Gantz ne risque-t-il pas de nuire à la démocratie qu’il a dit vouloir sauver ?
Renonçant à ses promesses électorales, le leader de Kakhol lavan fait l'éloge de l'unité au milieu des crises sanitaire et politique qui bouleversent Israël ; mais à quel prix ?
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Pendant 38 ans, Benny Gantz a mis sa vie en danger pour le bien de son pays. Son exceptionnelle carrière militaire a commencé par un rôle mineur dans le détachement de sécurité qui protégeait Anouar el-Sadate, lorsque le président égyptien a effectué sa visite bouleversante en Israël en 1977. Et elle l’a mené – grâce à des décennies de service héroïque en tant que membre de commando, officier et commandant supérieur au Liban, à Gaza et au-delà, y compris des opérations à haut risque derrière les lignes ennemies – jusqu’au bureau du chef d’état-major.
« Quand j’étais allongé dans les tranchées boueuses avec mes soldats par des nuits glaciales d’hiver, toi, Benjamin Netanyahu, a quitté Israël pour apprendre l’anglais et le pratiquer dans de luxueuses soirées mondaines », avait attaqué Gantz, avec une injustice cinglante, il y a à peine un an, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui l’avait nommé et félicité en tant que chef de l’armée israélienne, et qu’il entrait maintenant en politique pour tenter de remplacer.
Au cours des trois campagnes électorales amères menées depuis avril dernier, le général devenu homme politique, a été très près, mais pas assez, d’atteindre le sommet de sa deuxième carrière.
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Il s’est présenté comme l’alternative purificatrice au Netanyahu polluant – le M. propre d’Israël opposé au M. présumé corrompu ; une icône de la retenue personnelle comparée à l’hédonisme de Netanyahu fumant le cigare et buvant du champagne ; une figure désintéressée qui était venue pour servir la nation plutôt que d’agir comme un monarque. Il s’opposerait fermement, a-t-il insisté, au genre d’incitation anti-arabe fréquemment déployée par le Premier ministre. Il fut repoussé par l’intégration des disciples racistes de Meir Kahane par Netanyahu. Il s’est engagé en faveur de l’égalité pour tous, y compris les minorités qui se sentent privées de leurs droits en raison de la loi de l' »État juif » de Netanyahu. Il a rejeté la politique de division de ce dernier, la diabolisation de certains secteurs de l’électorat. Il agira, a-t-il juré, comme un défenseur dévoué des valeurs démocratiques d’Israël, et en particulier des hiérarchies d’application de la loi si malmenées par le président de la Knesset sortant.

Il s’est associé à une série d’autres responsables politiques, du centre-gauche (Yair Lapid) à la droite belliciste (Moshe Yaalon), dont le seul objectif commun était l’impératif déclaré d’évincer du bureau du Premier ministre le dangereux Netanyahu. Et à la tête de leur alliance Kakhol lavan, il a obtenu le soutien d’un quart des électeurs israéliens, tout comme le Likud, lors de ces trois élections. À chaque fois, plus d’un million d’Israéliens, debout dans l’isoloir et contemplant le plateau de bulletins blancs, ont décidé que, oui, c’était Benny Gantz qu’ils voulaient. Benny Gantz, l’homme qui ne siégerait jamais dans le gouvernement d’un Premier ministre qui s’accroche au pouvoir tout en luttant contre les accusations de corruption. Benny Gantz, le démocrate.
Et puis est arrivé jeudi soir.
Après une journée de négociations et de tromperie, sombre même selon les normes de la politique israélienne, Gantz a émergé, de façon extraordinaire, en tant que président du Parlement nouvellement élu, une étape intermédiaire sur un chemin, a-t-il indiqué, qui est maintenant prêt à le mener haut dans le gouvernement. Dans les bras de ce même Netanyahu soi-disant déplorable qu’il avait assuré à tous ces électeurs, à chaque fois, qu’il éviterait. Et à partir de là, selon les termes d’un pacte défini mais non finalisé, il est censé lui succéder dans environ 18 mois.

Dans son premier discours au perchoir de la Knesset, et dans plusieurs déclarations ultérieures, Gantz a expliqué ses actions en des termes qui ont suscité une multitude de réactions passionnées et contradictoires – des hurlements d’horreur de ses alliés abandonnés face à sa perfidie, ses doubles tractations et sa reddition, aux éloges de ses nouveaux « partenaires » pour son courage ; des commentateurs saluant son sacrifice aux critiques se moquant de sa naïveté.
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Comme Gantz l’a présenté à juste titre, « ce ne sont pas des temps normaux, et ils exigent des décisions atypiques ». Israël tente de lutter contre une pandémie, alors qu’il est affaibli par son impasse politique prolongée, sous une direction qui fait preuve de mépris pour notre démocratie et suscite la méfiance de la population à son égard.
D’un seul coup, affirme l’ancien chef militaire, il peut maintenant commencer à réparer tous ces torts. Grâce à lui et à tous ses fidèles qu’il pourra faire entrer dans la coalition de Netanyahu, Israël aura l’esprit plus fin pour assurer une meilleure gestion de la crise du coronavirus. Notre paralysie politique sera enfin derrière nous. Et il y aura une nouvelle voix forte au sein du gouvernement pour défendre l’égalité et l’intérêt national au sens large, pour s’opposer aux incitations anti-arabes et au racisme, pour protéger la démocratie vacillante d’Israël.
Et comment mieux commencer cela, a-t-il indiqué, qu’en prenant le poste de Yuli Edelstein, du Likud, qui, comme l’a si bien dit Gantz, « a craché au visage » des juges de la Haute Cour à peine 24 heures plus tôt, défiant sans précédent leurs décisions, démissionnant et fermant la maison.
Or, il existe un danger évident que ce que Gantz a fait n’ouvre pas la voie à une ère plus propre, à une norme plus élevée.

On peut l’applaudir d’avoir choisi l’unité plutôt que ses propres ambitions de Premier ministre. On peut aussi applaudir son appréciation louable selon laquelle Israël, au milieu de la pandémie, devrait être épargné d’une quatrième élection, si ni lui ni Netanyahu ne peuvent former une coalition stable sans l’autre. On peut en outre applaudir sa reconnaissance implicite que Netanyahu rassemble tout son savoir-faire, ses contacts et son expérience pour conduire efficacement Israël à travers cette crise sanitaire.
Mais s’il finit par croire que le maintien au poste de Premier ministre du Netanyahu qui divise renforce l’unité, il n’aurait sûrement jamais dû se placer à la tête de l’opposition.
Et la solution de principe n’aurait-elle pas plutôt été de soutenir la coalition Netanyahu de l’extérieur, en lui fournissant une majorité sûre jusqu’à ce que la pandémie soit vaincue, en la soutenant sur des questions d’intérêt national et en la limitant ailleurs telle une opposition efficace ? Si Netanyahu avait alors rejeté cet arrangement patriotique d’urgence en ces temps si atypiques, cela aurait été le Premier ministre, et non Gantz, qui aurait plongé le pays dans une élection évitable au plus fort d’une crise sanitaire mondiale.
Gantz semble penser qu’il sacrifie sa carrière politique pour le bien de la nation, plaçant « Israël avant tout » comme le disait le slogan de campagne de son parti. La preuve ostensible de cela ? Gantz ne serait pas du tout certain que Netanyahu honore sa promesse dans le cadre de leur accord toujours pas signé – pas du tout certain, que Netanyahu lui remettra le poste de Premier ministre le jour venu. Il faudrait donc conclure qu’il ne s’agit pas d’une question d’ambition personnelle.
Mais dans l’intervalle, l’alternative qu’il a construite – à celui qui a mis en doute sa stabilité mentale et l’a ridiculisé en le qualifiant d’inapte à
diriger ; à celui que lui, Gantz, a décrit comme un provocateur à la haine, une figure de division déchirant Israël, un bourreau de la démocratie – cette alternative s’est effondrée. Le chef du parti qui a renvoyé un de ses propres membres de la Knesset il y a quelques semaines pour avoir envisagé de faire défection au profit du Likud a orchestré la défection de toute son alliance – choquant, humiliant et discréditant ses anciens alliés. Il faudra de longues années avant qu’une opposition efficace, crédible et largement soutenue n’émerge à nouveau.
Gantz n’est plus un chef militaire, dont le travail est d’essayer de trouver la voie la plus sûre pour avancer, et d’exiger que la base suive. Il est aujourd’hui un leader politique, élu sur la base des positions qu’il a adoptées et des promesses qu’il a faites
Il y a moins d’un mois, 1 220 381 Israéliens se sont rendus aux urnes dans tout le pays et ont voté pour Kakhol lavan, un parti qui n’a cessé de répéter un engagement solennel envers l’électorat – ne pas siéger dans un gouvernement avec Netanyahu. Comment la rupture de cette promesse est-elle compatible avec son engagement envers ces électeurs ? (Gantz était apparemment déjà prêt à rompre un autre vœu important – celui de ne pas chercher une coalition dépendant de quelque façon que ce soit de la Liste arabe unie forte de 15 députés). Pas facilement, comme il le reconnaît lui-même, en dépit d’un sondage d’opinion réalisé vendredi soir à la télévision montrant que 56 % des électeurs de Kakhol lavan le soutenaient, contre 39 % qui le désapprouvent.

Sa présence au sein du gouvernement, si elle se concrétise, ne devrait pas atténuer de manière significative la crise du coronavirus, dont le potentiel dévastateur a été reconnu par Netanyahu plus rapidement que par la plupart des autres dirigeants du monde. Il pourrait s’avérer capable de limiter certaines des autres actions du gouvernement – de placer des alliés à des postes clés pour réduire l’influence des composantes de droite et ultra-orthodoxes de la coalition, par exemple, et de changer le ton de l’interaction du gouvernement avec les minorités d’Israël – mais on ne sait pas exactement quelle sera son influence, à la tête d’un groupe d’une quinzaine de députés aux côtés d’un bloc de 58 personnes dirigé par Netanyahu. Et si, comme on l’a rapporté samedi soir, les députés Zvi Hauser et Yoaz Hendel du parti Telem déserteur de Kakhol lavan, et Orly Levy-Abekasis de Gesher, sont également prêts à rejoindre la coalition, Netanyahu aura 61 députés qui soutiendront largement sa politique, et Gantz aura encore moins d’influence.
Il peut insister encore et encore sur le fait que ses motivations étaient bonnes, et elles l’étaient très probablement. Mais Gantz n’est plus un chef militaire, dont le travail est d’essayer de trouver la voie la plus sûre pour avancer, de donner les ordres pertinents, de diriger depuis le front et d’exiger que la base suive. L’homme qui a risqué sa vie pour protéger ce pays pendant 38 ans est aujourd’hui un leader politique. Il est un serviteur du peuple, élu sur la base des positions qu’il a adoptées et des promesses qu’il a faites, et il s’attendait – dans le pacte fondamental qui unit les électeurs et ceux qu’ils choisissent pour les représenter – à se tenir à ces positions et à honorer ces promesses.
En abandonnant son engagement politique fondamental et en détruisant ainsi inévitablement et immédiatement son parti, ne risque-t-il pas de transformer une autre frange d’un électorat déjà méfiant en cyniques, qui mettront longtemps à faire confiance à nouveau à un responsable politique ?
En d’autres termes, Benny Gantz, qui s’est engagé avec tant de sérieux depuis le perchoir de la Knesset jeudi dernier à restaurer la démocratie israélienne, ne risque-t-il pas plutôt de se placer dans les rangs de ceux qui l’affaiblissent ?

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