Israël en guerre - Jour 465

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Interview

Israël ne peut prendre la coopération du Caire pour acquise – experte égyptienne

Selon la chercheuse Mira Tzoreff, contrairement au Qatar, qui prospère avec le Hamas au pouvoir, Israël et l'Égypte ont un objectif commun : débarrasser Gaza du groupe terroriste

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rencontrant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, à New York, le 18 septembre 2017. (Crédit : Présidence égyptienne/AFP/Dossier)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rencontrant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, à New York, le 18 septembre 2017. (Crédit : Présidence égyptienne/AFP/Dossier)

Au cours des dernières semaines de l’incursion terrestre à Gaza contre le groupe terroriste palestinien du Hamas, l’Égypte a averti à maintes reprises Israël que les projets visant à imposer un contrôle de sécurité sur la route de Philadelphie, le corridor de 14 kilomètres qui longe la frontière entre l’Égypte et Gaza, constitueraient une « menace sérieuse » pour les liens bilatéraux.

Les dirigeants israéliens ne semblent toutefois pas prêter attention aux griefs du Caire. Dans un nouvel acte d’insolence diplomatique, lors de l’audience sur l’accusation de « génocide » à La Haye ce mois-ci, l’équipe juridique de Jérusalem a accusé Le Caire d’entraver les livraisons d’aide humanitaire à Gaza, ce qui a incité le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à évoquer la possibilité de rappeler son ambassadeur à Tel Aviv.

En outre, Israël a soutenu que son voisin permettait l’entrée clandestine d’armes à Gaza, une affirmation catégoriquement rejetée par le chef du Service d’information de l’État égyptien, Diaa Rashwan, qui l’a qualifiée de « mensongère ».

Mira Tzoreff, maîtresse de conférences au département d’histoire du Moyen-Orient et de l’Afrique et chercheuse principale au centre Moshe Dayan de l’Université de Tel Aviv, a mis en garde contre la tentation d’ignorer le fossé qui se creuse avec le voisin d’Israël et son principal partenaire en matière de sécurité.

« Le traité de paix entre Israël et l’Égypte a résisté à près de quatre décennies et demie d’innombrables guerres et tensions régionales, mais jamais auparavant il n’avait été question de le mettre en péril », a-t-elle déclaré dans une interview accordée au Times of Israel.

Depuis plus de 20 ans, Tzoreff étudie l’histoire socioculturelle et politique de l’Égypte, en mettant l’accent sur les jeunes, les femmes et les minorités. Ses recherches portent également sur les Frères musulmans et les relations israélo-égyptiennes.

Des soldats égyptiens patrouillant sur une route parallèle au corridor Philadelphie, une zone tampon qui sépare l’Égypte d’Israël et de la bande de Gaza palestinienne, le 19 mars 2007. (Crédit : Cris Bouroncle/AFP)

Les suggestions des hauts fonctionnaires israéliens de prendre le contrôle du corridor Philadelphie ont suscité des réactions particulièrement sévères de la part du Caire, un législateur égyptien déclarant que ce plan constituait une « violation du traité de paix » que l’Égypte a signé avec Israël en 1979. L’Égypte a été le premier pays arabe à prendre cette mesure et à rompre le boycott diplomatique arabe de longue date de l’État juif.

Dans le même temps, la radio de l’armée a rapporté jeudi que les deux pays étaient proches d’un accord pour résoudre la question du corridor Philadelphie, Israël pouvant exercer une « certaine influence » sur la route, éventuellement par le biais de moyens technologiques non spécifiés, mais sans présence physique le long de la frontière.

L’incident a toutefois tendu les liens entre les deux voisins à un moment critique pour l’ensemble de la région, provoquant une escalade sans précédent de la rhétorique du côté égyptien.

« Si Israël persiste à pousser l’Égypte dans ses retranchements, cela finira par se retourner contre lui », a averti Tzoreff.

Times of Israel : Dr. Tzoreff, comment les intentions déclarées d’Israël vis-à-vis du couloir de Philadelphie sont-elles perçues en Égypte ?

Dr. Mira Tzoreff : Le Caire comprend les inquiétudes d’Israël concernant la sécurisation de la frontière entre Gaza et le Sinaï.

En 2005, les deux pays ont signé « l’Accord de Philadelphie », qui stipulait que l’Égypte était chargée de sécuriser les 14 km de l’axe avec 750 soldats. Pour répondre aux préoccupations d’Israël, l’Égypte a proposé après le début de la guerre de renforcer ce contingent frontalier, mais pour le gouvernement israélien, cela n’était pas suffisant.

Au lieu d’entamer des négociations avec l’Égypte, Netanyahu a parlé « d’occupation » du corridor, tandis que [le ministre de l’Agriculture et ancien directeur de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet] Avi Dichter et [le ministre des Affaires étrangères] Israël Katz ont parlé de « prise de contrôle ».

Cette terminologie est perçue en Égypte comme une menace pour son intégrité territoriale et sa souveraineté – qui sont des valeurs sacrées pour l’Égypte – et comme un manque de confiance dans la capacité du Caire à assurer une sécurité efficace.

L’Égypte est une société centrée sur l’honneur, tant personnel que national, et cette méfiance est donc perçue comme un affront.

L’Égypte a refusé de remettre à Israël des images prises par ses postes d’observation le long de la frontière de Gaza – un geste tout à fait normal si les relations n’étaient pas aussi tendues.

Mira Tzoreff, maîtresse de conférences au département d’histoire du Moyen-Orient et de l’Afrique et chercheuse au centre Moshe Dayan de l’Université de Tel Aviv, en novembre 2021. (Crédit : Autorisation)

N’oublions pas que pour les oreilles de l’Égypte, parler d’une « occupation israélienne » a une résonance historique.

L’armée israélienne a conquis le Sinaï sur l’Égypte lors de la Guerre des Six jours en 1967. L’Égypte a tenté de reprendre le Sinaï lors de la Guerre de Yom Kippour en 1973, mais la péninsule est restée sous contrôle israélien. Elle a finalement été restituée en 1982, conformément au traité de paix conclu en 1979 par le président égyptien de l’époque, Anouar el-Sadate, et le Premier ministre israélien, Menachem Begin.

La défaite de 1967 est encore gravée dans la mémoire collective de l’Égypte, c’est une tache sur son honneur national. Dans son initiative de paix, le président Sadate a exigé qu’Israël restitue le Sinaï jusqu’au « dernier centimètre ». Dans une société fondée sur l’honneur, ce qu’il voulait dire en réalité, c’est qu’Israël devait restaurer chaque parcelle de l’honneur de l’Égypte en rétablissant pleinement son intégrité territoriale.

Depuis qu’elle a récupéré le Sinaï, l’Égypte a pris soin de le maintenir « exempt » de toute menace – principalement des milices islamistes (une branche de l’État islamique est active dans le nord de la péninsule depuis 2014).

Le président égyptien Anouar el-Sadate, à gauche, le président américain Jimmy Carter, au centre, et le Premier ministre Menachem Begin se serrant la main sur la pelouse nord de la Maison Blanche après avoir signé le traité de paix entre l’Égypte et Israël, le 26 mars 1979. (Crédit : Bob Daugherty/AP/Dossier)

En insistant pour reprendre le contrôle de la route de Philadelphie, Israël fait preuve d’un mépris total pour l’accord de 2005 et d’une méfiance à l’égard des forces de sécurité égyptiennes, ce qui tire la sonnette d’alarme au Caire.

Pourquoi l’Égypte est-elle si déterminée à garder le contrôle de la frontière avec Gaza ? S’inquiète-t-elle d’un éventuel débordement du conflit ?

Au cours de la dernière décennie, le président al-Sissi a fait couler beaucoup de sang dans les rangs de l’armée égyptienne en essayant de « nettoyer » le Sinaï de la présence des milices islamistes et d’en faire une destination touristique.

C’est l’une des rares réalisations dont il peut se targuer au cours de son mandat présidentiel. Il n’acceptera en aucun cas que deux millions de Palestiniens de Gaza s’installent dans la péninsule du Sinaï, comme l’ont suggéré certains hauts fonctionnaires israéliens.

Al-Sissi a déclaré qu’ils pourraient mettre en danger la sécurité nationale de l’Égypte, car les réfugiés de Gaza compteraient parmi eux des terroristes du Hamas, qui transformeraient invariablement le Sinaï en zone de guerre et en rampe de lancement pour des attaques contre Israël, entraînant des représailles de la part de l’armée israélienne.

D’une certaine manière, la guerre entre le Hamas et Israël a été une aubaine pour l’image d’al-Sissi. D’une part, elle lui a permis de montrer le visage humanitaire de l’Égypte, en ouvrant un corridor humanitaire vers Gaza et en autorisant les Palestiniens blessés à entrer temporairement dans le Sinaï pour y être soignés dans les hôpitaux égyptiens.

D’autre part, al-Sissi a eu l’occasion d’afficher son patriotisme en rejetant fermement les pressions israéliennes visant à déplacer les habitants de Gaza dans le Sinaï et en préservant la souveraineté territoriale de l’Égypte.

Mais l’économie égyptienne est en grande difficulté, le taux de chômage est élevé et 60 % de la population, en particulier les jeunes, vit près ou en dessous du seuil de pauvreté. Al-Sissi est assis sur un baril de poudre et s’il n’obtient pas de résultats, la stabilité de son régime sera menacée.

Des manifestants criant des slogans anti-Israël lors d’un rassemblement de solidarité avec la population de Gaza après la prière du vendredi à la mosquée al-Azhar, la principale institution islamique du monde musulman sunnite, au Caire, en Égypte, le 20 octobre 2023. (Crédit : Amr Nabil/AP Photo)

Il gouverne en autocrate, mais il dépend toujours de l’approbation de la rue égyptienne, qui suit de près chacun de ses mouvements dans cette guerre.

Son régime est un mal nécessaire, mais il n’est pas dans l’intérêt d’Israël, des États-Unis ou des Européens de le voir partir. Nous ne devrions pas considérer sa coopération comme acquise. Au lieu de la contrarier, Israël devrait s’engager dans une négociation et écouter ce qu’elle a à offrir et quelles sont ses lignes rouges. Après tout, le maintien de la sécurité le long de la frontière de Gaza est dans l’intérêt mutuel des deux pays.

Comment la médiation de l’Égypte entre Israël et le Hamas se compare-t-elle à celle du Qatar ?

Parmi ces deux pays arabes, tout le monde dans la communauté internationale sait lequel est le médiateur équilibré et réfléchi [l’Égypte], et lequel est celui qui pose problème [le Qatar].

Le Qatar est un partenaire incontournable dans ces négociations, mais c’est un pays sans histoire et sans culture, juste de l’argent. Jamais dans son histoire, le petit État pétrolier du Golfe n’aurait pu rêver d’être dans la position où il se trouve aujourd’hui, négociant avec les puissances mondiales, à Paris à côté des chefs de la CIA, de l’agence de renseignement du Mossad et des services de renseignements égyptiens.

D’autre part, l’Égypte est un pays qui possède non seulement une haute culture, mais aussi une civilisation. C’est un interlocuteur mûr, orienté vers les solutions, qui a même proposé un plan de paix en trois étapes pour mettre fin au conflit – largement ignoré par Israël.

Le Caire, et non Doha, est la véritable adresse vers laquelle toutes les parties se tournent lorsqu’elles veulent faire avancer les pourparlers, y compris les dirigeants du groupe terroriste palestinien du Hamas.

Mais le plus important pour Israël, c’est que la finalité du Qatar est de maintenir le Hamas au pouvoir. Il agit en tant que médiateur manifestement neutre, cherchant à obtenir la libération des otages, mais en fin de compte, il ne s’aligne pas sur les intérêts israéliens lorsqu’il s’agit de planifier l’avenir de la bande de Gaza après la guerre.

L’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, à droite, rencontrant le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi, à son arrivée à Doha, au Qatar, le 13 septembre 2022. (Crédit : Bureau des médias de la présidence égyptienne via AP)

D’autre part, l’Égypte et Israël poursuivent le même objectif : débarrasser Gaza du Hamas.

Le groupe terroriste palestinien est honni par les dirigeants égyptiens, en partie à cause de son affiliation au mouvement radical des Frères musulmans, que le président al-Sissi considère comme une menace pour son régime, mais surtout parce que le Hamas constitue une menace pour la stabilité du Sinaï, de l’autre côté d’une frontière agitée.

Al-Sissi n’avait pas hésité à inonder d’eau de mer les tunnels utilisés par le Hamas pour introduire clandestinement des armes dans la bande de Gaza en 2014, une technique désormais adoptée par Tsahal. Il n’avait pas été perturbé par ceux qui l’ont qualifié de « traître » dans le monde arabe, et il n’avait certainement pas hésité à polluer l’eau potable de Gaza.

C’est vers l’Égypte, et non vers le Qatar, qu’Israël devrait se tourner en tant que médiateur dans les négociations visant à mettre fin au conflit. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cet allié.

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