Gaza: les fusillades meurtrières près des sites d’aide restent une menace quasi quotidienne
Alors que près de 500 personnes auraient été tuées alors qu'elles tentaient de rejoindre les sites de la Fondation humanitaire de Gaza, Tsahal affirme s'efforcer de réduire les points de friction - même si les tirs continuent

Près d’un mois après les premières informations qui avaient fait état de fusillades meurtrières autour des sites de distribution de l’aide humanitaire dans les zones de Gaza qui sont placées sous contrôle militaire israélien, les incidents meurtriers faisant de nombreuses victimes continuent de se produire presque quotidiennement.
La Fondation humanitaire de Gaza, qui gère les sites d’aide, a toujours rejeté toute responsabilité dans la mort de centaines de personnes qui tentaient d’obtenir de l’assistance. L’armée israélienne, qui est accusée d’avoir ouvert le feu, a exprimé ses regrets dans certains cas et elle a affirmé qu’elle mettait en place des changements qui visaient à faciliter l’accès des Gazaouis aux sites.
Mais alors que l’armée israélienne affirme enquêter sur ces incidents, ces derniers semblent toutefois se poursuivre à un rythme soutenu.
Entre le 27 mai et le 24 juin, au moins 19 incidents impliquant des tirs de l’armée israélienne en lien avec la distribution de l’aide humanitaire ont été recensés, selon une analyse des informations en provenance de Gaza qui a été réalisée par le Times of Israel. Des chiffres qui n’ont pas été confirmés par les autorités israéliennes.
Dans de nombreux cas, l’armée israélienne a refusé de répondre aux questions portant sur les incidents, ou elle a indiqué ne pas en avoir eu connaissance. La majorité de ces incidents n’ont pas donné lieu à des éléments de preuve sur place – comme des photographies. Seules des images de corps sans vie et de blessés arrivant dans les hôpitaux de Gaza ont été diffusées.
Le 23 juin, le ministère de la Santé de Gaza, placé sous la direction du Hamas, a annoncé que 467 personnes avaient perdu la vie alors qu’elles attendaient de l’aide humanitaire – ce depuis le début des opérations de la Fondation, le 26 mai. 3 602 autres personnes auraient été blessées. Ces chiffres n’ont pas été vérifiés de manière indépendante. Alors qu’il lui était demandé le nombre d’incidents similaires dont elle avait connaissance, l’armée israélienne a refusé de répondre au Times of Israel.

Selon des informations en provenance de la bande de Gaza, la grande majorité de ces incidents se sont produits à proximité des centres de distribution de la GHF – soit à l’ouest de Rafah, dans le sud, soit à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza. Il y aurait également eu un incident lorsqu’une foule s’est rassemblée autour d’un camion qui transportait de l’aide humanitaire à Khan Younès.
De nombreux blessés sont d’ailleurs transportés à l’hôpital Nasser de Khan Younès.
« Chaque jour (au cours du dernier mois), nous avons pris en charge environ 60 blessés et 20 morts suite à ces incidents », a déclaré un médecin de l’hôpital au Times of Israel via WhatsApp. « La plupart des blessures sont causées par des tirs à balles réelles ; certains ont été touchés par des tirs de chars ».
La Croix-Rouge a indiqué au Times of Israel qu’entre le 27 mai et le 19 juin, environ 1 874 victimes avaient été admises dans un hôpital de campagne qu’elle gère à Rafah. Cent avaient été déclarées mortes.
Selon l’organisation, environ 90 % des personnes soignées avaient été blessées dans le cadre d’incidents qui avaient fait de nombreuses victimes. La majorité d’entre elles avait confié avoir été touchées alors qu’elles tentaient d’obtenir des aides humanitaires ou à proximité des centres de distribution à Rafah.

Lors d’une conférence de presse qui a eu lieu cette semaine, Jonathan Whittall, chef du bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies à Gaza, a affirmé que le nombre de morts pourrait être encore plus élevé que celui annoncé.
« Nous constatons une tendance à tuer lorsque les forces israéliennes ouvrent le feu sur des foules rassemblées pour obtenir de la nourriture », a expliqué Whittall, qui a rencontré certains des blessés. « Les personnes touchées sont souvent hors de portée des ambulances. On nous dit que des personnes sont portées disparues, présumées mortes, à l’intérieur de ces zones contrôlées par l’armée ».
Un environnement complexe
La GHF gère quatre centres de distribution, tous situés dans des zones placées sous le contrôle sécuritaire de l’armée israélienne, loin de la plupart des zones civiles.
Trois de ces centres sont situés à l’ouest de Rafah. Un quatrième est installé dans le corridor de Netzarim, à proximité des camps de réfugiés de Nuseirat et d’al-Bureij, dans le centre de Gaza. Ils ne fonctionnent pas tous en même temps – deux ou moins étant généralement ouverts à un moment donné.
La GHF, créée avec l’appui des États-Unis et d’Israël, a été créée en tant que mécanisme alternatif aux efforts humanitaires soutenus par l’ONU qui avaient été déployés dans la bande de Gaza pendant la majeure partie de la guerre. Selon Israël, ce nouveau système s’est avéré être nécessaire en raison du détournement de l’assistance par le Hamas, qui vendait les marchandises au marché noir pour financer ses activités et notamment pour financer le recrutement de nouveaux terroristes, ses forces ayant été décimées. Une affirmation qui a été démentie tant par le groupe que par l’ONU.
Après avoir interrompu les livraisons d’aide humanitaire pendant plus de deux mois – l’entrée au sein de l’enclave côtière avait été refusée aux camions au début du mois de mars – Israël a de nouveau autorisé, chaque jour, l’arrivée de dizaines de poids-lourds chargés d’assistance dans la bande de Gaza. Une partie de cette aide est destinée aux organisations humanitaires soutenues par l’ONU, qui continuent de mener des opérations dans les zones peuplées – mais la majeure partie est réservée à la GHF.
L’ONU, qui supervisait auparavant le travail de distribution des aides humanitaires, s’est opposée à cette nouvelle initiative, dénonçant ce qui s’apparente, selon elle, à une violation du principe d’indépendance des acteurs humanitaires. Les Nations unies ont par ailleurs estimé que le plan était insuffisant et qu’il ne permettrait pas de résoudre la crise alimentaire à Gaza, qualifiant ce modèle « d’échec ».
En plus des incidents meurtriers, de nombreux témoignages qui ont été recueillis par le Times of Israel ont fait état d’un manque d’organisation dans la distribution de l’assistance aux civils, dans les centres, ce qui a entraîné le chaos et des pillages.
Selon la GHF, au 19 juin, 572 640 cartons de nourriture avaient été distribués depuis le début des opérations, ce qui représente environ 33 millions de repas. La nourriture fournie se compose généralement de produits secs qui doivent être cuits, malgré une grave pénurie de gaz.

Johnnie Moore, qui dirige la GHF, a noté que l’organisation s’efforçait d’améliorer ses opérations et d’atteindre le plus grand nombre possible de Gazaouis, mais il a souligné les complications liées au travail dans une zone de guerre.
« Il est très important que les gens comprennent que ce qui se passe dans les centres de distribution est une chose. Il s’agit d’un environnement incroyablement complexe », a-t-il déclaré au Times of Israel. « Il est indéniable que le Hamas a tout mis en œuvre pour cibler spécifiquement les civils, afin de les dissuader de se procurer de la nourriture gratuite ».
« Mais c’est une guerre active », a-t-il ajouté. « Il est dangereux de se trouver n’importe où dans la bande de Gaza. Le plus dangereux est de se trouver dans le domaine du Hamas ».
Des tirs dans la foule
La plupart des fusillades signalées ont eu lieu tôt le matin, au moment où les civils tentaient de traverser les lignes de Tsahal pour rejoindre les sites de distribution. Des vidéos filmées à Gaza ont montré de grandes foules rassemblées aux abords des centres.
Dans au moins certains cas, les tirs ont semblé se produire alors que la foule, qui essayait d’accéder au site de distribution de l’aide, se rapprochait des positions militaires israéliennes.
Le 3 juin, l’armée a déclaré avoir tiré sur des individus qui s’écartaient d’un passage approuvé, alors que des groupes de Gazaouis se dirigeaient vers un site de la GHF.
« Les soldats ont tiré des coups de semonce et, comme les suspects ne se retiraient pas, ils ont dirigé d’autres tirs plus près des individus, qui ont pour leur part continué à s’approcher », a annoncé l’armée après l’incident. « La fusillade a eu lieu à environ 500 mètres du site. Elle visait des individus dont le comportement – ils avançaient sur les soldats – constituait une menace. »

Selon certaines informations, 24 personnes ont été tuées dans cet incident.
Un Palestinien impliqué dans les opérations de secours a déclaré au média jordanien Al-Ghad que des femmes et des enfants figuraient parmi les victimes. « Il y a eu de nombreux morts et blessés sur le site », a-t-il indiqué. « La plupart étaient touchés à la tête. »
Le 17 juin, Tsahal a répondu à des informations selon lesquelles ses soldats avaient ouvert le feu sur des demandeurs d’aide qui se pressaient autour d’un camion à Khan Younès.
« Une foule de Gazaouis a été repérée près d’un camion d’aide humanitaire resté coincé dans la région de Khan Younès, à proximité des soldats de Tsahal qui opéraient dans les environs », a fait savoir l’armée dans un communiqué. « Les informations concernant les victimes de tirs de Tsahal dans un contexte de foule qui s’approche sont connues. Les détails sont en cours d’examen. Tsahal regrette tout préjudice causé aux civils non impliqués, et assure faire tout ce qui est possible pour minimiser ces dommages tout en préservant la sécurité de ses soldats. »
Selon les habitants de Gaza, 59 personnes ont été tuées, notamment par des obus tirés sur la foule par des chars.
« Les gens ont pris des boîtes de conserve dans le camion. Ils étaient affamés. Face au pillage, les camions ont dû battre en retraite. Ils ont dit que d’autres camions allaient arriver. La foule s’est dirigée vers la ligne rouge. Dans les cinq minutes, un char nous a tiré dessus », a raconté un civil gazaoui au site Arab 48 depuis l’hôpital Nasser. « Je me suis caché… ensuite, je suis allé chercher un homme, une fille et une femme – tous blessés par des tirs – je les ai mis sur ma moto et le les ai emmenés ici (à l’hôpital) pour qu’ils puissent être soignés. »

Une autre femme gazaouie qui se trouvait sur les lieux a rapporté à Al Jazeera que le char avait fait feu presque immédiatement. « Nous n’avons même pas réussi à attraper de sac de farine avant que les obus ne tombent », a-t-elle ajouté. « C’était indescriptible. Certains ont eu des membres sectionnés. D’autres sont mort. Des gens sont devenus des cadavres. »
Au début du mois, Tsahal avait prévenu les Palestiniens de ne pas s’approcher des routes menant aux sites de la GHF entre 18 heures et 6 heures du matin, désignant ces zones comme des zones militaires fermées. Mais la GHF a pour sa part soutenu que ses centres resteraient ouverts durant ces horaires.
Selon un porte-parole de la GHF, l’idée selon laquelle la Fondation se rendait complice des massacres en ouvrant ses sites durant des horaires interdits par Tsahal est « profondément trompeuse et offensante compte tenu de la réalité du terrain ». Il a souligné le désespoir des personnes à qui son organisation tente de venir en aide.
« Nous ne voulons pas ouvrir nos sites au milieu de la nuit. Nous y sommes contraints, parce que des milliers de civils désespérés, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, se rassemblent devant nos portes », a expliqué le porte-parole. « Gaza, à l’heure actuelle, n’est pas un environnement sous contrôle. C’est une urgence humanitaire. Les gens meurent de faim, et leur désespoir crée des conditions dangereuses, auxquelles aucun horaire ni programme ne peut remédier. »

Selon le porte-parole, qui a demandé à s’exprimer sous couvert d’anonymat, les camions d’aide de l’ONU sont en outre « presque entièrement pillés par des groupes armés. L’ONU reconnaît que certains pillages sont un problème, mais nie que la majeure partie de l’aide soit volée. »
« La vérité – inconfortable – est la suivante : tant qu’il n’y aura pas suffisamment d’aide à Gaza, il ne pourra pas y avoir de distribution ‘ordonnée’ », a affirmé le porte-parole. « Si l’ONU et d’autres organisations humanitaires se joignaient à nous, nous pourrions étendre nos distributions d’aide à Gaza. Les bénéficiaires n’auraient plus à tenter d’entrer sur les sites de distribution des heures à l’avance, ou de prendre des raccourcis désespérés et dangereux. »
Interrogée sur les nombreuses fusillades, Tsahal a répondu qu’elle travaillait à l’amélioration des procédures le long des itinéraires menant aux sites de distribution d’aide.
« Les forces de Tsahal suivent des processus d’apprentissage systématiques visant à améliorer les réponses opérationnelles et à minimiser les frictions potentielles avec la population civile », a indiqué l’armée dans une déclaration au Times of Israel. « Dans ce cadre, les forces de Tsahal ont récemment travaillé à la réorganisation de la zone par notamment l’installation de nouvelles clôtures, la signalisation, l’ouverture de voies d’accès supplémentaires, etc. Les allégations signalées sont connues, et sont actuellement examinées par les organes compétents, comme le veut la règle. »

L’armée a également accusé le Hamas de « faire tout ce qui est en son pouvoir pour saboter l’effort de distribution de nourriture à Gaza, perturber l’aide humanitaire, nuire directement aux civils de la bande, et opérer sous couverture civile pour tenter d’attaquer les forces de Tsahal. »
L’armée a refusé de répondre à la question de savoir si elle utilisait les tirs à balles réelles comme procédé de gestion des foules, ainsi que l’a prétendu un officier cité dans un article du quotidien Haaretz concernant une fusillade mortelle le 1er juin.
Selon Moore, l’entassement des foules autour des sites du GHF devrait s’atténuer une fois que l’organisation serait en mesure d’intensifier ses activités et de fournir davantage d’aide à plus de Gazaouis.
« Nous sommes en mesure de faire évoluer l’opération, et de passer de deux à quatre sites de distribution par jour. Une partie du problème devrait donc se résorber naturellement, en particulier lorsque nous pourrons être plus actifs dans le Nord. »
« Ce dont vous êtes témoins ici depuis le début est le reflet de l’insécurité alimentaire” », a-t-il poursuivi. « Ils ont besoin de ces denrées. »
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