Irak : un père engage une procédure contre BP après la mort par cancer de son fils
Houssein Jouloud impute la mort de son fils au torchage de gaz sur le plus grand champ pétrolier du pays
Un père de famille irakien a engagé une procédure contre le géant pétrolier britannique BP après la mort de son fils d’une leucémie, qu’il impute au torchage de gaz sur le plus grand champ pétrolier d’Irak.
Houssein Jouloud, installé près du champ de Rumaylah, dans la province méridionale de Bassorah, réclame une indemnisation pour les dépenses engagées pour son fils Ali, 21 ans, emporté par la maladie en avril 2023.
Il demande à BP de prendre en charge les frais de traitement médical – chimiothérapie et greffe de moelle osseuse – et funéraires.
Le 22 avril, il a envoyé à BP une lettre détaillant sa demande, première étape qui, en l’absence d’un accord, laissera place à une action judiciaire, selon Hausfeld & Co, le cabinet d’avocats qui le représente.
Selon M. Jouloud, 55 ans, aucune somme d’argent ne peut compenser la mort de son fils. « Ce que je réclame est mon droit », dit ce père de sept enfants depuis sa modeste maison.
« Je ne le fais pas seulement pour Ali, mais aussi pour les pauvres, les malades et les personnes décédées dans cette région ».
BP a une longue histoire de production pétrolière en Irak remontant aux années 1920, lorsque le pays était sous mandat britannique.
Dans le champ de Rumaylah, BP opère en partenariat avec la compagnie publique Basra Oil Company.
En 2022, une enquête de la BBC sur le risque accru de cancer près des champs pétroliers en Irak avait documenté la vie d’Ali.
Fumée noire
Fan de football, il a été diagnostiqué en 2016. Lors d’une consultation, un médecin lui a demandé son adresse, raconte le père. Lorsqu’il a répondu vivre près des torchères, le médecin a conclu : « c’est pour cela qu’Ali a un cancer ».
Le torchage consiste à brûler pour des raisons logistiques ou économiques l’excédent de gaz lors de l’extraction de pétrole, produisant d’importantes quantités de dioxyde de carbone, méthane et suie noire.
Ce procédé, moins coûteux que la capture du gaz associé, son traitement et sa commercialisation, « produit plusieurs polluants liés au cancer, dont le benzène », a affirmé Greenpeace dans une déclaration sur le cas d’Ali le mois dernier.
Alors que M. Jouloud s’approche de son domicile, il est accueilli par une épaisse fumée noire dégagée par les torchères. Des enfants jouent au football ou font du vélo, apparemment inconscients du danger.
BP n’a pas répondu à la demande de commentaire de l’AFP. Mais en réponse à l’enquête de la BBC, le géant pétrolier avait déclaré n’avoir jamais exploité le champ de Rumaylah mais recevoir « des honoraires pour les services techniques » qu’il y fournissait, sous forme d’allocations de pétrole brut.
BP s’est également dit « préoccupé » par la question, et a déclaré l’an dernier « travailler avec les partenaires de Rumaylah » pour examiner et régler les problèmes soulevés.
Selon la compagnie britannique, le torchage de gaz sur le champ a diminué de plus de 65 % au cours des sept dernières années, et des plans sont en place pour réduire encore les émissions.
Le volume de gaz brûlé a atteint quelque 18 milliards de mètres cubes en 2022 en Irak, le plaçant au deuxième rang mondial après la Russie, selon la Banque mondiale.
« Aider les pauvres »
Le gouvernement irakien s’est engagé à abandonner progressivement cette pratique, comptant sur le gaz capturé pour alimenter les centrales électriques.
Début mai, le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani a déclaré vouloir éliminer le torchage d’ici trois à cinq ans.
Le ministère du Pétrole soutient lui plusieurs projets dans le secteur de la santé. En février, le ministère de la Santé a affirmé être convenu avec Basra Oil Company de construire un centre de cancérologie dans la province méridionale.
M. Jouloud a lui dû vendre l’or et les meubles familiaux, contracter un prêt bancaire et emprunter de l’argent à des amis pour les frais médicaux et funéraires d’Ali.
Il n’est pas le seul à manquer de moyens pour s’éloigner du champ de Rumaylah.
Selon la loi irakienne, les raffineries de pétrole doivent être situées à plus de 10 km des habitations, affirme Hausfeld & Co.
Mais à Rumaylah, « des preuves suggèrent » que le torchage se produit à seulement cinq km des communautés locales, selon le cabinet.
« Nous vivons ici malgré les difficultés et la peur des maladies », déplore M. Jouloud.
Il espère que son action sensibilisera la population et incitera les compagnies pétrolières à « fournir une assistance médicale gratuite aux malades et à aider les pauvres qui ne peuvent pas aller ailleurs ».