde des enfants. Il s’agit d’une bataille entre le bien et le mal.
Comment travaillez-vous ?
J’écris tous les jours, pas nécessairement une scène, un script ou un traitement [mais] des petites histoires ou de la poésie ou des essais. Souvent je vais écrire des choses et découvre lors d’une relecture des passages que je devrais peut-être mettre dans un film. Je n’ai pas vraiment de façon claire d’écrire. C’est un peu comme la recherche de quelque chose qui est peut-être intéressant et surprenant, quelque chose que vous ne recevez pas habituellement tous les jours ou la routine de l’écriture.
J’essaye en permanence de me défier et de surprendre moi-même.
Quel type de joie ou de satisfaction trouvez-vous dans votre travail ?
‘Je ne ressens de la joie ou de la satisfaction qu’en temps réel que lorsque je crée’
C’est très difficile pour moi de répondre à cette question parce que je ne ressens de la joie ou de la satisfaction qu’en temps réel lorsque je crée, lorsque je termine une journée d’écriture, lorsque je termine une journée de tournage. Donc, une fois que tous ces processus sont finis … Je commence le projet suivant et essaye de trouver une autre joie ou satisfaction dans mon travail. Cela ne m’arrive que dans le temps présent, pas quand je pense au passé, ou je ne sais pas, à un futur projet.
Alors pourquoi faire des films?
Je ne pensais pas que je serais un cinéaste. Je pensais que je serais un peintre ou un artiste. Maintenant, je suis aussi un peintre et un artiste. Faire des films est très difficile. C’est énorme et cela exige beaucoup de personnes et de gros budget. Cela m’est arrivé.
C’est comme attraper une maladie dont vous ne pouvez pas vous débarrasser. C’est devenu une partie de ma vie quand j’étais adolescent. J’ai pensé que c’était le meilleur moyen de combiner ensemble tous les arts.
Je préfère communiquer en images. De plus mon hébreu n’est pas tellement bon. Je ne suis un homme de mots dans aucune langue. Voilà pourquoi j’ai fini par faire du cinéma.
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