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Analyse

Irlande : le conflit israélo-palestinien, substitut à la lutte contre les Britanniques

Les critiques d'Israël de l'île d'Emeraude, dans un contexte de guerre contre le Hamas, viennent après des années d'hostilité à l'encontre de l'État juif, soupçonné d'utiliser "le même appareil d'occupation" que le Royaume-Uni

Le Taoiseach irlandais Leo Varadkar, à droite, donne un bouquet de trèfles irlandais au président américain Joe Biden pendant une fête de la St. Patrick à Washington, le 17 mars 2024. (Crédit : Jim Watson/AFP)
Le Taoiseach irlandais Leo Varadkar, à droite, donne un bouquet de trèfles irlandais au président américain Joe Biden pendant une fête de la St. Patrick à Washington, le 17 mars 2024. (Crédit : Jim Watson/AFP)

WASHINGTON (JTA) — Lorsque le dirigeant irlandais est apparu aux côtés du président américain Joe Biden à l’occasion de la Saint Patrick, il a consacré environ la moitié de son discours à appeler au cessez-le-feu à Gaza. Mais avant de défendre sa cause, il a expliqué pourquoi le sujet le touchait tellement.

« Quand je voyage à travers le monde, les responsables me demandent souvent pourquoi les Irlandais ressentent une telle empathie pour les Palestiniens, a indiqué Leo Varadkar, le taoiseach – ou Premier ministre – irlandais, alors qu’il était, dimanche, à la Maison Blanche. « Et la réponse est simple : C’est notre histoire que nous percevons en eux – une histoire de déplacement, de dépossession, d’identité nationale remise en doute et niée, d’émigration forcée, de discrimination et, aujourd’hui, de faim. »

Si Biden, un ressortissant américano-irlandais, aime célébrer son foyer ancestral et qu’il espérait le soutien des dirigeants de l’île où ses aïeux avaient vu le jour, il n’a certes pas pu compter sur Varadkar.

Le Taoiseach a dit « soutenir » les initiatives prises par le président en faveur d’un cesssez-le-feu dans la guerre qui oppose Israël aux terroristes du Hamas dans la bande de Gaza et il a réclamé la libération des otages israéliens. Mais Varadkar est allé plus loin dans ses critiques d’Israël que Biden a pu le faire, appelant à « l’arrêt des bombes » de l’État juif. Il a ajouté « qu’Israël doit revenir sur sa décision précipitée d’autoriser une incursion terrestre à Rafah », la ville du sud de Gaza où Israël déclare devoir entrer pour vaincre le Hamas et où plus d’un million de civils sont actuellement réfugiés.

Et avant de s’entretenir avec Biden, il s’en est pris directement au président américain qui a largement apporté son soutien à l’effort de guerre israélien, malgré les critiques. Lorsqu’un journaliste a interrogé Varadkar sur les livraisons d’armes américaines à Israël, Varadkar a répondu que « c’est quelque chose avec lequel nous sommes en désaccord mais le gouvernement américain est un gouvernement souverain qui prend lui-même ses décisions ».

Ces critiques ne sont pas surprenantes. Comme Varadkar l’a expliqué, l’Irlande, dans l’Histoire, a toujours accordé sa préférence aux Palestiniens dans leur conflit contre Israël, une sympathie qui s’est manifestée dans ses activités diplomatiques comme dans sa culture au fil des années.

Ainsi, l’Irlande a été le dernier pays de l’Union européenne à autoriser l’ouverture d’une ambassade israélienne – c’était en 1993 – et il a été aussi le premier à appeler à un État palestinien, en 1980. Il est l’une des figures de proue des critiques d’Israël aux Nations unies.

Un piéton passe devant une fresque peinte en solidarité avec les Palestiniens à Belfast, en Irlande du nord, le 19 mars 2024. (Crédit : Paul Ellis/AFP)

Sa mission à l’ONU a estimé qu’une résolution du Conseil de sécurité qui réclamait une délivrance plus rapide de l’aide humanitaire à Gaza n’allait pas assez loin et elle a appelé à « un cessez-le-feu humanitaire immédiat, conformément à ce que réclame la communauté internationale de manière écrasante ».

Certains des artistes irlandais les plus célèbres ont pris part à des initiatives propalestiniennes. Tous les groupes irlandais – ou pratiquement – qui devaient se produire sur la scène du festival South By Southwest ce mois-ci, à Austin, ont boycotté l’événement en raison des liens entretenus par certains sponsors de l’événement et Israël. Sally Rooney, romancière irlandaise et autrice de best-sellers, considérée comme un porte-voix de la génération des millennials, avait refusé d’autoriser la publication de ses œuvres au sein de l’État juif, en 2021.

A LIRE – Irlande : Le soutien pour Israël au plus bas depuis le 7 octobre

Dans une récente Opinion parue dans le journal Irish Times, Rooney a fustigé Varadkar qui, selon elle, est trop timide dans ses critiques de Biden. Elle a mis en cause sa participation à la fête de la Saint Patrick qui était organisée par le président américain, disant qu’elle validait, d’une certaine manière, le soutien apporté par ce dernier à Israël.

« Les critiques directes, solides, seront réservées au relativement petit État d’Israël (qui est de plus en plus isolé dans le monde) », a-t-elle écrit. « De cette façon, notre gouvernement pourra se complaire dans sa vaillance morale en condamnant les bombes tout en conservant une relation confortable avec celui qui les fournit ».

Les Irlandais qui apportent leur soutien aux Palestiniens ancrent souvent cette sympathie dans l’idée que les deux peuples ont été (ou qu’ils sont encore) colonisés – les Irlandais par le Royaume-Uni et les Palestiniens par Israël.

« L’appareil d’occupation – les patrouilles militaires armées dans les rues de la ville, les checkpoints militaires, les villes où règne la ségrégation, les murs de séparation – qui forme le quotidien dans la Palestine occupée, aujourd’hui, est presque identique à celui qui était autrefois utilisé par les Britanniques dans le nord de l’Irlande », commente Aislin Walsh, spécialiste irlandais du colonialisme, dans une Opinion publiée par le journal qatari Al-Jazeera.

Les défenseurs des Palestiniens en Irlande soulignent ce qu’ils considèrent comme un trait commun entre deux peuples qui, entretenant un lien avec leur terre, ont été déracinés par des envahisseurs violents. En 2018, un député irlandais avait fait venir des agriculteurs palestiniens en Irlande pour soutenir la cause du boycott des produits fabriqués dans les implantations israéliennes de Cisjordanie.

Sinn Fein, parti d’opposition ancré dans l’armée de libération irlandaise, s’identifie aux Palestiniens au point que sa cheffe, Mary Lou McDonald, a placé un drapeau palestinien à l’arrière-plan de son profil sur X, anciennement Twitter.

Une photo diffusée le 9 avril 2009 par le Hamas montre le chef du parti Sinn Fein, Gerry Adams, à droite, rencontrant le leader du Hamas Ismail Haniyeh dans la bande de Gaza. (Crédit : AFP Photo/Handout/Mohammed Al-Ostaz)

Pendant les Troubles – ces violences qui avaient fait trembler le nord de l’Irlande pendant des décennies – l’IRA avait formé des groupes palestiniens radicaux avec lesquels elle s’était coordonnée ; des fresques, à Belfast, reprennent des thématiques de solidarité irlando-palestinienne. Les politiciens unionistes d’Irlande du nord ont fait la même comparaison mais dans l’autre direction – en exprimant leur solidarité avec Israël.

L’analogie entre l’Irlande et Israël est allée bien au-delà des rives des deux nations. Lors des jours glorieux du processus de paix israélo-palestinien dans les années 1990, quand les Accords d’Oslo avaient été signés, c’était aussi le processus de paix au nord de l’Irlande, qui avait culminé avec l’Accord du vendredi saint, en 1998. L’ancien sénateur américain qui avait aidé à négocier cet accord, George Mitchell, devait ultérieurement devenir envoyé américain pour la paix au Moyen-Orient.

Dimanche, Varadkar a indiqué que la paix en Irlande du nord, dans les années 1990, pouvait servir de modèle pour les Israéliens et pour les Palestiniens.

« Je crois également qu’il y a des leçons qui peuvent être tirées de notre propre processus de paix en Irlande du nord, en particulier le concept de parité en matière de respect et de relations », a-t-il déclaré à la Maison Blanche.

Plus largement, la diplomatie irlandaise se considère comme particulièrement avisée, se percevant elle-même comme une force de maintien de la paix et une défenseuse de l’unité après des années de conflit et après le renversement de la gouvernance coloniale. L’Irlande avait d’abord déployé ses forces de maintien de la paix au Liban, en 1958, quand le pays était encore appauvri et qu’il était en guerre. Les diplomates irlandais vantent encore le rôle de premier plan qu’avait tenu leur pays en Occident, lors de la lutte contre l’apartheid, en Afrique du sud.

Cela fait des décennies que les soldats irlandais ont intégré la FINUL, la force des Nations unies assurant le maintien de la paix sur la frontière entre Israël et le Liban. Des émeutes répétées entre les troupes irlandaises et l’Armée du Liban sud, aujourd’hui disparue, alliée et parfois proxy d’Israël, avaient exacerbé les tensions entre l’État juif et l’Irlande dans les années 1970 et 1980.

Photo d’illustration : les forces de maintien de la paix irlandaises inspectent le site où un convoi de la FINUL a été attaqué à l’arme à feu dans le village d’Al-Aqibya, dans le sud Liban, le 15 décembre 2022. (Crédit : Mahmoud Zayyat/AFP)

Les Irlandais ont souvent du mal à dire que leur défense des Palestiniens ne signifie pas pour autant qu’ils nourrissent un sentiment anti-Israël. En 2011, quand le quotidien israélien Yedioth Ahronoth avait cité les propos tenus par des diplomates israéliens de premier plan qui avaient estimé que l’Irlande était « le pays le plus hostile de l’Europe », les responsables irlandais avaient répondu au Irish Times qu’il s’agissait d’un malentendu.

« L’idée que le gouvernement tente d’attiser le sentiment anti-israélien ou qu’il s’efforcerait de le faire est un mensonge », avait indiqué un porte-parole du ministère des Affaires étrangères au journal. « Nous n’avons aucune hostilité à l’égard d’Israël. Nous sommes critiques de ses politiques, en particulier dans les territoires palestiniens occupés. Ce n’est pas la même chose ».

Varadkar a aussi été récemment critiqué par l’État juif pour un post paru sur les réseaux sociaux qui se réjouissait de la remise en liberté d’Emily Hand, une petite ressortissante israélo-irlandaise qui avait été prise en otage par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre et qui a été libérée dans le cadre d’une trêve d’une semaine, à la fin du mois de novembre. Il avait écrit « qu’une enfant innocente qui s’était égarée a maintenant été retrouvée et elle est revenue chez elle ».

Le porte-parole du gouvernement israélien Eylon Levy avait alors riposté : « Emily Hand ne s’est pas ‘égarée’. Elle a été enlevée avec brutalité par les escadrons de la mort qui ont massacré ses voisins. Elle n’a pas été ‘retrouvée’. Le Hamas savait très bien où elle se trouvait, la gardant cyniquement en otage ».

Dimanche, Varadkar a souligné son sentiment d’identification avec les Palestiniens. Mais malgré les critiques, il a reconnu qu’il admettait que l’Irlande et Israël partageaient une histoire.

“M. le président, nous voyons aussi en nous le reflet de l’Histoire d’Israël », a-t-il dit. « Une Diaspora dont le cœur est toujours resté dans son foyer natal, indépendamment du nombre de générations qui se sont succédées ; un État-nation qui est né une nouvelle fois et une langue qui a ressuscité ».

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