Israël glisse de plus en plus vers la corruption
Une société corrompue est malheureuse, et une société malheureuse manque de résilience. Israël doit s'alarmer de sa chute au classement de l'Indice mondial de la corruption
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Israël a enregistré cette semaine le pire score de son histoire dans le classement de Transparency International sur la corruption dans le secteur public dans le monde. L’organisation à but non lucratif, qui produit un indice annuel de perception de la corruption à l’aide de données
« collectées par diverses institutions réputées, dont la Banque mondiale et le Forum économique mondial », a placé Israël en 36e position sur sa liste de 180 nations – un classement, dominé par le Danemark, la Finlande et la Nouvelle-Zélande, et dans lequel plus vous figurez en tête, mieux c’est.
Nous sommes passés de la 28e place il y a cinq ans à la 36e place. Dans notre région, nous sommes désormais considérés comme plus corrompus que le Qatar. Parmi les 37 membres de l’OCDE, nous sommes 29e et continuons à chuter, bien que toujours considérés comme ayant les mains un peu plus « propres » que l’Italie et la Pologne. (Pour vous faire une idée, le Royaume-Uni est 11e, le Canada 13e, les États-Unis 27e, l’Iran 150e et le Liban 154e).
Le rapport de Transparency International, dont la méthodologie est, ironiquement, assez difficile à comprendre – selon leurs dires, les données utilisées proviennent de 13 sources externes, et les scores « reflètent les opinions d’experts et d’hommes d’affaires ». Il n’est pas non plus précisé pourquoi Israël est considéré aujourd’hui comme plus corrompu que jamais depuis le lancement de l’Indice, en 1995.
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Mais on peut supposer que notre classement a été terni par le fait que le Premier ministre a été jugé pour corruption et a perdu le pouvoir au cours de la période considérée par l’étude – ce qui indique, soit que nous étions dirigés par un criminel, soit que le ministère public a renversé le processus démocratique en aidant à évincer notre chef d’Etat par des accusations qu’il n’a pas pu prouver ; les juges n’ont pas encore déterminé ce qu’il en était. (Si, à la suite de l’intervention étrange, d’un ancien président de la Cour suprême, une négociation de peine serait finalement conclue, ça ne sera jamais prouvé.)
Attachés à une vision de « transparence, responsabilité et intégrité » et
à « un monde dans lequel le gouvernement, la politique, les entreprises, la société civile et la vie quotidienne des gens sont exempts de corruption », les compilateurs de l’Index ont également vraisemblablement pris en compte le fait qu’Israël a travaillé jusqu’en 2020 et la majeure partie de 2021 sans budget, car c’était le seul moyen politique par lequel le Premier ministre de l’époque avait pu s’accrocher au pouvoir.
Ils ont également probablement vu d’un mauvais œil l’exportation d’un logiciel espion par une entreprise israélienne sous licence gouvernementale, et l’utilisation et l’abus de ce logiciel par des régimes plus ou moins recommandables à travers le monde ; le rapport de l’an prochain sera vraisemblablement en mesure d’évaluer la véracité des allégations selon lesquelles Israël a également utilisé le logiciel espion Pegasus de NSO Group contre ses propres citoyens.
Ironiquement aussi, l’Indice 2021 a été publié le jour où Aryeh Deri, ancien ministre de l’Intérieur et chef du parti Shas, a plaidé coupable pour délits fiscaux (il s’agit de son deuxième accrochage majeur avec la justice) et quelques jours après que la nouvelle coalition a approuvé l’établissement d’une commission d’enquête d’État qui sera chargée d’examiner l’achat opaque, par le précédent gouvernement, de sous-marins et autres navires pour plusieurs milliards de dollars. De quoi s’occuper, vraisemblablement, pour le rapport de l’année prochaine.
On ne sait pas si le rapport de Transparency International a aussi pris en compte l’effervescence de la corruption financière issue du secteur privé en Israël – les innombrables fraudeurs qui ont utilisé des outils de trading biaisés, qui se sont adonnés à des escroqueries sur les investissements, à des arnaques aux cryptodevises et autres plans qui ont permis de flouer des victimes du monde entier.
Mais notre « transparence », notre « prise de responsabilité » et notre « intégrité » sont gravement minées par ce type de criminalité, par le fait que la police et le Parquet se montrent, dans les faits, constamment réticents et/ou incapables de s’y attaquer, par l’influence acquise par des personnalités qui se sont enrichies grâce à ces crimes et par leurs succès à intimider une grande partie des médias israéliens pour qu’ils s’abstiennent de les dénoncer.
Renforcer encore davantage ce fléau criminel est une nouvelle tendance qui amène les juges a émettre et à maintenir des embargo injustifiés sur les quelques affaires seulement qui finissent dans les salles d’audience – une pratique inexplicable qui discrimine les victimes puisqu’elle protège, de fait, les criminels présumés, taisant leur identité et permettant ainsi à leurs arnaques de continuer à prospérer.
Dans des films hollywoodiens basés sur des faits réels tels que « Les Hommes du président » (« All the President’s Men », 1976) et « Spotlight » (2015), le cœur de l’intrigue était la révélation, par des journalistes d’investigation, de la corruption et du crime. Il est présumé – comme cela a en effet été le cas dans ces deux exemples, – qu’une fois que la presse avait fait son travail, les criminels étaient traduits en justice.
Dans la vraie vie israélienne – par un contraste quelque peu lamentable – un petit groupe de journalistes d’investigation courageux tente de révéler des faits de corruption, il lutte contre les menaces de poursuite judiciaire ou contre d’autres menaces parfois effrayantes, il publie des faits et… rien ne se passe. Ou plus exactement, la police et le le ministère public ne font généralement rien, laissant les criminels, riches, enhardis, en liberté.
Le classement de Transparency International, avec sa pire note attribuée cette année à Israël, est suivi de quelques semaines par l’Indice mondial du bonheur des Nations unies. Ici, Israël a pendant des années réalisé des performances spectaculaires ; nous avons grimpé de deux places pour finalement nous classer 12e l’an dernier.
Mais ces deux tendances contrastées, je le crains, vont très bientôt s’exclure l’une l’autre. Les citoyens des pays corrompus ne sont, en général, guère heureux.
Nous voulons conserver notre bonheur national : il est également crucial pour notre résilience. Et nous devons donc nous attaquer à la corruption de manière efficace – c’est une nécessité.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel