Inquiétude chez les alliés d’Israël: qui, de Netanyahu ou de Ben Gvir, tient les rênes ?
La présence du ministre sur le mont du Temple compromet les ambitions diplomatiques du Premier ministre, qui, pour faire la paix avec les Saoudiens, doit prouver que c’est lui qui commande
Ce n’est sans doute pas ce que Benjamin Netanyahu espérait pour sa première semaine de retour au poste de Premier ministre.
Lui qui est l’une des figures les plus expérimentées de la scène diplomatique mondiale avait mis la politique étrangère en tête des priorités de son programme.
« Le gouvernement fera de son mieux pour promouvoir la paix avec nos voisins tout en préservant la sécurité et les intérêts, notamment historiques, d’Israël », a-t-il promis lors de l’exposé des priorités de son gouvernement.
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« Nous sommes unis autour d’objectifs nationaux clairs et nous travaillerons ensemble pour les atteindre », a-t-il promis au début du Conseil des ministres de mardi, ajoutant que l’ouverture des Accords d’Abraham à d’autres pays arabes était l’un des objectifs consensuels de son gouvernement.
Netanyahu avait reproché au précédent gouvernement Naftali Bennett-Yair Lapid de ne pas avoir intégré de nouvel État aux accords de 2020, tout en affirmant que lui seul pouvait réitérer le tour de force accompli deux ans plus tôt, à la toute fin de son précédent mandat.
D’un point de vue extérieur, Netanyahu et ses alliés semblaient certains de parvenir à la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite, royaume sunnite riche en pétrole et protecteur des villes les plus saintes de l’islam, La Mecque et Médine.
Or, au moment-même où Netanyahu assurait les Israéliens de l’unité de son gouvernement, les premiers signes des divisions internes plongeaient le monde dans le doute, et particulièrement les plus proches partenaires d’Israël.
Des inquiétudes grandissantes
En effet, mardi matin, un des principaux alliés de la coalition, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale et chef du parti d’extrême droite Otzma Yehudit, s’est rendu sur le mont du Temple, alors que des informations avaient laissé entendre qu’il avait accepté de reporter sa visite à la demande de Netanyahu.
Ce déplacement a certes souligné l’existence d’un front uni, mais ce n’est pas celui que Netanyahu avait à l’esprit, plutôt celui des alliés d’Israël – aux États-Unis, en Europe ou au Moyen-Orient – qui ont condamné ces agissements.
Les Émirats arabes unis, où Netanyahu prévoyait de se rendre la semaine prochaine, ont dénoncé la « prise d’assaut du parvis de la mosquée Al-Aqsa » et appelé à la fin de ces « violations graves et hautement provocatrices ».
Les Émirats arabes unis ont même obtenu une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU jeudi, au nom des Palestiniens.
Cette réaction n’a rien de très surprenant, explique Moran Zaga, expert du Golfe au Mitvim, l’Institut israélien pour les politiques étrangères régionales.
« Dès le début, les Émirats arabes unis ont défini deux lignes rouges : l’annexion d’une part et Jérusalem-Est, d’autre part, avec une attention toute particulière pour le mont du Temple. »
Ce qui est un peu plus surprenant, c’est que le déplacement de Netanyahu aux Émirats arabes unis ait été reporté à février, si ce n’est indéfiniment. Des sources officielles évoquent des considérations logistiques, mais il est impossible d’ignorer le fait que les Émirats arabes unis ont refusé pendant deux ans que Netanyahu soit photographié avec le président des Émirats arabes unis Mohamed Bin Zayed.
C’est en effet le ministre émirati des Affaires étrangères qui a signé les Accords d’Abraham, et la précédente tentative de déplacement du Premier ministre Netanyahu, en 2021, avait été abandonnée, officiellement en raison d’un différend avec la Jordanie.
L’Arabie saoudite, pays essentiel pour Netanyahu et le nouvel ordre qu’il souhaite faire advenir au Moyen-Orient, a également dénoncé la présence de Ben Gvir sur le mont du Temple.
Même les États-Unis, dirigés aujourd’hui par une administration Démocrate qui n’a pas oublié l’attitude effrontée de Netanyahu envers le président Barack Obama, avant la conclusion de l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran, se sont déclarés
« profondément préoccupés », laissant entendre que l’action de Ben Gvir était « inacceptable ».
Un message adressé à Netanyahu
Les réactions de la communauté internationale, cette semaine, ne sont guère différentes de celles qui sont venues condamner de précédentes incursions officielles sur le mont du Temple, explique Oded Eran, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité nationale et ex- ambassadeur en Jordanie et dans l’Union européenne.
« Malgré tout », précise Eran, « la situation est différente, parce que ce gouvernement vient d’arriver et la communauté internationale lui dit de faire attention. »
Cette communauté internationale, ajoute Eytan Gilboa de l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité, exprime ses doutes vis-à-vis des promesses de Netanyahu selon lesquelles c’est lui – et non Ben Gvir ou le ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich – qui fixera la politique, en particulier sur des questions telles que le mont du Temple, les implantations ou les droits des minorités en Israël.
« La question la plus importante est de savoir dans quelle mesure Netanyahu sera capable de contrôler les éléments de droite les plus extrêmes de son gouvernement », assure Gilboa.
« Netanyahu a clairement un problème de crédibilité. »
« Les concessions faites par Netanyahu lors des négociations de coalition, au même titre que la présence de Ben Gvir sur le mont du Temple, soulèvent des questions sur le type de contrôle qu’il pourrait avoir sur ces éléments de son gouvernement », ajoute-t-il.
Les Émirats arabes unis se sont déjà aliéné une partie du monde arabe pour avoir orchestré la normalisation avec Israël. S’ils avaient accueilli Netanyahu quelques jours seulement après le déplacement de Ben Gvir au mont du Temple, Abu Dhabi se serait trouvé dans une position encore plus inconfortable.
La décision de reporter le voyage pourrait bien avoir été prise lors de la visite du roi Abdallah II de Jordanie au président des Émirats arabes unis, cheikh Mohamed bin Zayed, mercredi. La Jordanie s’estime chargée d’empêcher Israël d’enfreindre le statu quo sur le mont du Temple et en Cisjordanie, et les Émirats arabes unis représentent actuellement le monde arabe au Conseil de sécurité.
Il est difficile d’imaginer qu’ils ne se sont pas entendus pour envoyer un message clair à Netanyahu, d’autant plus que c’est, semble-t-il, la Jordanie qui avait fait échouer le précédent projet de déplacement de Netanyahu aux Émirats arabes unis, en 2021, suite déjà à un différend sur le mont du Temple.
L’administration Biden a des préoccupations d’une toute autre nature. Elle estime que les valeurs et intérêts américains ont été en jeu cette semaine. La démocratie, fondement de la relation spéciale d’Israël avec les États-Unis, est un élément central du programme de politique étrangère de Biden.
Tout signe indiquant que Ben Gvir et Smotrich sont libres de poursuivre leurs objectifs ne manquera pas de provoquer de nouvelles inquiétudes à Washington.
La Maison Blanche est en effet inquiète de l’érosion de ses intérêts fondamentaux. Bien que Washington comprenne parfaitement que la solution à deux États n’est pas envisageable dans un avenir proche, elle s’inquiète des menaces qui pèsent sur cette perspective.
« Ils ne veulent pas que les politiques israéliennes sapent les perspectives de cette solution », explique Gilboa, « mais Ben Gvir et Smotrich veulent, eux, préparer l’annexion. »
Mark Regev, ex-conseiller de Netanyahu aujourd’hui à la tête de l’Institut de diplomatie internationale Abba Eban de l’Université Reichman, envisage autrement la réaction américaine.
Netanyahu s’est en effet exprimé à plusieurs reprises en faveur du statu quo, explique-t-il, et les États-Unis comprennent bien que la visite de Ben Gvir ne constitue pas une violation.
« Tant à Washington qu’à Jérusalem, on prend conscience des sensibilités autour du mont du Temple », affirme Regev, ajoutant que les deux alliés, d’accord sur la signification du statu quo, ont intérêt à ne pas laisser leurs ennemis mutuels le définir.
« Je pense que le gouvernement devrait insister sur le fait qu’il n’appartient pas à des entités comme le Hamas, le Hezbollah ou le Jihad islamique de dicter leur politique », ajoute-t-il.
Migraines en perspective à La Haye
Toute tension avec les partenaires arabes d’Israël pourrait non seulement compromettre un accord avec l’Arabie saoudite, mais également fragiliser le soutien populaire aux Accords d’Abraham, à un moment où la rue au Maroc, aux Émirats arabes unis et à Bahreïn se montre de plus en plus défiante.
Plus inquiétant encore, tout ce qui laisse penser que Netanyahu est incapable de contrôler ses partenaires d’extrême droite pourrait amener Washington à revoir à la baisse son programme de coopération, à un moment où Israël a plus que jamais besoin du soutien américain.
Les Nations Unies ont voté en décembre pour demander à la Cour internationale de Justice d’intervenir, en rendant un avis sur le conflit israélo-palestinien. Il est quasi-certain que la CIJ se positionnera contre Israël, mais la sévérité du jugement et de ses recommandations reste à déterminer.
Les États-Unis ont activement soutenu la lutte contre l’initiative palestinienne auprès de la CIJ, et Israël aura plus que jamais besoin du poids diplomatique de Washington dans la balance, maintenant que la question est examinée à La Haye.
Israël, qui se trouve également sous le coup d’une enquête de la Cour pénale internationale, aura également besoin du soutien actif des États-Unis.
Une Maison Blanche menée par des Démocrates choisissant de punir Israël au sein des institutions internationales est un scénario déjà connu.
En 2016 – un an après le discours de Netanyahu au Congrès critiquant le projet de l’administration Obama de conclure un accord nucléaire avec l’Iran – la Maison Blanche avait choisi de ne pas opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité exigeant l’arrêt immédiat de toute construction d’implantations israéliennes.
Plus grave peut-être, dans la perspective d’une possible épreuve de force avec ses alliés, Israël est en profond décalage avec les puissances occidentales, depuis près d’un an, sur la question de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
La question a ravivé une querelle, probablement imprévue et certainement indésirable, cette semaine, lorsque le nouveau ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, a annoncé lors de son discours inaugural son intention de « moins parler » de la guerre et de s’entretenir avec son homologue russe, Sergueï Lavrov.
L’Ukraine n’a pas caché son mécontentement, et même le sénateur américain Lindsey Graham, Républicain ouvertement favorable à l’aide à l’Ukraine et ami de longue date d’Israël, a publiquement critiqué les agissements de Cohen.
Pour l’instant, les États-Unis et leurs alliés arabes observent avec beaucoup d’attention ce qui se passe et tentent de comprendre qui est vraiment le chef à Jérusalem, entre Netanyahu et ses ministres Ben Gvir et Smotrich.
Paradoxalement, cette première semaine pleine de turbulences pourrait, à long terme, être utile à Netanyahu. Il pourrait utiliser ces réactions internationales pour faire comprendre à sa coalition que provoquer de telles critiques de la part de partenaires actuels et potentiels ne sert pas les intérêts d’Israël.
Netanyahu a fait valoir, lors des élections, qu’il existait des opportunités diplomatiques que lui seul pourrait exploiter.
Si Israël souhaite effectivement atteindre ces objectifs, le monde doit dans ce cas comprendre que c’est lui et lui seul qui fixe le cap à Jérusalem.
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