Lancer de dés pour la coexistence judéo-arabe avec un concours de backgammon à Jérusalem
Après des mois de compétition qui ont attiré 500 joueurs de la ville entière, le concours s'est terminé par un dernier lancer fatal
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
En fin de compte, tout se résume à un simple lancer de dés. Si Itsik Yakobovitch, lui et son chapeau blanc tape-à-l’œil et ses danses incroyablement jeunes, fait un double 2, 3, 4, 5, ou 6, il sera couronné tout premier vainqueur du Championnat de backgammon de Jérusalem. Si ce n’est pas lui, le titre reviendra à Gadi Carmeli, le porteur de maillot de football au crâne brillant.
La récompense s’élève à la modique somme de 25 000 shekels. Mais bien que cette somme soit considérable pour les deux finalistes, le tournoi ne représente pas une question d’argent. C’était plutôt, et presque certainement, l’évènement le plus fédérateur qui ait pu avoir lieu dans l’ombre des remparts de la Vieille Ville, autour d’un simple lancer de dés.
Au cours de l’année écoulée, dans plusieurs endroits de la ville cosmopolite, près de 500 Juifs, chrétiens, musulmans et que sais-je encore ont joué pour se qualifier pour le tournoi. Dans les garages de Talpiyot, au YMCA, dans la Vieille Ville, dans les quartiers juifs et arabes – s’efforçant de s’assurer une place pour la soirée de jeudi, pour la finale.
Ce projet ambitieux a été rêvé par une association nommée Double Yerushalmi, qui a vocation à établir de meilleures relations entre Juifs et Arabes dans la ville, par le biais d’évènements culturels, avec le financement de la Fondation de Jérusalem, de l’Autorité du développement de Jérusalem, de la mairie, et d’autres organes.
L’un des organisateurs, Zaki Djemal, a raconté avoir eu cette idée alors qu’il jouait au backgammon pendant sa pause, lors d’une réunion qui consistait à trouver des idées pour…. Vous avez compris.
Et cette idée a été saluée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ni plus ni moins, qui a tweeté : « ce soir, des centaines d’Arabes, de Juifs et d’autres se rassemblent pour le Championnat de backgammon de Jérusalem. Un magnifique symbole de coexistence. »
Tonight hundreds of Arabs, Jews and others come together for the Jerusalem Backgammon Championships. A beautiful symbol of co-existence.
— Prime Minister of Israel (@IsraeliPM) August 24, 2017
Les mois de compétition se sont terminés par une multitude de concours jeudi après-midi, pour qualifier les 32 joueurs pour la soirée : des Arabes de Jérusalem, un garagiste de Ramle, un natif de Russie, un joueur de backgammon professionnel qui a grandi en Israël et qui s’est élevé au rang de numéro 1 mondial, familièrement appelé ‘Falafel’, et le champion du monde 2008 de Backgammon, Masayuki ‘Mochy’ Mochizuki, qui a fait le déplacement pour l’occasion.
Craignant que ‘Falafel’ (de son vrai nom, Matvey Natanzon) et ‘Mochy’ ne l’emportent sur tous les résidents et ne gâchent le plaisir en accédant à la finale, les organisateurs les ont fait jouer l’un contre l’autre, afin qu’au moins l’un des deux soit éliminé au départ.
Mais ils n’avaient pas à s’inquiéter.
Le backgammon requiert certaines compétences, mais le format utilisé dans le tournoi de jeudi faisait que la chance occupait un rôle important. Quand Mochy a vaincu Falafel, dans un jeu à la dimension théâtrale, parce qu’ils jouaient sur un plan incliné, craignant en permanence que le dé ne disparaisse, le champion japonais a affronté Ayal Amari, le garagiste aux multiples tatouages de Ramle.
Sa réputation n’a rien pu faire pour lui : champion du monde ou pas, Mochy a été défait quand une série de lancers a joué en faveur d’Amari. Sautillant de joie après sa victoire, Amari se pavoisait : « j’en ai fait du sushi ! », mais, plus élégamment, quelques secondes plus tard, il a reconnu que sa victoire était « davantage due à la chance qu’à sa matière grise. »
Imperturbable, Mochy a passé le reste de la soirée à jouer gaiement des parties officieuses contre ceux qui venaient, notamment un groupe de garçons ultra-orthodoxes.
« J’adore les raisons qui ont motivé cet évènement », a déclaré le champion japonais à la fin de la soirée. « Utiliser le backgammon pour rassembler, c’est magnifique. C’est bon pour le backgammon. Et je peux aller voir mes amis à Tel Aviv », qu’il a rencontrés lors de ses précédents séjours en Israël.
Les 32 finalistes étaient en majorité des hommes, séfarades et arabes. Le public était plus hétéroclite, des femmes et des enfants, encourageant leurs proches ou les perdants, en hébreu et en arabe. Il y avait également des centaines de fans et de curieux. Adi Suchovolsky, la seule femme à avoir grimpé les échelons, a été encouragée sans relâche jusqu’à son accession aux quarts de finale. Et ces cris ont pris une tournure de grognement universel quand elle a été vaincue en demi-finale par Gadi Carmeli.
Suchovolsky était-elle une championne nationale ? Une championne de quartier ? Elle a rigolé : « je suis la championne de mon bureau ».
Finalement, après trois heures de jeu, il ne restait que Gadi et Itsik. Chaque jeu de la soirée a été commenté pour le public, en arabe et en hébreu, par des commentateurs infatigables, un présentateur sportif de Jérusalem Ouest, et un acteur de Jérusalem Est, connu pour son rôle dans la série télévisée israélienne à succès « Fauda ».
Puis, ils ont accueilli les deux derniers joueurs à la table, placée sur une estrade directement sous les murailles de la Vieille Ville. Le plateau était projeté, tel un écran géant, sur la construction du puissant sultan Souleymane, et les deux survivants se sont préparés à la bataille.
Cette dernière compétition ne se disputait pas à la meilleure des trois manches, mais en un seul jeu. Ça passe ou ça casse. Et il n’y avait pas de prix de consolation : le gagnant remporte tout, le perdant n’a rien.
Sans surprise donc, notre astucieux duo a tenté de faire ce que l’on appelle en hébreu une combina, un petit arrangement. Après quelques minutes de jeu, avec un plateau toujours bien positionné, et après quelques messes basses, Itsik et Gadi ont annoncé qu’ils se sont mis d’accord pour que chacun touche 5 000 shekels, et qu’ils finiraient la partie pour voir qui empocherait les 15 000 shekels restants.
Les commentateurs étaient consternés – en hébreu et en arabe. Et les organisateurs n’étaient pas d’humeur à accepter cet arrangement de dernière minute. Non, leur a-t-on dit. Le vainqueur remportera les 25 000 shekels. Le perdant n’aura rien, – rien du tout.
Le jeu a repris, et chacun a eu l’avantage, tour à tour, mais Gadi a ensuite pris les devants. La fin était proche. Seul un double 2, 3, 4, 5 ou 6 pouvait sauver Istik. Il s’est relevé, a retiré son chapeau, et a félicité les organisateurs pour la soirée. « Lance le dé », a hurlé la foule.
Avec un geste extravagant et théâtral, Itstik a lancé le dé. Assez incroyable, il a fait un double. Mais il a fait le seul double qui ne lui permettait pas de gagner. Un double 1. Si près du but. La victoire était pour Gadi. Il a sauté de sa chaise, levé les mains au ciel, échangé une poignée de mains avec Itsik, et s’est essayé à une petite danse de la victoire.
Puis, il est allé chercher son trophée et son chèque, remis par Mochy et Falafel, tandis qu’un orchestre judéo-arabe de 20 musiciens attendait derrière eux pour conclure la soirée.
Et pour ce tournoi, avec ces participants, et cette foule, cet endroit chargé d’histoire, il y avait surement une petite métaphore dans ce dernier lancer de dés. Un n’était pas suffisant pour la victoire. Il en fallait deux.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel