La chargée d’affaires à Ankara s’exprime sur la reprise des liens avec la Turquie
Pour Irit Lillian, chargée d'affaires pendant la période de réconciliation entre les deux pays, si les liens aideront à régler les différends, le "mariage" ne sera pas "parfait"

Mercredi, Israël et la Turquie ont annoncé la reprise pleine et entière de leurs relations diplomatiques après deux années consacrées à tenter de réparer des liens qui avaient été gravement endommagés.
Irit Lillian, chargée d’affaires israélienne à Ankara, a joué un rôle central dans ce processus de réconciliation depuis sa nomination à son poste, au mois de février 2021.
« Il était clair, depuis le début, que nous allions construire une relation dans laquelle nous nous accorderions sur le fait d’être en désaccord », a commenté Lillian auprès du Times of Israel au cours d’un entretien, jeudi.
« Nous savons qu’il y a un certain nombre de points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord. Nous pouvons avancer et résoudre ces problématiques plus tard », a-t-elle ajouté.
Un point de friction majeur est la présence d’un bureau du Hamas à Istanbul – un bureau qui, affirme Ankara, ne mène que des activités politiques. De son côté, l’État juif a accusé le groupe terroriste d’utiliser ce point de chute, en Turquie, pour ordonner des attentats et le pays a ouvertement demandé sa fermeture.
« Le bureau du Hamas à Istanbul sera fermé », avait promis le ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, au mois de novembre après l’annonce par Israël de l’arrestation de 50 membres du Hamas, en Cisjordanie, qui auraient reçu leurs ordres depuis la ville turque.
Mais « il est encore là – et c’est un obstacle énorme », reconnaît Lillian.

Néanmoins, la diplomate – qui a été ambassadrice israélienne en Bulgarie et en Australie – souligne que la reprise des liens est faite de manière à permettre aux deux parties de gérer les tensions de façon à la fois apaisée et constructive.
« Nous sommes en train de tisser des relations bilatérales positives et véritables qui présentent de nombreuses opportunités en termes d’activités – mais nous sommes conscients du fait qu’il reste des points sur lesquels nous sommes en désaccord », remarque-t-elle.
« Nous savons que nous n’allons pas connaître un mariage parfait », ajoute-t-elle.
Les deux pays sont en train de mettre en place « un mécanisme de déconfliction » qui les aidera en cas de différend – des différends qui sont pratiquement inévitables. « Nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour construire une structure qui saura résister aux séismes politiques à l’avenir », continue-t-elle.
Tirer le meilleur
Il ne manque pas de sujets potentiels de désaccord. Au-delà des désaccords sur la solution à apporter au conflit israélo-palestinien, les deux puissances régionales mènent des opérations militaires en Syrie – même si la Turquie est impliquée bien plus en profondeur que l’État juif sur ce territoire – et les deux États sont des acteurs majeurs dans la recherche de gaz fossile dans l’Est de la Méditerranée.

Mais ces dossiers représentent également des opportunités de collaboration.
Pendant le processus de réconciliation, Israël et la Turquie ont réussi à transformer les épisodes les plus tendus de leur relation en autant d’occasions de construire la confiance. Au mois de novembre, un couple israélien avait été placé en détention en Turquie pendant une semaine, accusé d’espionnage. Les autorités israéliennes n’avaient pas manqué de remercier publiquement le président turc Recep Tayyip Erdogan pour son aide dans la remise en liberté finale des deux ressortissants.
Et au mois de juin, Israël et la Turquie ont œuvré de concert à déjouer un complot ourdi par l’Iran de commettre des attentats contre des touristes israéliens sur le sol turc en riposte à une série de meurtres et de frappes contre des cibles militaires et nucléaires, au sein de la République islamique.
« C’est un incident qui a permis une coopération excellente entre les services de sécurité turcs et israéliens », commente Lillian.
« Ces deux épisodes nous montrent qu’il est possible de tirer le meilleur d’une situation qui, au premier regard, ne semblait pas évidente. »
Injecter un nouvel oxygène
Israël avait été convaincu du sérieux affiché par la Turquie dans sa tentative de rapprochement grâce au haut-niveau de dialogue officiel au sujet de la restauration des liens. Au-delà des visites faites en Turquie par le président Isaac Herzog et par Lapid, au-delà des entretiens téléphoniques entre les dirigeants israéliens et Erdogan, des conseillers et des diplomates de premier plan avaient été chargés de se rencontrer pour permettre à la réconciliation d’aller de l’avant.

Au mois de février, une délégation turque, avec à sa tête Ibrahim Kalin, porte-parole et haut-conseiller d’Erdogan, et le vice-ministre des Affaires étrangères, Sadat Onal, s’était entretenue avec le directeur-général du ministère des Affaires étrangères, Alon Ushpiz, et avec le directeur-général du bureau du président, Eyal Shviki. Cela avait été l’occasion d’établir une feuille de route vers la reprise de relations pleines et entières.
« Cet oxygène avait manqué trop longtemps dans la relation », remarque Lillian.
Alors qu’ils étaient, par le passé, des alliés solides dans la région, les liens entre les deux pays s’étaient tendus au début du mandat d’Erdogan, quand le leader turc n’avait pas hésité à âprement critiquer les politiques mises en œuvre par Israël à l’égard des Palestiniens.
L’État juif avait aussi pris ombrage des relations chaleureuses d’Erdogan avec le Hamas, le groupe terroriste à la tête de la bande de Gaza.

Israël et la Turquie avaient réciproquement rappelé leurs ambassadeurs en 2010, après l’assaut donné par les forces israéliennes contre une flottille transportant de l’aide humanitaire qui avait voulu rompre le blocus maritime mis en place par Israël à Gaza. Même si les Israéliens étaient montés sur la majorité des bateaux sans incident, les personnes qui se trouvaient à bord d’un navire turc avaient affiché une résistance farouche et les heurts qui avaient suivi avaient entraîné la mort de dix activistes turcs.
Les relations s’étaient lentement améliorées avant de se rompre encore une fois en 2018 après que la Turquie, furieuse face au transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, a encore une fois rappelé son envoyé au sein de l’État juif – amenant Israël à faire de même.
Le long parcours qui a finalement débouché sur l’annonce de mercredi avait commencé en 2020, avec l’atterrissage d’un avion El Al en Turquie – une première depuis dix ans – dans le cadre d’une opération visant à rapporter des équipements médicaux en Israël alors que la pandémie de COVID-19 était à son paroxysme.

Dans les mois qui avaient suivi, la Turquie, qui devait faire face à l’isolement régional, à des déboires économiques et à la présence d’un président potentiellement hostile à la Maison Blanche, s’était montrée particulièrement désireuse de changer les choses – davantage, en tout cas, qu’Israël. L’État juif, qui profitait du plaisir de ses liens florissants avec les adversaires de la Turquie et qui insistait sur la nécessité d’avoir des preuves qu’Ankara ne ferait pas brusquement volte-face, s’était contenté d’attendre.
Ce lent processus a pourtant pris une nouvelle tournure l’an dernier, avec un gouvernement au pouvoir en Israël et un président, Isaac Herzog, qui ont assumé un rôle diplomatique actif dans ce rapprochement.
Plusieurs initiatives seront prises dans les prochaines semaines pour refléter cette tendance positive. Un consul économique sera renvoyé à Istanbul pour reprendre son travail au consulat israélien après trois ans d’absence.
Un accord sur l’aviation, autorisant les transporteurs israéliens à reprendre leurs liaisons vers et depuis la Turquie pour la toute première fois depuis 2007, devrait être, lui aussi, rapidement finalisé.
Israël a aussi dû choisir un ambassadeur – une procédure qui est plus compliquée à mener sous un gouvernement intérimaire et qui nécessitera l’approbation de la procureure-générale Gali Baharav-Miara et celle de la commission qui, au sein du ministère des Affaires étrangères, est chargée de sélectionner les envoyés.

Lillian dit espérer que Lapid favorisera un professionnel de la diplomatie pour le poste plutôt que de faire appel à une personnalité politique.
Portes ouvertes
Même si elle est arrivée à Ankara alors que les liens bilatéraux étaient encore fragiles, Lillian indique que les responsables turcs se sont montrés beaucoup plus réceptifs face à elle que ce qu’elle avait anticipé.
« Je m’étais préparée à ce qu’on me dise que je ne pourrais pas m’entretenir avec de hauts-responsables et je m’étais aussi préparée à ce que des officiels moins bien placés posent de nombreux obstacles bureaucratiques sur mon chemin », explique-t-elle. « Mais ce n’est pas arrivé. Les portes m’ont été ouvertes. »
Malgré certaines limites en termes d’accès, Lillian indique avoir eu le sentiment que les responsables turcs étaient désireux de lui parler.
Lillian ajoute que son travail de diplomate israélienne en Turquie s’apparente à une navigation sur les eaux de la mer Méditerranée. « Il y a des moments plus tempêtueux, et il y a des moments calmes où vous vous contentez d’admirer le spectacle. »
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