Le 8 mai férié en Allemagne ? La question divise toujours, 80 ans après
La droite et l'extrême droite cherchent à mettre fin à la "culture de la repentance"

Symbole de « libération » et de « souffrances » à la fois : faire du 8 mai, qui marque la capitulation nazie en 1945, un jour férié ne fait toujours pas consensus en Allemagne, où l’extrême-droite se fait entendre dans le débat mémoriel.
Loin des célébrations de la fin de la Seconde Guerre mondiale dans d’autres pays d’Europe, la sobriété sera de mise pour les commémorations allemandes jeudi : un discours du président Frank-Walter Steinmeier sous le dôme du Reichstag, des témoignages d’époque lus par les jeunes …
Et alors que le 8 mai est férié en France, République tchèque et Slovaquie, ainsi que le 9 dans une majorité de pays de l’ex-URSS, les Allemands travailleront.
Sauf à Berlin, qui a instauré un jour férié exceptionnel pour cette année anniversaire. La ville-État, où la capitulation a été signée dans la nuit du 8 au 9 mai 1945, avait déjà pris cette décision en 2020, pour les 75 ans de la fin du conflit.
Il s’agit, selon ses responsables, de « sensibiliser au fait que vivre en paix n’est jamais acquis ».
Il y a 40 ans
En 2020, une pétition lancée par Esther Bejarano, une rescapée juive d’Auschwitz, avait réclamé l’instauration d’un jour férié national à l’échelle de tout le pays.
Mais elle est décédée l’année suivante, et sa pétition, signée par seulement 12 000 personnes depuis, n’a jamais abouti.

Interrogé par l’AFP, l’historien Wolfgang Benz accueille l’idée avec « scepticisme », soulignant que la question du sens à donner au 8 mai en Allemagne a déjà « été discutée de manière approfondie il y a 40 ans, en 1985 ».
Cette année-là, le président de la RFA d’alors, Richard von Weizsäcker, avait prononcé un discours considéré comme un tournant dans la culture mémorielle allemande.
Il avait désigné le 8 mai 1945 comme jour de « libération du système qui méprise la dignité humaine érigé par la tyrannie national-socialiste » du régime d’Adolf Hitler.
Cette mise au point tranchait avec une partie de la droite allemande qui voyait encore ce jour comme la défaite de l’Allemagne.
Mais les partisans de l’instauration d’un jour férié n’avaient pas poussé plus loin leur avantage, laissant ce débat en suspens.
« Complexité historique »
La faute à une « date ambivalente » et « difficile » qui « soulève la question de l’identité allemande », souligne l’Agence fédérale pour l’éducation civique (Bundeszentrale für politische Bildung)
Car le 8 mai 1945 marque aussi l’expulsion de millions d’Allemands, chassés de territoires restitués à la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’URSS ou la Roumanie.
Déjà en 1985, Weizsäcker avait souligné « les terribles souffrances qui, le 8 mai, ne faisaient que commencer » pour « de nombreuses victimes ».
Un argument que brandissent à chaque occasion les responsables du parti d’extrême-droite l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), arrivé deuxième des législatives de février.

« Un jour férié ne peut rendre justice à cette complexité historique », a ainsi souligné en mars Sascha Schlösser, élu AfD de la région de Thuringe.
Il réagissait au rejet par le parlement régional d’une proposition de la gauche radicale visant à ériger un jour férié le 8 mai.
Rejet qualifié par l’extrême droite de « succès important pour une culture mémorielle équilibrée ».
Les responsables de l’AfD multiplient les sorties réclamant la fin d’une « culture de la repentance » en Allemagne.
Une position plébiscitée par les électeurs du parti : « On devrait maintenant laisser lentement la normalité s’installer. De ceux qui ont vécu ces horreurs, il ne reste plus personne. À un moment, ça suffit », avait estimé auprès de l’AFP Enrico Schulz, un sympathisant AfD rencontré pendant la campagne pour les législatives de février dernier.
Dans un sondage publié en avril, une majorité de personnes interrogées étaient, pour la première fois, d’accord avec l’idée de « tirer un trait » sur le passé nazi de l’Allemagne.
Face à ces évolutions, l’instauration du jour férié n’aurait plus « beaucoup de sens », estime l’historien Wolfgang Benz.
Mais « les jeunes génération doivent savoir ce qu’il s’est passé », plaide-t-il. « Elles doivent comprendre pourquoi le peuple allemand, même dans 10, 20 ou 100 ans, sera encore jugé pour ce qui s’est passé sous le nazisme. »
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