La campagne anti-Josh Shapiro, qui aspire à la vice-présidence US, se renforce – et suscite des accusations d’antisémitisme
Les commentateurs font remarquer que d'autres personnalités démocrates dont la candidature est aussi envisagée par Kamala Harris sont également pro-israéliens - mais qu'ils n'ont jamais été critiqués comme l'a été le gouverneur juif de Pennsylvanie
WASHINGTON — Il y aura quatre favoris dans la course qui désignera, à terme, le colistier de Kamala Harris dans le cadre des élections à la présidence des États-Unis. Chacun d’entre eux ont des antécédents pro-israéliens.
Mais un seul, le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro, qui est Juif, doit affronter une campagne visant à disqualifier sa candidature en raison de son positionnement sur la question d’Israël. Une initiative de dénigrement qui a notamment été menée par le biais d’un article paru dans un célèbre journal de gauche, The New Republic, par le biais d’un site internet et d’un fil sur X, anciennement Twitter, qui a été intitulé « No Genocide Josh ».
Harris doit annoncer l’identité du colistier qu’elle aura choisi mardi et elle apparaîtra à ses côtés à Philadelphie. La localité accueillant cette apparition des deux candidats du parti démocrate qui prendront part à la course à la Maison Blanche a pu entraîner des rumeurs qui ont laissé entendre que Shapiro serait l’heureux élu – ce qui a renforcé, en conséquence, la campagne menée à son encontre.
Des commentateurs juifs et non-juifs – avec parmi eux des démocrates siégeant au Congrès – déclarent que Shapiro est injustement pris pour cible en raison de sa judéité. Ils soulignent que tous les autres candidats — le gouverneur Andy Beshear du Kentucky, le gouverneur Tim Walz du Minnesota et le sénateur de l’Arizona, Mark Kelly — ont tous des antécédents pro-israéliens.
« Il y a plusieurs options incroyables pour cette vice-présidence. Le superbe gouverneur de Pennsylvanie, @JoshShapiroPA, est l’une d’entre elles », a écrit sur X le représentant juif de Californie Adam Schiff, une célébrité parmi les démocrates en raison de son rôle dans les procédures d’impeachment qui avaient visé l’ancien président Donald Trump et dans les enquêtes qui avaient été ouvertes sur ce dernier.
« Le singulariser ou appliquer un deux poids, deux mesures à son encontre en raison de la guerre à Gaza est antisémite et c’est quelque chose de mal », a dit Schiff, qui est le favori des sondages alors qu’il brigue actuellement un siège au Sénat américain.
« Ne vous aventurez pas sur ce terrain », a-t-il mis en garde.
Parmi ceux qui sont à l’origine de la cabale lancée contre Shapiro, le groupe Democratic Socialists of America qui a décidé de ne soutenir que des candidats revendiquant leur antisionisme. Le Jewish Insider a aussi découvert que l’un des organisateurs de la campagne « No Genocide Josh » était un fil initialement humoristique, « Dear White Staffers » qui, sur les réseaux sociaux, a attaqué sans relâche Israël depuis le 7 octobre. Ce thread est régulièrement alimenté par un employé du représentant de Pennsylvanie Summer Lee, membre de la Squad d’extrême-gauche dont les membres critiquent férocement l’État juif.
Les critiques de Shapiro affirment que même si les autres candidats ont, eux aussi, adopté des positionnements favorables à Israël, Shapiro a défendu l’État juif avec une ardeur particulière, dénonçant également avec ferveur les campus qui, en proie aux agitations pro-palestiniennes et anti-israéliennes, sont devenus des environnements hostiles pour les étudiants juifs.
Shapiro « se distingue, parmi les candidats potentiels actuels, par son excessive médiocrité sur la question palestinienne », a écrit David Klion, qui est Juif, dans The New Republic en date du 24 juillet, dans un article qui a aidé à attirer l’attention des militants pro-palestiniens sur le candidat.
« Et ce n’est pas seulement qu’il est, comme le sont aussi de nombreux démocrates, un soutien affirmé d’Israël », a ajouté Klion dans sa chronique. Shapiro « a fait bien plus que la majorité des démocrates pour s’en prendre aux manifestants anti-guerre et pro-palestiniens, et il l’a fait d’une manière qui met aujourd’hui en doute son engagement en faveur des droits garantis par le Premier amendement ».
Les responsables de la campagne lancée contre Shapiro, et notamment Klion, insistent sur le fait que sa judéité n’est pas un problème. Certains font remarquer qu’ils ont appuyé, dans le passé, la candidature d’autres Juifs, comme celle du sénateur Bernie Sanders du Vermont, qui se montre lui aussi très critique d’Israël.
« C’est tellement drôle de voir que toutes les critiques à l’égard de Shapiro sont immédiatement qualifiées d’antisémites, ça fait des années que ça m’amuse », a écrit Klion sur Twitter, vendredi.
Il avait écrit un fil après la découverte, par le Philadelphia Inquirer, d’une lettre ouverte qui avait été écrite par Shapiro dans le journal de l’université qu’il fréquentait en 1993, alors qu’il n’avait que vingt ans. Dans l’article, il affirmait que « les Palestiniens ne coexisteront pas pacifiquement » avec Israël, ajoutant qu’ils étaient « trop batailleurs » pour vouloir réellement la paix avec l’État juif.
En réponse à la controverse suscitée par la réapparition de cet article, Shapiro a fait valoir que ses convictions avaient évolué au cours des trois dernières décennies et que cela fait longtemps qu’il soutient l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël.
« La vérité, c’est que les Juifs de gauche, comme je le suis moi-même, connaissons trop bien ce genre de personnalité ; nous connaissons toute son histoire et nous ne sommes pas particulièrement désireux de le voir devenir le Juif le plus célèbre de l’arène politique américaine », a écrit Klion.
Amy Spitalnick, directrice-générale du Jewish Council for Public Affairs, a indiqué que le problème n’était pas que les critiques de Shapiro fassent état de désaccords avec ce dernier mais que des attaques personnelles avaient été lancées à son encontre alors que d’autres candidats, forts des mêmes convictions, avaient été épargnés.
« Ils peuvent le critiquer sur des problématiques politiques – le débat est quelque chose de sain », a dit Spitalnick dont le groupe travaille fréquemment avec des organisations progressistes. « Mais quand c’est le seul et unique candidat juif qui est visé en faisant l’objet d’insultes et d’attaques personnelles en lien avec Israël, nous devons être clairs sur le fait que c’est quelque chose de dangereux et nous ne pouvons pas y apporter tacitement notre approbation ».
Yair Rosenberg, dans un article paru dans The Atlantic, a cherché à s’attaquer aux arguments avancés par le mouvement anti-Shapiro, disant que les positionnements de ce dernier n’étaient pas différents de ceux des autres candidats. Tous sont des centristes blancs dont le choix est sans doute étudié pour rééquilibrer la présence d’une candidate d’origine jamaïcaine dans la course à la présidence, candidate qui a été décrite par l’équipe de campagne de Trump comme une progressiste convaincue (même si Harris a, pendant la plus grande partie de sa carrière, adhéré à des positionnements centristes et notamment sur la question d’Israël).
« Il n’y a pas de memes qui font le buzz contre ‘Killer Kelly’ ou contre ‘War-Crimes Walz’, » a écrit Rosenberg. « Alors soit les activistes impliqués dans cette campagne sont extraordinairement paresseux et ils n’ont jamais réfléchi à enquêter sur les autres éventuels candidats à la vice-présidence, soit ils estiment que les Juifs sont indignes de confiance de manière unique. »
Les activistes progressistes ont dénoncé d’autres antécédents politiques de Shapiro. L’homme avait soutenu, l’année dernière, la distribution de bons aux écoles privées avant de retirer une partie de son soutien – mais il n’a pas regagné depuis la confiance des syndicats enseignants, qui représentent un électorat démocrate déterminant. Il avait aussi négocié un accord, lorsqu’il était député de l’état, qui avait permis d’installer un président républicain au parlement – ce qui était un compromis nécessaire, avait-il affirmé, mais ce que de nombreux démocrates avaient considéré comme une trahison.
Shapiro n’a jamais hésité à attribuer au Hamas l’origine de la guerre en cours et à prôner la mise en place d’une solution à deux États. Il a aussi estimé que le Premier ministre Benjamin Netanyahu gérait la guerre de façon catastrophique et il avait déclaré qu’il était « l’un des pires leaders dans le monde ». Il a dénoncé avec force, à de multiples occasions, les manifestants anti-israéliens qui, sur les campus américains, ont perturbé la vie des étudiants juifs et les protestataires palestiniens qui ont pris pour cible des entreprises juives, tout en réaffirmant le droit à manifester pacifiquement.
D’autres candidats ont pu dire des choses similaires. Kelly a indiqué qu’il était favorable à l’intervention de la police lorsqu’il était nécessaire de disperser les mouvements pro-palestiniens. Il a aussi assisté au discours prononcé, la semaine dernière, par Netanyahu lors d’une session conjointe du Congrès – il a applaudi l’allocution – quand des dizaines d’autres démocrates avaient choisi de boycotter l’événement ou de manifester.
Il a coparrainé une loi dont l’objectif est de lutter contre l’antisémitisme qui, selon les critiques pro-palestiniens, stigmatise leur activisme. L’épouse juive de Kelly, Gabrielle Giffords, est une ancienne membre du Congrès qui entretient des liens de longue date avec la communauté pro-israélienne.
Pour sa part, Walz avait donné l’ordre de mettre les drapeaux en berne, dans le Minnesota, après le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre – l’attaque qui devait être à l’origine de la guerre actuelle à Gaza. Il n’avait pas répondu aux activistes qui lui avaient demandé de désinvestir de l’État juif. Lorsqu’il était membre du Congrès, il avait assisté à des conférences de l’American Israel Public Affairs Committee, précisant qu’il attendait à chaque fois ces rendez-vous « avec impatience ».
« Israël est notre meilleur allié, notre allié le plus proche dans la région, un pays qui s’est engagé à défendre les valeurs des libertés personnelles dans un environnement très difficile », avait-il commenté en 2010.
Beshear avait été, en 2021, le premier gouverneur à adopter officiellement la définition de l’antisémitisme mise au point par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), une définition qui est dénoncée par certains progressistes qui lui reprochent d’assimiler les critiques légitimes d’Israël à des expressions de haine antijuive. Il a lancé un groupe de travail qui se consacre à la lutte contre l’antisémitisme au mois de décembre dernier, dont les activités se sont largement concentrées sur la haine que les étudiants juifs disent subir sur les campus.
Jonathan Chait, chroniqueur au New York Magazine, a écrit un article, cette semaine, au sujet de la controverse et il a estimé que Shapiro était un candidat de choix – tout en faisant remarquer que le bilan du gouverneur sur la question israélienne avait un point faible que celui des autres aspirants à la vice-présidence n’avaient pas.
Chait a rappelé le rôle de premier plan que Shapiro avait tenu quand des pressions en faveur du renvoi du renvoi de la présidente Liz Magill avaient été exercées sur l’université de Pennsylvanie. La dirigeante avait suscité la controverse après avoir déclaré que les appels au génocide devaient être appréhendés dans leur contexte avant de déterminer s’ils violaient les réglementations de cet établissement d’enseignement supérieur.
« Cet acharnement contre Magill et contre les autres présidents a été ridicule », a écrit Chait. « Shapiro a pris le train en marche pour exiger la démission de Magill, ce qui lui a ainsi ôté sa crédibilité en tant que défenseur de la liberté d’expression et ce qui a donné à ses détracteurs des raisons légitimes de mettre en doute sa bonne foi ».
La comparaison faite par Shapiro entre les activistes pro-palestiniens et les extrémistes de droite – notamment les membres du Ku Klux Klan – avait également entraîné la fureur des critiques du gouverneur.
« Shapiro a établi très clairement le mépris qu’il nourrit à l’encontre des activistes pro-palestiniens sur les campus », a écrit Klion, rappelant un article du New York Times où le gouverneur disait : « Si vous aviez un groupe de suprémacistes blancs qui campe et qui hurle des insultes raciales chaque jour qui passe, cela entraînerait une réaction très différente de celle d’aujourd’hui, où vous avez des antisémites qui dressent un campement en criant des tropes antisémites ».
Shapiro a aussi défendu de manière répétée le droit à manifester pacifiquement contre les actions d’Israël – notamment dans l’article qui avait été publié par le New York Times – et il n’a cessé de condamner l’islamophobie lorsqu’il était amené à fustiger l’antisémitisme.
« Il est essentiel d’éliminer les expressions de haine de la conversation et il est déterminant de permettre aux gens d’exprimer librement leurs idées, que je sois d’accord avec elles ou non », avait-il ainsi déclaré au New York Times.
Il est difficile de dire dans quelle mesure les critiques des progressistes auront une influence sur le choix de Harris. Les partisans de Shapiro déclarent, de leur côté, qu’en tant que gouverneur populaire d’un état dont l’importance sera cruciale pour les élections, il présente de nets avantages. Et il a un électorat qui se tient solidement derrière lui : celui des Juifs de Pennsylvanie.
« Bien sûr, il y a beaucoup de spéculations au sujet de mon gouverneur qui pourrait devenir le colistier de Harris », a déclaré la représentante démocrate Susan Wild lors d’un événement de campagne sur internet dont l’objectif était de mobiliser les électeurs juifs en vue de la candidature dans la course à la Maison Blanche de l’actuelle vice-présidente. « Qui sait ? Je serais très heureuse si c’était le cas. Même si nous tous, en Pennsylvanie, nous serons un peu tristes de perdre notre gouverneur. Mais je pense que cela apportera beaucoup au ticket démocrate, et c’est tout ce que je vais me contenter de dire ».