Israël est enfin doté d’un président permanent de la Cour suprême ? Que défend-il ?
Isaac Amit a rendu des arrêts annulant des lois déterminantes et il a réaffirmé les droits des Palestiniens - mais il s'en est remis au gouvernement sur certaines questions de sécurité nationale, malgré les atteintes portées aux droits civils

Après un retard sans précédent de 16 mois et dans des circonstances très inhabituelles pour ce genre de nomination, un nouveau président de la Cour suprême a été élu dimanche. Isaac Amit, qui occupait le poste par intérim, a été désigné président permanent de la Cour et du système judiciaire israélien.
Son prédécesseur, Esther Hayut, avait pris sa retraite le 15 octobre 2023, une semaine seulement après le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre, dans le sud d’Israël – et depuis, le ministre de la Justice Yariv Levin n’avait pas cessé de tenter d’empêcher la nomination d’Isaac Amit par tous les moyens mis à sa disposition. Il avait notamment utilisé, pour ce faire, son autorité en tant que président de la commission de sélection des juges, bloquant le vote nécessaire pour désigner un nouveau chef au sein de la plus haute instance judiciaire de l’État d’Israël.
Yariv Levin demandait la nomination à la présidence de Yosef Elron, un homme partageant la même idéologie fortement conservatrice que lui. Le ministre de la Justice espérait ainsi décourager « l’interventionnisme activiste », selon ses propres termes, du prestigieux tribunal – « interventionnisme » qui se manifestait, déplorait-il, à travers son réexamen des décisions prises par le gouvernement et des lois susceptibles d’être adoptées par ce dernier.
Finalement, Levin aura dû se plier aux ordres répétés de la Haute Cour de justice qui le sommait d’organiser un vote pour désigner le nouveau président à sa tête – et la commission de sélection des juges a ainsi élu Amit à ce poste dans la soirée de dimanche, en l’absence néanmoins du ministre de la Justice et des deux autres représentants de la coalition qui siègent au sein de la commission.
Israël a désormais un nouveau président de la Cour suprême, après une période de latence et d’agitations sans précédent. Amit devra faire face à des défis considérables – Levin a notamment fait savoir qu’il ne reconnaissait pas son nouveau statut et qu’il refusera de travailler à ses côtés sur les affaires de premier plan qui nécessitent une coopération entre les deux hauts responsables.
Le boycott sans précédent du chef de l’autorité judiciaire de la part d’un ministre de la Justice entraînera assurément des difficultés dans la bonne marche du système, et il bloquera les processus de nominations pourtant déterminantes jusqu’à une date indéterminée.

Amit sera toutefois toujours en mesure de laisser son empreinte personnelle dans les jugements rendus par la Cour dans une période particulièrement tendue, une période où des décisions gouvernementales cruciales sont prises et où des lois controversées sont adoptées de manière presque banale, dans un contexte plus large de guerre et de défis sociétaux.
Mais quelle est donc l’idéologie et la vision du monde, du point de vue juridique, de ce nouveau chef de l’autorité judiciaire, cet homme auquel Levin s’oppose avec tant de vigueur ?
Amit est largement considéré comme un juge libéral qui, dans ses décisions, a mis en difficulté le gouvernement sur de nombreuses questions liées au plan de refonte radicale du système judiciaire qui a été avancé par la coalition dès son arrivée au pouvoir. Il a également fréquemment réaffirmé les droits civils et les droits de l’Homme en général dans ses verdicts.
Mais le nouveau président de la Cour suprême s’est néanmoins montré disposé à laisser une certaine marge de manœuvre au gouvernement et à d’autres institutions de l’État – comme la police – dans des circonstances d’urgence ou inhabituelles, faisant preuve de retenue dans ses jugements et ce, malgré ce que peuvent affirmer ses détracteurs.
Nadav Dagan, chercheur au sein de l’Institut israélien de la démocratie (IDI), se montre prudent s’agissant d’attribuer aux juges israéliens une étiquette idéologique. Il estime toutefois qu’Amit pourrait être considéré comme un centriste.
Il fait remarquer en particulier que, malgré sa réputation d’homme aux convictions libérales, Amit avait laissé au gouvernement une grande marge de manœuvre dans l’utilisation de ses pouvoirs pendant la pandémie de COVID-19, une période où il avait élargi son autorité face à l’urgence induite par la propagation rapide du virus.
Dans une décision rendue au mois d’avril 2020 – c’était au plus fort de la première vague de coronavirus – Amit avait écrit que la Haute Cour ne pouvait pas, à de multiples égards, intervenir dans la manière dont les autorités sanitaires et le gouvernement jugeaient bon de prendre en charge la pandémie, même si les moyens mis en œuvre violaient les droits civils fondamentaux.
Dans ses arrêts, Amit avait autorisé les confinements absolus qui avaient été imposés par le gouvernement à des quartiers – voire à des villes entières – où le taux d’infection était particulièrement élevé et il avait permis d’interdire les prières communautaires, malgré l’impact évident de ces mesures sur les droits civils.

Le professeur Barak Medina, de la faculté de droit de l’Université hébraïque, estime qu’Amit fait effectivement partie des juges libéraux de la Cour – mais il ajoute qu’il ne serait pas juste de dire qu’il est « un gauchiste », notant les égards dont le juge a pu faire preuve dans certaines situations s’agissant de questions relatives à la sécurité nationale, en relation avec les droits civils.
Il évoque notamment une décision qui avait été rendue dans le sillage du pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre – Amit avait alors présidé un panel de trois magistrats qui avaient confirmé que la police était en droit d’interdire la tenue d’une manifestation contre la guerre qui avait été organisée par le parti politique Hadash, une faction à majorité arabe.
Amit s’en était remis à l’argument avancé par les forces de l’ordre, qui avaient fait savoir qu’elles n’avaient pas suffisamment de ressources pour permettre à une telle manifestation d’avoir lieu alors qu’Israël menait une guerre sur plusieurs fronts à la suite de la prise d’assaut sans précédent de son territoire.
Amit avait aussi siégé au sein du groupe composé d’onze juges qui avait estimé, en 2020, que le Premier ministre Benjamin Netanyahu pouvait exercer ses fonctions de Premier ministre malgré ses mises en examen dans des dossiers pour corruption.
Une décision qui avait été prise à l’unanimité – mais Medina note toutefois qu’Amit, dans son opinion écrite, avait souligné l’absence de fondement juridique de la requête, tout en fustigeant Netanyahu qui avait lui-même accepté d’occuper la plus haute fonction du pays alors qu’il était sous le coup d’inculpations.

Amit a toutefois adopté un positionnement très ferme s’agissant des initiatives prises par le gouvernement qui ont visé à réduire l’autorité du système judiciaire et à restreindre les capacités de contrôle judiciaire de la Haute cour. Il n’a également pas hésité à se prononcer en faveur de l’abrogation de lois qui avaient été adoptées à la Knesset, des lois qui paraissaient bénéficier avant tout à certaines formations politiques au sein du gouvernement.
Il avait été l’un des juges qui, dans un arrêt historique, avaient invalidé un texte avancé par le gouvernement qui interdisait l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » dans le cadre de la mission de contrôle, par les magistrats, des lois et autres actions administratives, affirmant que cette législation réduirait radicalement la capacité de la Cour à superviser les décisions gouvernementales susceptibles de bafouer les droits civils.
Dans ce cas précis, la Cour avait statué, par 8 voix contre 7, que l’amendement à la loi fondamentale : Le système judiciaire, un amendement qui interdisait aux juges d’avoir recours à la notion juridique de « raisonnabilité, » devait être rejeté. Toutefois, comme le souligne Dagan, Amit, tout en votant avec cette courte majorité, s’était abstenu d’aborder la question plus vaste de la suprématie de la Déclaration d’indépendance d’Israël sur les lois fondamentales, comme l’avaient fait certains juges, et il n’avait pas « apporté de définition concluante de la nature du pouvoir constituant de la Knesset ».

Amit avait également intégré la majorité, par six voix contre cinq, qui avait décidé que la mise en œuvre de la loi sur la récusation – qui avait été adoptée par le gouvernement actuel pour contourner la possibilité que la procureure-générale ou la Cour elle-même puisse ordonner au Premier ministre de se récuser – devait être retardée parce qu’elle semblait avoir été spécifiquement élaborée pour une personne en particulier, l’actuel chef de gouvernement.
Le nouveau président de la Cour suprême avait voté de la même manière sur la loi dite de Tibériade, qui semblait avoir été concoctée au profit d’un allié du chef du Shas, Aryeh Deri. Amit avait statué – comme dix autres juges dans un panel d’onze magistrats – que Deri ne pouvait pas occuper un poste de ministre au sein du gouvernement en raison de ses condamnations pénales.
Dans ses jugements, Amit a également cherché à défendre les droits civils des Palestiniens, suscitant la fureur des organisations et des politiciens de la droite de l’échiquier.
Dans une décision notable qui avait été rendue au mois d’août de l’année dernière, Amit avait critiqué le gouvernement et la police pour ne pas avoir protégé les communautés palestiniennes rurales des violences commises par les partisans du mouvement pro-implantations – et il avait ordonné aux forces de l’ordre et à l’armée israélienne de permettre à une communauté palestinienne, qui avait été déplacée suite aux violences et au harcèlement des extrémistes juifs, de retourner dans son village. Au cours d’une audience qui a eu lieu au mois de janvier, Amit a, une nouvelle fois, vivement critiqué la police pour son incapacité persistante à protéger les villageois, tapant sur la table et déplorant l’absence de toute action de la part des forces de l’ordre.

Des groupes conservateurs ont également critiqué le magistrat pour des propos tenus lors des nombreuses audiences qui ont pu être consacrées à des requêtes déposées par les groupes de défense des droits de l’Homme, des requêtes qui demandaient que l’assistance humanitaire à Gaza soit renforcée.
Ainsi, au mois de juin de l’année dernière, Amit avait déclaré avec courtoisie aux représentants de l’organisation qui avait déposé la requête, Gisha, que « le tribunal est à votre service », des paroles qui avaient été interprétées, par les groupes de droite, comme la preuve que le juge se rangeait de manière automatique du côté des groupes de défense des droits de l’Homme de gauche – se prononçant ainsi, selon eux, contre l’armée israélienne et en faveur du renforcement de l’acheminement des aides humanitaires à Gaza, des aides qui soutenaient le Hamas, avaient-ils dit.
Malgré ces affirmations, le panel qui avait statué sur l’affaire – un panel qui comprenait Amit – avait choisi une approche extrêmement prudente à l’égard de la requête. Les magistrats avaient largement accepté les faits et les affirmations qui avaient été présentés par Tsahal s’agissant des efforts livrés par les militaires pour augmenter l’assistance, et ils avaient évité de se prononcer clairement sur la question.

En tant que président de la Cour suprême, Amit maintiendra l’idéologie qui a été la sienne tout au long de sa carrière de magistrat – en s’opposant à ce qu’il considère comme des ingérences de la part du gouvernement. Il se battra également contre tout effort visant à restreindre l’autorité du système judiciaire – des efforts que Levin tente à nouveau de livrer.
Mais l’idéologie d’Amit sera elle-même freinée par le camp conservateur de la Cour – un camp qui, selon certains calculs, pourrait être considéré comme majoritaire.
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