Inspiration casher chez Ikea pour séduire les clients ultra-orthodoxes
Avec un design religieux-friendly et des cafétérias conformes à la loi juive, pas besoin de se demander pourquoi le géant du meuble suédois est le nouveau favori des haredim
En traversant la salle d’exposition mal isolée du vent du magasin IKEA de Rishon Lezion, dans le centre d’Israël, on comprend pourquoi on a l’impression d’arpenter le domicile d’une famille religieuse.
Dans cette exposition IKEA, on rencontre le meilleur des catalogues à offrir dans le cas d’un style de vie basé sur la pratique du judaïsme.
Une photo encadrée de la liturgie emblématique des Psaumes, « si je t’oublie, O Jérusalem, que ma main droite se dessèche », frappe le regard au moment de passer la porte. Le décor global comprend des couleurs sereines, des bougies de Shabbat, des photos encadrées d’écrits juifs et des étagères remplies de ce qui ressemble à des volumes du Talmud et autres livres saints.
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Naturellement, à l’extérieur de la « fenêtre » qui a été installée dans ce simulacre de pièce, un panorama de Jérusalem.
La présentation des meubles de rangement continue sur le thème des étagères remplies de livres saints ; pour les cuisines, les clients ont le choix entre différentes planches à découper la viande et le fromage distinctes.
Dans tout le magasin, on peut trouver plusieurs créations de « Birkat Habayit » ou « bénédiction du foyer » – une bénédiction juive sous la forme d’une amulette accrochée à l’entrée d’une habitation.
Une visite de ce magasin IKEA, dans la soirée, révèle que la majorité des clients est formée de familles ultra-orthodoxes, avec des enfants. Et en effet, le géant de l’ameublement et des accessoires de maison suédois devient de plus en plus populaire auprès des Haredim.
« De nombreuses familles viennent à IKEA même si elles n’ont besoin de rien », affirme Naama Idan, cadre haredi et vice-présidente des ventes pour l’hebdomadaire ultra-orthodoxe Yom Leyom auprès de Zman Yisrael, le site en hébreu du Times of Israel.
« Les restaurants d’IKEA sont casher et pratiques pour les familles avec des enfants, et leur prix est très abordable. La stratégie mise en place par IKEA fait la promotion d’une combinaison d’achats pour la maison et le divertissement, et je suis sûre que la chaîne ne restreint pas la cafétéria aux clients uniquement et qu’elle évite de leur demander leur facture de magasin », ajoute-t-elle.
Les détenteurs de la franchise IKEA, au sein de l’Etat juif, sont deux frères juifs américains, Matthew et Jeremy Bronfman, qui vivent selon la loi de la Torah, et Shalom Fisher, homme d’affaires haredi. Ce qui peut expliquer les efforts livrés par la chaîne pour séduire ce segment de la population.
Avec une disponibilité élevée, des prix abordables et un système de livraison simple, cela correspond clairement à ses besoins, mais il est également évident que ce public n’a pas trouvé les magasins IKEA par la grâce de la providence divine.
« Il a fallu que la marque se vende de manière appropriée », confirme Naama Idan.
Le catalogue pudique
En 2017, IKEA avait diffusé un catalogue à destination de la communauté. S’associant à l’agence de publicité ultra-orthodoxe Bolton Potential, la firme avait choisi de ne mettre en scène que des hommes et des petits garçons dans le catalogue, vantant une initiative unique s’adressant spécifiquement à sa clientèle religieuse en Israël.
Si la démarche a été une réussite auprès des clients ultra-orthodoxes, elle avait été âprement critiquée par le grand public, et une plainte en recours collectif en justice avait même été déposée contre la marque.
La plainte, qui avait été déposée par une femme nationaliste-religieuse qui avait reçu le catalogue chez elle et qui l’avait trouvé, comme elle l’avait dit dans le document judiciaire, « dégradant envers les femmes », avait clamé que le catalogue « efface complètement le sexe féminin de ses pages, faisant par conséquent la promotion de l’exclusion des femmes dans la sphère publique ».
Elle ajoutait qu’en diffusant un catalogue ne montrant que des hommes, la firme « renforce profondément les discriminations contre les femmes en général et dans la société ultra-orthodoxe en particulier ».
Le siège international d’IKEA s’était rapidement exonéré de toute responsabilité dans cette affaire. Il avait présenté ses excuses, disant qu’il y avait eu une erreur et que l’initiative n’avait pas été initialement approuvée par ses soins.
En 2018, IKEA a diffusé un nouveau catalogue pour la communauté ultra-orthodoxe – mais sans personne cette fois.
« Cela s’est bien mieux passé », note Naama Idan. « Exclure les femmes de ce catalogue était déplacé, c’est une question sensible, mais c’est bien d’avoir trouvé le moyen de présenter au public les produits à vendre ».
« Aujourd’hui, quand vous pénétrez dans un foyer ultra-orthodoxe, la moitié du temps, vous trouverez des choses achetées chez IKEA. C’est un public conservateur qui ne goûte pas aux couleurs et qui favorise des schémas de couleur neutres, mais qui a chaleureusement adopté la tendance générale des consommateurs », poursuit-elle.
La diffusion, au mois d’août 2019, du nouveau catalogue IKEA n’a pas entraîné la diffusion simultanée de sa version destinée au public ultra-orthodoxe. IKEA n’a pas fait de commentaires sur une éventuelle décision de produire de nouveaux catalogues pour le secteur haredi à l’avenir.
Mais indépendamment du catalogue, IKEA semble avoir trouvé le moyen de toucher le cœur des haredim à l’aide d’incitations en direction des consommateurs qui ont déjà fait leurs preuves – des prix bas, des présentations tournées vers la vie des pratiquants religieux, et des cafétérias où sont proposés viandes casher et produits laitiers.
Et tout cela trouve sa place à côté des créations imaginées pour Noël dans les magasins de la chaîne – IKEA vend également des sapins, des chapeaux de père Noël, des guirlandes lumineuses et des décorations traditionnelles de la fête.
« IKEA a réussi à transmettre un sentiment d’empathie aux clients ultra-orthodoxes en utilisant les moyens qui sont mis à leur disposition sans prendre d’initiatives drastiques et sans offenser les autres groupes de consommateurs », explique à Zman Yisrael Moshe Miller, directeur-général de l’agence de publicité Miller Point qui opère auprès de la population haredie.
« La chaîne n’a pas supprimé le personnel de vente féminin du magasin et ne le fait pas s’habiller différemment. Elle a fait simplement en sorte que les publics religieux et ultra-orthodoxe se sentent à l’aise », ajoute-t-il.
En conséquence, dit-il, « IKEA a gagné un public de clients loyaux, qui possède un pouvoir d’achat considérable. Dans la communauté ultra-orthodoxe, il n’y a pas meilleur plan marketing que le bouche-à-oreille. Tout ce qui est nécessaire, c’est une mère satisfaite et qui a passé un moment agréable chez IKEA en compagnie de ses enfants. Tout le monde en entendra parler au parc et à la synagogue – et suivra son exemple ».
IKEA n’est pas seul à prendre cette initiative : il y a une tendance croissante chez les grandes marques à s’adapter de sorte à séduire le public ultra-orthodoxe.
« Dans les années 1980, les entreprises agro-alimentaires majeures ont découvert le secteur ultra-orthodoxe et ont commencé à produire et à commercialiser des produits spécialement pour lui, conformément aux exigences casher et avec des prix bas », dit Moshe Miller.
« Dans les années 1990 et 2000, les plus grandes chaînes de supermarchés ont reconnu l’immense potentiel commercial du marché haredi et commencé à mettre en place des chaînes spécialisées, comme la marque Yesh de Shufersal, Rami Levy Mehadrin et Osher Ad. Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, les plus grosses enseignes ont augmenté leur mainmise sur le secteur haredi en commercialisant une vaste gamme d’accessoires de maison casher, de clubs de consommateurs spécialisés et ainsi de suite », ajoute-t-il.
D’importantes chaînes de vêtements ont rejoint rapidement la tendance et ont commencé à commercialiser des collections spéciales pour les femmes orthodoxes, en proposant des habits respectueux du code de pudeur du secteur.
« Ces marques ont réalisé que le pouvoir d’achat des ultra-orthodoxes est immense – avec de grosses familles, un grand nombre d’événements auxquels assister. Il y a donc besoin de vêtements élégants et festifs pour le samedi et pour les fêtes, le tout acheté en grand nombre dans la mesure où les familles religieuses sont plus grandes que les familles laïques, si on les compare », continue Moshe Miller.
Il note aussi qu’IKEA a reconnu la nécessité, pour les haredim, de lieux de shopping ouverts aux familles, agréables et amusants, plutôt dans des endroits populaires où ils ne se sentent pas en marge du reste de la société.
« Ce n’est plus comme dans le passé pour les haredim, lorsqu’une femme allait faire les courses pour tout le reste de la famille, allant au plus vite pour s’en débarrasser. Comme pour toutes les autres familles israéliennes, le shopping, pour les ultra-orthodoxes, est aussi devenu une activité de divertissement », clame Miller.
La version originale de cet article a été publiée sur le site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael.
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