Le contrat d’armement entre Trump et Ryad limité par la préservation de l’avantage militaire d’Israël ?
Les avions de combat F-35 convoités pourraient ne pas faire partie des 142 Mds de $ de ventes potentielles en raison de l'engagement de Washington à garantir la suprématie israélienne en matière de défense

La conclusion d’un contrat d’armement historique d’un montant de 142 milliards de dollars entre les États-Unis et l’Arabie saoudite pourrait modifier l’équilibre du Moyen-Orient en matière de défense, renforçant considérablement la puissance militaire de Ryad. Mais malgré la grande importance de son profil et de son montant, cet arrangement pourrait se voir limité par la doctrine de défense américaine historique consistant à protéger la supériorité régionale d’Israël en matière de défense, ont expliqué des experts.
Bien que les détails de l’accord restent peu nombreux, les spéculations sur ce qu’il pourrait contenir sont agrémentées par les demandes saoudiennes d’acquérir des avions de combat F-35 de pointe. Mais une telle transaction, ont souligné les analystes, irait à l’encontre de l’engagement des États-Unis envers l’avantage militaire qualitatif d’Israël, ou QME, qui a longtemps limité le transfert de certaines armes avancées dans la région.
La Maison Blanche a dévoilé cet accord, décrit comme « le plus grand accord de vente de l’histoire en matière de défense », le 13 mai. Selon une fiche d’information de la Maison Blanche, les États-Unis fourniront à l’Arabie saoudite « des équipements et des services de combat innovants » produits par plus d’une dizaine d’entrepreneurs américains du secteur.
L’administration Trump n’a pas pas transmis d’informations détaillées sur les implications de cet arrangement. Elle a simplement évoqué les 5 domaines principaux couverts par ce dernier : faire progresser les capacités de l’armée de l’air et des forces spatiales ; renforcer les systèmes de défense aérienne et antimissile ; renforcer la sécurité maritime et côtière ; moderniser la protection des frontières et les forces terrestres ; et mettre à niveau les technologies de l’information et des communications.
Deux sources proches des parties qui se sont exprimées à ce sujet sous couvert d’anonymat auprès de Reuters au cours du mois de mai ont déclaré que les États-Unis et l’Arabie saoudite avaient discuté de l’achat potentiel par Ryad du chasseur furtif F-35 de Lockheed Martin. On ignore toutefois si ces pourparlers sont sérieux, ou s’ils progressent actuellement vers un stade plus avancé.
Le F-35 est depuis longtemps dans le viseur des Saoudiens, qui espèrent devenir le deuxième pays du Moyen-Orient, après Israël, à acquérir l’avion le plus avancé au monde.
L’Arabie saoudite avait manifesté son intérêt pour l’achat d’avions de combat F-35 en 2017, à la suite d’un accord d’armement d’un montant de 110 milliards de dollars avec les États-Unis conclu plus tôt la même année.
Cet accord d’armement avait été l’occasion d’engagements plutôt que de véritables accords en matière de défense. La réalité d’un achat par les Saoudiens de plus d’une fraction des 110 milliards de dollars promis n’a pas été clairement établie. Mais si Ryad a réussi à mettre la main sur un grand nombre de munitions, les Saoudiens ne sont toutefois pas parvenus à acheter d’avions de combat F-35.

Jet-setters
Malgré l’intérêt renouvelé des puissances de la région, les États-Unis ont toujours bloqué les ventes d’avions de combat F-35 à l’Arabie saoudite et à d’autres pays du Moyen-Orient. L’objectif reste de préserver l’avantage militaire qualitatif (QME) d’Israël.
« Les États-Unis se sont engagés à préserver le QME d’Israël, et ils en ont tenu compte dans leurs ventes d’armes aux pays de la région », a rapporté au Times of Israel Zain Hussain, chercheur du programme sur les transferts d’armement à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. « Exporter des F-35 vers d’autres États de la région constituerait un changement de cap important dans cette politique. »
Israël est aujourd’hui l’unique pays du Moyen-Orient à disposer d’avions de combat F-35. Le pays exploite actuellement 45 de ces avions avancés, et des commandes supplémentaires sont en cours de réalisation.
« L’exportation du F-35 dans un autre État de la région signifierait la possibilité pour cet État d’acquérir des engins furtifs, capables de fusionner des données et de frapper en profondeur – des engins considérés comme largement supérieurs aux autres avions actuellement exploités dans la région », a ajouté Hussain.

Il a également souligné qu’Israël détenait toujours un avantage opérationnel significatif : « Israël reste le pays le plus expérimenté de la région en matière d’exploitation du F-35. Le pays a de plus été autorisé à modifier l’avion pour répondre à ses besoins spécifiques. »
Israël a en effet personnalisé sa flotte de F-35, rebaptisant l’avion de combat furtif « Adir », qui signifie « puissant » en hébreu. « Une coopération étroite avec Lockheed Martin a permis aux entreprises israéliennes du secteur de la défense d’intégrer des technologies propriétaires dans l’avion, notamment des systèmes de guerre électronique avancés, des capacités de commandement et de contrôle améliorées et des systèmes d’armes développés sur place.
L’engagement de Washington à préserver l’avantage militaire qualitatif d’Israël remonte à la présidence de Lyndon B. Johnson. En 2008, il a a été officiellement codifié pour devenir une loi imposant la prise en compte de la position de Jérusalem comme préalable à toute vente d’armes aux pays de la région.
Cette doctrine tire son origine de la position d’Israël en tant qu’allié démocratique entouré de voisins souvent hostiles. Compte tenu de ses désavantages géographiques et démographiques, Israël ne peut pas compter sur un avantage quantitatif en cas de guerre ; le pays a davantage besoin d’une supériorité technologique et tactique.
Au fil des décennies, les ventes d’armes des États-Unis aux États arabes ont mis le QME d’Israël à l’épreuve à plusieurs reprises. Elles n’ont parfois été permises que par l’octroi de garanties par les Américains, ou grâce à des ventes d’armes complémentaires à Israël.
En 1981, Jérusalem s’était fermement opposée à la décision de Washington de vendre des avions de surveillance AWACS et des packages de mises à niveau avancés pour F-15 à l’Arabie saoudite, craignant une diminution de la supériorité technologique d’Israël. Malgré une opposition farouche, le Congrès avait approuvé l’accord de justesse ; le président de l’époque, Ronald Reagan, avait offert à Israël une série de garanties, incluant une aide militaire supplémentaire d’un montant de 600 millions de dollars ainsi que 15 nouveaux F-15.

Plus récemment, l’administration Trump avait en 2020 accepté de céder 50 F-35 aux Émirats arabes unis à la suite des accords d’Abraham visant à normaliser les relations avec Israël. Les responsables avaient toutefois nié tout lien entre les deux événements.
Ces ventes potentielles de F-35 avaient provoqué une levée de boucliers en Israël. Jérusalem avait finalement déclaré qu’elle ne s’opposerait pas à cette transaction après que les États-Unis ont accepté de signer un accord formel réaffirmant leur engagement inscrit dans la loi à préserver l’avantage militaire d’Israël dans la région.
Ce sont finalement les Émirats arabes unis, et non la préservation du QME, qui avaient fait échouer la vente. En 2021, les Émirats avaient suspendu les pourparlers avec l’administration Biden sur la vente d’avions, évoquant de nombreux points de désaccord incluant notamment leur tarif. En 2024, les autorités d’Abou Dhabi avaient fait savoir quelles ne comptaient pas donner suite à la vente.
Trump et les Saoudiens
Avant la venue de Trump en Arabie saoudite, certains pensaient que les ventes d’armes s’inscriraient également dans le cadre d’un arrangement visant à normaliser les relations entre Ryad et Israël. Une telle éventualité aurait probablement pu aider à surmonter les obstacles liés au QME.
Mais Israël a été mis de côté, alors que Trump et les Saoudiens s’échangeaient nombre d’éloges et de félicitations.
Durant sa visite, Trump a pris la parole devant le Forum d’investissement saoudo-américain, saluant le « partenariat étroit » liant Washington et Ryad. Il a également adressé ses félicitations au prince héritier Mohammed ben Salman pour la transformation radicale du royaume depuis sa dernière visite en tant que président.

« Il y a exactement 8 ans ce mois-ci, je me tenais dans cette même salle. J’avais l’espoir d’un avenir dans lequel les nations de cette région réussiraient à chasser les forces du terrorisme et de l’extrémisme… et dans lequel vous vous tiendriez dans les rangs des nations les plus fières, les plus prospères et les plus performantes du monde, en tant que leaders d’un Moyen-Orient moderne et florissant », a déclaré Trump.
« Les critiques doutaient que cela puisse se produire », a-t-il ajouté. « Cependant, au cours des 8 dernières années, l’Arabie saoudite a prouvé que ces critiques avaient entièrement tort », citant l’émergence du royaume en tant que leader économique mondial.
Parallèlement à ses ambitions de devenir un pôle économique, l’Arabie saoudite a considérablement augmenté ses dépenses militaires. Elle indique ainsi son intention de jouer un rôle plus affirmé sur la scène régionale et mondiale.
Selon une déclaration d’Ahmad Al-Ohali, gouverneur de l’Autorité générale saoudienne en charge des industries militaires datant du mois de février, le royaume a augmenté son budget de défense, passant de 75,8 milliards de dollars en 2024 à 78 milliards de dollars en 2025. Al-Ohali a également fait état d’une croissance annuelle constante des dépenses de défense de 4,5 % depuis 1960, plaçant l’Arabie saoudite au cinquième rang mondial en matière de dépenses militaires et au premier rang dans le monde arabe.

Pas de marraine ou bonne fée
Après son passage à Ryad, Trump s’est rendu au Qatar et aux Émirats arabes Unis, sans faire escale notamment en Israël.
« Cette semaine, le Moyen-Orient a servi de cadre à une grande fête, un grand bal avec des costumes colorés, de l’argent et de l’or passant de mains en mains. Quant à nous, nous avons joué le rôle de Cendrillon avant la transformation », a écrit Sima Kadmon, chroniqueur au quotidien israélien Yedioth Ahronoth.
« La bonne fée était censée être notre marraine. Elle s’est enfuie pour l’Arabie saoudite et le Qatar. »
L’administration Trump a récemment pris plusieurs mesures de nature à se demander si Washington reste encore déterminé à prendre en compte la position d’Israël dans les cas où la loi ne l’exige pas.
Il s’agit notamment des pourparlers sur le nucléaire avec l’Iran, d’un cessez-le-feu avec les terroristes houthis au Yémen autorisant ces derniers à tirer des missiles balistiques sur l’État juif, ainsi que d’un accord avec les terroristes du Hamas visant à libérer l’otage israélo-américain Edan Alexander en court-circuitant Jérusalem.
L’accord d’armement record avec les Saoudiens intervient dans un contexte de frustration croissante de Trump en raison de la guerre prolongée menée par Israël à Gaza. Trump considèrerait le conflit comme venant compliquer ses efforts pour négocier un accord régional historique.
Trump n’avait pas caché ses ambitions de parvenir à une normalisation des relations saoudo-israéliennes, qu’il voit comme une pierre angulaire de son deuxième mandat. Ryad a toutefois clairement indiqué qu’un tel accord dépendait de la mise en place d’un cessez-le-feu à Gaza, ainsi que de réels progrès vers la création d’un État palestinien.

Malgré l’absence de l’Arabie saoudite parmi les signataires originaux des accords d’Abraham de 2020, le pays a néanmoins approuvé l’initiative, en marge. Le royaume a cependant insisté sur le fait que sa participation dépendait de la progression vers une solution à deux États, un objectif qui semble s’éloigner de plus en plus dans le contexte de la guerre en cours.
La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a réaffirmé la volonté de Trump de « voir la fin de ce conflit dans la région », mais l’administration a fermement démenti les informations selon lesquelles elle menaçait « d’abandonner » Israël en raison de sa campagne à Gaza.
Le Dr H. A. Hellyer, chercheur associé principal au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies de Londres, a déclaré au Times of Israel que la visite de Trump « concernait principalement le [Conseil de coopération du Golfe] et non la situation des conflits à Gaza, ainsi que l’application du transactionnalisme ‘America First’ à la politique étrangère au [Moyen-Orient et en Afrique du Nord] plus généralement. »
Malgré « la frustration de Washington en raison de la conduite de Tel Aviv à Gaza, Washington accorde toujours un important soutien à Tel Aviv », a-t-il ajouté.
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