GB : pour un dirigeant juif, les résultats électoraux sont une “défaite” pour la communauté, et pour Israël
Le président du Board of Deputies britannique Jonathan Arkush estime que le vote pourrait soutenir “la faction d'extrême-gauche” du Labour, mais rejette l'idée que les avancées de Corbyn puissent encourager les Juifs à quitter le Royaume-Uni

Un grand nombre de personnes au sein de la communauté juive britannique espérait que les élections législatives de jeudi seraient le coup de grâce porté à Jeremy Corbyn. Une lourde défaite prévue pour le président du Labour, et son départ en conséquence, auraient mis un terme à une période d’antisémitisme rampant perçue au sein du parti et à l’incertitude de son attitude envers Israël, anticipaient-ils.
Mais quand les sondages de sortie des urnes ont été publiés à 22h00 et que les résultats réels de l’élection ont afflué pendant la nuit, ces espoirs ont été anéantis par la nouvelle : les conservateurs ont réalisé une contre-performance et, même s’ils conservent leurs sièges principaux, leur majorité parlementaire a éclaté.
Montant à la tribune dans sa circonscription d’Islington North, c’est un Corbyn plein d’entrain qui a déclaré que la Première ministre Theresa May n’avait pas reçu de mandat pour diriger le pays et qu’il l’appelait à démissionner. Le parti de Corbyn, qui a spectaculairement gagné 29 sièges au lieu de subir l’effondrement qu’anticipaient les critiques, est « prêt à servir », a-t-il ajouté. Loin d’être désavoué au poste de leader du Labour, sa position à la barre du parti se trouve renforcée.
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Alors que le Labour a sidéré les instituts de sondage et les experts en remontant un retard qui, à un moment, atteignait les 26 points, aucune formation politique n’a toutefois remporté les 326 sièges nécessaires à la Chambre des Communes pour former une majorité gouvernementale et aucune ne peut donc revendiquer ce scrutin comme étant un triomphe absolu.

Pour la communauté juive et Israël, le résultat est cependant une « défaite » sans équivoque, du moins selon Jonathan Arkush, qui préside le Board of Deputies, le Conseil de représentation des Juifs du Royaume-Uni.
« Si le parti au gouvernement, qui est un fort soutien d’Israël, perd tant de terrain, alors évidemment, cela a l’air d’une défaite pour Israël et la communauté juive », a dit au Times of Israël Arkush, actuellement en Israël, pendant une interview réalisée vendredi matin.
Et cette défaite est aggravée, dit-il, lorsqu’il s’agit de prendre en considération les avancées du Labour. Le parti de Corbyn, a-t-il estimé, « a des politiques qui soutiennent Israël, qui soutiennent la solution à deux états » mais verra sa « faction d’extrême-gauche, qui montre beaucoup moins de sympathie envers les inquiétudes israéliennes » enhardie par cette démonstration de force.
Le problème juif de Corbyn
Corbyn, qui a pris la tête des Travaillistes en 2015, est un politicien d’extrême-gauche en lequel, avait indiqué Arkush dans le passé, « la majorité de la communauté juive ne peut pas avoir confiance » en raison de ses éloges du Hezbollah et du Hamas et de sa gestion de la rhétorique antisémite présente parmi certains de ses partisans, qui avait été considérée comme un échec.
Depuis un an et demi que Corbyn est devenu le chef du Labour, les controverses sur l’antisémitisme dans son parti et ses critiques constantes des politiques israéliennes ont multiplié les couvertures médiatiques. Un grand nombre de Juifs, électeurs du Labour depuis toujours, avaient dit qu’ils ne pourraient pas apporter leur suffrage aux candidats travaillistes lors du scrutin des législatives. Certains ont mis en doute la sincérité de Corbyn lors de ses tentatives de tendre la main à la communauté juive.
Le parti conservateur de May, de l’autre côté, est perçu comme adoptant une posture pro-israélienne plus prononcée et a gagné un large soutien au sein de la communauté juive. Lors d’un message délivré à l’occasion de Rosh Hashanah en 2016, son premier discours direct à la communauté juive depuis qu’elle avait succédé à David Cameron, May avait salué la relation entre le Royaume-Uni et Israël et réaffirmé le positionnement de longue date du pays de soutien au droit d’Israël à se défendre.
« Globalement, sans aucun doute, le résultat sera décevant pour Israël et décevant pour la communauté juive », a commenté Arkush vendredi, ajoutant que l’ « odeur de l’antisémitisme plane encore dans certaines sections du parti [du Labour]. »

Critiquant une campagne « terne » de la part du parti conservateur avec un « manifeste fastidieux, un message négatif et une série de graves erreurs », Arkush a concédé le fait que, malgré les inquiétudes des Juifs, une grande partie de la population du Royaume-Uni avait fait le choix d’ignorer les informations d’antisémitisme au sein du Labour en se rassemblant derrière le message « d’espoir » projeté par Corbyn.
« Souvenez-vous en, a-t-il conseillé. Lorsque vous représentez la moitié de un pour cent de la population, l’écrasante majorité n’a certainement aucune idée de ce que sont les Juifs et n’en a peut-être jamais rencontré. Le débat sur l’antisémitisme a probablement signifié peu de choses pour eux. »
« Je pense que les problèmes continueront et qu’ils continueront également à empoisonner le Labour, je ne pense pas que cela va beaucoup changer. De la même manière, je pense que la réticence affichée par Corbyn à l’idée de s’attaquer à cette question avec un désir véritable de s’en débarrasser, je ne pense pas que cela va changer non plus »
Jonathan Arkush
Une défaite sans concession du Labour aurait-elle forcé le parti à réévaluer sa position envers Israël et la communauté juive ? Arkush – qui a noté que le parti dans son ensemble avait œuvré pour expulser de ses rangs les membres qui s’étaient livrés à des commentaires antisémites – a répondu que l’état de tension continuerait probablement.
« Je pense que les problèmes continueront et qu’ils continueront également à empoisonner le Labour, je ne pense pas que cela va beaucoup changer, a-t-il dit. De la même manière, je pense que la réticence affichée par Corbyn à l’idée de s’attaquer à cette question avec un désir véritable de s’en débarrasser, je ne pense pas que cela va changer non plus. »
Mais Arkush a rejeté l’idée que si Corbyn l’avait définitivement emporté – ou même s’il parvenait à bouleverser encore une fois l’establishment politique et qu’il était amené à former un gouvernement et à devenir Premier ministre dans les prochaines semaines – certains membres de la communauté juive pourraient reconsidérer leur place au Royaume-Uni.
« Je ne pense pas que nous ayons nécessairement apprécié son attitude envers Israël, mais je ne pense pas qu’il soit une menace pour la communauté juive, et j’ai vraiment pensé que ce débat était exagéré », a-t-il estimé, évoquant la suggestion qu’un Premier ministre Corbyn forcerait les Juifs à envisager l’alyah (l’immigration en Israël).
Après tout, a noté Arkush, le parti travailliste de Corbyn soutient le rituel de shechita [abattage rituel] et les écoles confessionnelles et, finalement, la politique israélienne figurant dans son manifeste (qui comprenait la promesse d’une reconnaissance immédiate de l’état palestinien) est « basiquement la même » que lors des années précédentes.
« Même si, bien sûr, de nombreuses personnes pourraient être peu satisfaites par certaines de ses politiques, je pense que ce serait comme d’habitude avec quelque chose qui ressemblerait à une reconnaissance des Palestiniens, a expliqué Arkush. Mais non, je ne pense pas que cela puisse devenir un moteur pour l’Alyah. »
Changement de l’intérieur
Malgré l’animosité d’un grand nombre de personnes au sein de la communauté, le rejet des Juifs du parti travailliste n’est toutefois pas global.
Un sondage portant sur les préférences électorales avant le scrutin avait indiqué que si seulement neuf pour cent des Juifs âgés de plus de 55 ans soutenaient le Labour, ce nombre augmentait à 23 % parmi les 18-34 ans. Un chiffre encore bas mais non négligeable.
Tentant d’utiliser le vote juif en faveur du parti, deux cadres du mouvement juif (JLM) du Labour se sont présentés contre deux parlementaires conservateurs pro-israéliens dans des zones avec une forte population juive.
Le président du JLM Jeremy Newmark et son vice-président Mike Katz ont défié respectivement Mike Freer et Matthew Offord dans les circonscriptions adjacentes de Finchley et Golders Green — ancien siège de Margaret Thatcher — et de Hendon à Londres. Leurs deux sièges sont à Barnet, cœur de la communauté juive du nord de Londres.
Si Newmark et Katz ont été écartés, ils ont cependant réussi à augmenter la part de voix en faveur du Labour lors du vote.
Certains, au sein de la communauté juive, ont critiqué le JLM, pour avoir ciblé les circonscriptions de parlementaires pro-israéliens. Arkush a indiqué que s’il avait été content de voir Freer et Offord conserver leurs sièges, il a compris et salué les efforts « controversés » visant à influencer le Labour depuis l’intérieur.
La stratégie du JLM, a expliqué Arkush, « était de dire après les élections, la main sur le cœur, que nous avons tout fait pour une victoire du parti, malgré notre opposition claire et ouverte à son chef ». Personne dans la formation n’aurait pu les accuser d’être des « traîtres » ou d’avoir simplement tenté de nuire à la cause du Labour de quelque manière que soit, a-t-il ajouté.

« Cela permettrait aux membres du mouvement juif du Labour de dire haut et fort et fièrement : ‘nous avons travaillé dur pour cette élection et vous devez prendre au sérieux nos inquiétudes. C’est notre parti tout autant que le vôtre et vous devez nous écouter après l’élection, avec même plus d’attention que vous ne le faisiez auparavant' », a commenté Arkush, évoquant une stratégie correcte.
Acceptant sa défaite – avec peu d’écart, environ 1 600 votes – Newmark, qui s’est exprimé dans sa circonscription de Finchley et de Golders Green, a promis vendredi de « continuer à combattre le racisme et l’antisémitisme dans la société, au parlement et, si nécessaire, au sein de mon propre parti. Les résultats de Barnet indiquent que peu de gens pense qu’il y existe. »
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