La guerre contre la modernité d’Israël
Une coalition avec Ben Gvir détricotera le tissu social et détruira l'héritage de Netanyahu, le réformateur qui a garanti une place à Israël dans le concert des nations
Cette élection qui s’annonce – c’est la cinquième fois en moins de quatre ans que les Israéliens se rendront dans les bureaux de vote – est différente des précédentes sur le plan qualitatif. Les autres scrutins étaient des référendums portant sur le mérite de Netanyahu : était-il assez digne pour diriger l’État d’Israël ?
Mais cette fois-ci, l’enjeu est bien plus important : consciemment ou non, les Israéliens, en déposant leur bulletin dans l’urne, décideront de l’avenir de l’État juif en tant qu’État moderne.
Chaque composante de la coalition de Netanyahu a déclaré la guerre à un élément essentiel différent contribuant à la modernité d’Israël, cette modernité qui a été à l’origine de la success story du pays.
Le Likud cherche à détruire notre système judiciaire indépendant, à contourner sa capacité à contrôler la corruption politique – ce qui permettrait, en conséquence, d’extirper Netanyahu du marasme de ses déboires judiciaires. Un système judiciaire respecté à l’international, évoqué par les partisans d’Israël, à l’étranger, comme étant la preuve la plus convaincante d’une démocratie vibrante ; un système qui a su nous protéger des tentatives de criminaliser l’État juif, serait ainsi sacrifié sur l’autel de la survie de la carrière d’un politicien qui n’est plus motivé par les intérêts du pays mais bien par les siens.
Les partis ultra-orthodoxes cherchent à peser irrémédiablement sur l’économie israélienne avec une population qui ne cesse de croître rapidement et qui est dans l’incapacité de rejoindre une main-d’œuvre aux compétences de pointe, avec une communauté qui resterait dépendante des largesses du gouvernement. Pour préserver les murs qui les séparent du reste de la société, pour rester un monde évoluant à l’intérieur d’un autre monde, les leaders haredim sont prêts à accepter l’hédonisme de Netanyahu et l’irresponsabilité apocalyptique d’Itamar Ben Gvir, ils sont prêts à soutenir l’alliance de l’amoral et de l’immoral, et tout cela au nom du « judaïsme fidèle à la Torah. »
Le gouvernement sortant a conclu un accord historique avec la mouvance hassidique de Belz, l’une des plus importantes et des plus larges communautés hassidiques, déterminant l’introduction d’un « tronc commun laïc » – notamment en mathématiques et en anglais – dans les écoles du mouvement. Mais, cédant aux pressions des partis ultra-orthodoxes, Netanyahu a accepté de suspendre le lien qui avait été établi entre le financement public des établissements scolaires ultra-orthodoxes et l’enseignement, dans leurs enceintes, de ce tronc commun. « Mais qui a besoin d’anglais et de mathématiques ? », s’est ainsi interrogé Yitzhak Goldknopf, chef du parti Yahadout HaTorah, dans une interview récente.
La dernière composante, qui est la plus dévastatrice, de cette coalition œuvrant à empêcher Israël de se développer en tant que société saine et moderne est l’extrême-droite nationaliste. Le parti Otzma Yehudit de Ben Gvir (qui se présente sur la même liste qu’une autre formation d’extrême-droite, HaTzionout HaDatit) anéantirait l’intégrité de la société israélienne, remplaçant une coexistence fragile entre Juifs et Arabes, dans le pays, par rien de moins qu’une guerre civile.

Malgré toutes les tensions, la majorité des Arabes et des Juifs ont pris l’habitude de la coexistence pratique. Ce qui est l’une des réussites les plus impressionnantes de la société israélienne, même si elle reste largement peu reconnue. Malgré le conflit israélo-palestinien, les Arabes et les Juifs interagissent, souvent facilement, parfois intimement, dans les parcs, dans les centres commerciaux et dans les hôpitaux. En voisins. Des interactions qui sont intolérables pour Ben Gvir et ses alliés.
Même si Ben Gvir affirme avoir renoncé à l’extrémisme de sa jeunesse kahaniste, il continue à vénérer feu le rabbin Meir Kahane, qu’il considère comme son guide spirituel – un homme qui avait créé de toutes pièces une théologie raciste plaçant la haine et la vengeance au cœur du judaïsme. Jusqu’à il y a quelques années, une photographie de Baruch Goldstein, le boucher de Hébron, trônait dans le salon de Ben Gvir ; il ne l’avait faite disparaître que lorsque sa présence avait commencé à lui nuire politiquement.
L’objectif à long-terme de Ben Gvir, qui est d’expulser les Arabes de l’État juif, reste pour sa part inchangé : la semaine dernière, il a vivement recommandé la création d’un « bureau d’émigration » gouvernemental qui encouragerait les Arabes à partir. Et il provoque délibérément une telle instabilité massive que l’expulsion d’un grand nombre de Palestiniens, y compris citoyens d’Israël, semble être une option concevable.

Ben Gvir, rejeté du service militaire en raison d’une condamnation pour activités terroristes et qui, triste sire, dégaine une arme à feu à la provocation la plus légère (comme il l’a fait au cours d’une altercation verbale avec un Arabe pour une place de parking), se présente comme étant la réponse aux besoins sécuritaires de l’État juif. Mais ce qu’il offre vraiment, c’est une vision qui s’apparente à une libanisation de la société israélienne – une société où les autorités centrales se seraient effondrées et où elles seraient remplacées par des milices rivales. Nous serions ainsi protégés non pas par l’armée, mais par des gangs de rue juifs, comme ces « Jeunes des collines » qui attaquent au hasard les Palestiniens et même les soldats israéliens.
Le mentor spirituel de Ben Gvir pensait qu’un formidable cataclysme était à même de résoudre les problèmes d’Israël. Et ainsi, ce qui n’est guère surprenant, la cible ultime de Ben Gvir reste le mont du Temple, le seul lieu ayant le pouvoir d’enflammer tout le Moyen-Orient. En y changeant le statu quo, il prend le risque de faire éclater une guerre sainte entre musulmans et Juifs – tout en humiliant les nouveaux alliés arabes d’Israël et en prévenant tout rapprochement avec d’autres pays arabes, l’Arabie saoudite à leur tête.
Alors qu’une partie croissante du monde arabe est en quête de nouveaux accommodements avec Israël, la coalition de Netanyahu renforcerait les éléments anti-arabes les plus extrémistes au sein de la société israélienne.

L’une de nos responsabilités, en tant que gardiens de cette terre, est de freiner l’extrémisme religieux, ses passions et ses outrances incontrôlées, qu’il soit extérieur, comme avec le Hamas ou avec le Jihad islamique, ou qu’il soit intérieur, chez nous. Donner du pouvoir à Ben Gvir s’apparenterait à une trahison de cette mission sacrée.
Notre capacité à rester une nation digne, malgré des pressions sans relâche qui auraient amené d’autres sociétés jusqu’à la folie, est l’une des gloires dont peut s’enorgueillir l’État d’Israël. Ceux qui feraient d’Israël un criminel, qui le transformeraient en seule addition de ses échecs, effacent le contexte dans lequel Israël lutte pour trouver un équilibre entre impératif moral et menace constante. L’extrême-droite et la gauche antisioniste partagent le même mépris de la quête héroïque d’équilibre d’Israël, de ce combat mené pour le trouver. Ben Gvir abandonnerait cette lutte et transformerait le pays en État porté par la haine et la vengeance, avec la grandiloquence messianique pour seule justification.
La tragédie de Benjamin Netanyahu
La coalition de Netanyahu contre la modernité marque le détricotage potentiel de son héritage le plus chéri. Paradoxalement, même s’il a affirmé qu’il était le seul leader en capacité de protéger Israël, ce n’est pas pour ses réussites supposées dans le domaine de la sécurité que Netanyahu pourrait entrer dans l’Histoire.
Il a échoué à empêcher l’Iran d’atteindre le seuil nucléaire. Il a permis à des valises remplies d’argent qatari d’entrer dans la bande de Gaza pour être livrées aux terroristes du Hamas, pour chercher à acheter – en vain – le calme à la frontière. Et pendant ses 12 années passées au poste de Premier ministre, 12 000 roquettes et missiles ont été tirés depuis Gaza vers les communautés israéliennes – contre moins d’une douzaine l’année passée.
Il était au pouvoir lors des échanges de prisonniers qui avaient entraîné la libération de nombreux terroristes (1 027 pour être précis) alors détenus en Israël – et un grand nombre d’entre eux sont ensuite retournés au terrorisme. Sous son autorité, le Hezbollah s’est massivement réarmé, tandis que le Neguev s’est transformé en frontière sans foi ni loi. La doctrine stratégique de Netanyahu – s’il en a une – sera étudiée dans le futur par les décisionnaires politiques comme exemple à ne pas suivre.

Mais là où Netanyahu a laissé son empreinte de manière significative, c’est dans le développement d’Israël en tant qu’État moderne. Il a libéré l’économie israélienne des vestiges de l’étatisme, il a encouragé la Start-Up Nation et lorsqu’il était ministre des Finances, au début des années 2000, il a diminué les allocations versées aux jeunes ultra-orthodoxes pour les pousser à intégrer le marché du travail. Il a vigoureusement élargi les alliances d’Israël, en particulier avec l’Inde, la Chine et une grande partie de l’Afrique. (Fait révélateur, le titre de son programme, en 2013, était « Une place parmi les Nations »). Il reste le politicien israélien qui connaît le mieux l’Amérique, celui qui a pu parler « américain » devant le Congrès ou devant les médias. Il aura longtemps été la promesse d’un Israël moderne, rationnel.
Mais aujourd’hui, toutes ces réussites sont en péril. La coalition de Netanyahu nuirait gravement à la place qu’occupe Israël parmi ses amis du monde entier ; plusieurs des défenseurs les plus fervents de l’État juif, au Congrès américain, ont mis en garde contre une future crise si Ben Gvir devait devenir ministre.
La tragédie de Netanyahu devient plus profonde d’une élection à l’autre. Et aujourd’hui, il en est là, à s’abaisser lui-même, à détricoter tout l’héritage dont il est fier – à juste titre. Finalement, la guerre de la coalition de Netanyahu contre la modernité israélienne n’est rien d’autre qu’une guerre contre Netanyahu lui-même.
Yossi Klein Halevi est chercheur au sein du Shalom Hartman Institute, dont il est le co-directeur avec l’imam Abdullah Antepli de la Duke University et Maital Friedman, de la MLI (the Muslim Leadership Initiative), et il est membre du iEngage Project au sein de l’Institut. Son dernier livre, « Letters to My Palestinian Neighbor », est un best-seller du New York Times. Son précédent ouvrage, « Like Dreamers », avait été désigné livre de l’année en 2013 par le Jewish Book Council.
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