Le grand air ou la proximité d’un abri anti-aérien ? Le dilemme de Souccot en Israël
En ce temps de fête propice aux randonnées en Israël, des millions de personnes hésitent à aller au grand air à cause des roquettes ennemies
A quelques jours de Rosh HaShana, c’était évident : pour ces fêtes, il nous faut prendre l’air. Nous avons besoin de faire une pause avec la guerre, le travail, la ville – une pause pleine de cholophylle, au contact direct de la terre, des arbres, de l’eau et du ciel.
Lorsque j’ai parlé de mes projets à mes proches – une randonnée d’une journée dans les montagnes du Carmel – l’accueil a été plutôt réservé, pour ne pas dire sceptique. Principal sujet : les sentiers de randonnée du Carmel, comme d’autres régions d’Israël, sont des « espaces ouverts » selon la classification le Commandement du Front intérieur. Et dans ces espaces ouverts, au-delà de l’absence d’abris, il n’y a pas d’alerte possible, et surtout, pas d’interceptions de missiles.
« C’est une question de chance », a déclaré un des membres de ma famille, avec raison dans l’ensemble.
J’ai fait valoir que c’était un risque gérable et que… Eh bien, « tout irait bien ». Finalement, tout s’est bien passé, mais il y a eu quelques moments effrayants : alors que nous faisions de l’escalade dans le lit du ruisseau Nahal Nesher, nous avons entendu de fortes explosions.
En outre, non seulement il n’y avait ni sirène à proximité ni réseau, et même l’application du Commandement du Front Intérieur était muette. Plus tard, nous avons découvert que des missiles du Hezbollah tirés depuis le Liban avaient été interceptés à quelques kilomètres au nord.
De nombreux Israéliens sont confrontés au même dilemme au moment de Souccot, la fête la plus propice aux promenades puisque même les personnes qui observent le Shabbat peuvent partir à la découverte du pays.

L’été s’en va peu à peu, la brise souffle et, après un an d’angoisse, se plonger dans la nature nous apparait nécessaire à la fois pour la santé mentale et physique.
Dans une enquête menée par l’Autorité de la nature et des parcs, 90 % des Israéliens ont déclaré que le fait d’aller dans la nature améliorait leur bien-être mental et physique. Mais par ailleurs, tous les Israéliens connaissent les annonces de Tsahal selon lesquelles « des roquettes sont tombées dans des espaces ouverts, aucun avertissement n’a été émis conformément à la politique en vigueur ».
« Le commandement du Front intérieur nous dit que lorsque nous sommes dans la nature, c’est à nos risques et périls », explique le père de deux jeunes filles, qui préfère parler sous couvert d’anonymat. Il se demande s’il doit emmener ses filles faire une randonnée à Souccot.
« On ne nous interdit pas de faire de la randonnée, mais je pense que nous ne sommes alors pas vraiment protégés. Je comprends les considérations économiques liées à l’économie de munitions, mais la question est de savoir si, à un moment donné, en particulier les week-ends et jours fériés, on ne passe pas purement et simplement d’un risque calculé à un abandon de la population. »
L’Autorité de la nature et des parcs, organisme public en charge des réserves naturelles et des parcs naturels, rejette toute critique envers la politique d’interception du Commandement du front intérieur et rappelle que tous appliquent les directives.

Pour le Commandement du front intérieur, Israël est divisé en plusieurs zones correspondant à différents niveaux d’alerte – le rouge indiquant une activité restreinte, l’orange une activité limitée, le jaune une activité partielle et le vert une activité totale. L’Autorité de la nature et des parcs ouvre et ferme les réserves et les parcs en conséquence.
Depuis le 10 octobre, les hauteurs du Golan et la plupart de la Galilée sont en orange, tandis que les vallées, la baie de Haïfa et la Basse Galilée sont en jaune. Le reste du pays, y compris les montagnes du Carmel, est complètement vert. La liste des sites fermés comprend tous les cours d’eau et montagnes du nord, généralement très prisés des voyageurs et des amoureux de la nature : Banias, Meron, Gamla, Hula, Kziv et autres.
Dans la région du Carmel, curieusement, le parc du Carmel est fermé, mais la réserve naturelle du Carmel est elle ouverte. Dans la région de Kinneret, Majrase est fermée, mais Capharnaüm ouverte. Dans tous les cas, la liste est régulièrement mise à jour, et il est recommandé de consulter le site Internet du commandement du Front intérieur avant de partir.
Le nombre de visiteurs des sites gérés par l’Autorité de la nature et des parcs ce dernier mois montre que la carte des randonnées est en train de changer en raison de la guerre : le samedi 7 septembre, avant l’escalade au Liban, les sites du nord ont enregistré 8 411 visiteurs, et ceux du centre du pays, 6 689.
Le dernier samedi de septembre, en pleine guerre avec le Hezbollah, les sites du nord n’ont enregistré que 1 848 visiteurs (20 % des chiffres de début septembre), et les sites centraux, 5 255. Cette tendance s’est poursuivie durant Roch HaShana.

Un rapport de l’Autorité de la nature et des parcs publié cette semaine montre qu’au cours de la dernière année de guerre, le nombre de visiteurs des réserves naturelles et des parcs nationaux a chuté de 38 %, passant de 9,5 millions à 5,9 millions de visiteurs. Il s’agit d’un déclin significatif, mais il met également en évidence la détermination de nombreux Israéliens à continuer de se rendre dans la nature.
Huit sites de l’Autorité de la nature et des parcs situés le long de la frontière nord sont fermés depuis le 7 octobre 2023, dont Banias, qui attire à elle seule un demi-million de visiteurs par an. Des sites plus proches du centre, tels que Palmahim Beach (1,23 million de visiteurs) et Yarkon Springs, ont pris leur place.
La Société pour la protection de la nature en Israël réserve une surprise sur son site Internet : parmi les nombreuses visites guidées disponibles pour Souccot, certaines se trouvent dans le nord, notamment sur le plateau du Golan. Comme si cela ne suffisait pas, l’une des visites, une randonnée pour voir les fleurs de Sternbergia à Tel Hazeka, est déjà complète.
Des billets sont encore disponibles pour une visite nocturne à Hurvat Hushniya, sur le plateau du Golan, et pour une randonnée dans la rivière Sfunim et la grotte du Carmel. Comment cela s’aligne-t-il sur la carte de lancement de roquettes du Hezbollah ?
« Nous annonçons les randonnées bien à l’avance et les annulons un jour ou deux avant, en fonction de la situation », explique Dan Alon, directeur général de la Société pour la protection de la nature. « De toute évidence, il n’y aura pas de randonnées dans le Golan en ce moment. Nous reconsidérons également les randonnées dans le Carmel deux ou trois fois avant de prendre une décision finale. »

« Certaines randonnées sont complètes parce que les gens se sont inscrits il y a de cela un mois, mais la situation a changé et ils n’ont pas annulé. Récemment, la plupart des randonnées dans le nord ont été annulées, même dans le Carmel et dans les zones que le commandement du Front intérieur laisse techniquement ouvertes à la randonnée. C’est une question d’appréciation de la situation au jour le jour. Si nous pensons qu’il y a même un petit risque, nous ne sortons pas. »
La Société pour la protection de la nature propose de nombreux services de randonnée au système éducatif, sans pouvoir discrétionnaire : « Le ministère de l’Éducation a décidé qu’aucun voyage ne devrait avoir lieu au nord de la ligne rivière Taninim-Maagan Michael », explique Alon. Le commandement du Front intérieur a été plus indulgent à l’égard du Carmel, mais quand il s’agit de nos activités, comme les randonnées de vacances, c’est à nous que revient la décision. »
Alon concède qu’il n’est pas idéal que les parcs et réserves ne soient pas sous la protection des systèmes de défense antimissile d’Israël, il comprend pourquoi le gouvernement privilégie les zones plus densément peuplées, d’un point de vue économique et par rapport à la capacité limitée du Dôme de fer lors de salves.
« Lorsque vous êtes dans un espace ouvert, comme lorsque vous êtes dans la rue, même s’il y a une interception, le risque de blessure existe », rappelle Alon. « Jusqu’à présent, la plupart des blessures n’ont pas été causées par les roquettes elles-mêmes, mais par des éclats liés aux interceptions. Et, soit dit en passant, une grande partie de ces éclats tombent en zone ouverte et provoquent des incendies. »
Une source proche de la Défense explique au Times of Israel sous couvert d’anonymat que le niveau de risque n’est pas seulement lié au fait qu’une zone soit ou non sous la protection des défenses aériennes.
« Même lorsque vous conduisez dans les rues d’Akko ou de Nahariya », dit la source, « il est fort probable que vous n’ayez pas le temps d’entrer dans un bâtiment voisin lorsqu’une sirène retentira, et comme en zone ouverte, il est recommandé de s’allonger dans l’endroit le plus protégé possible et de se couvrir la tête. »

Selon la même source, de telles mesures de protection sont absolument nécessaires – même dans les zones bâties placées sous la protection des systèmes de défense aérienne, qui ne sont pas précis à 100 %. En outre, précise-t-il, nombre de blessures sont causées par la chute d’éclats d’obus – des fragments de l’interception du missile qui peuvent être assez gros et causer des lésions corporelles graves sinon mortelles.
Il ajoute que les défenses aériennes d’Israël ne sont pas entièrement automatisées, comme certains pourraient le penser.
« Le commandement du Front intérieur et l’armée de l’air opèrent dans la même salle d’opérations – une leçon tirée de la deuxième guerre du Liban », souligne-t-il.
« Il y a une part de décision humaine dans l’interception et le lieu exact. Cela peut varier entre le jour et la nuit et si l’on sait qu’une importante population se trouve quelque part, entre autres facteurs. En fin de compte, c’est une question de gestion des risques, et je ne pense pas qu’il serait juste de dire à tout le monde de ne pas faire de randonnée les week-ends et les jours fériés simplement parce qu’une roquette pourrait les frapper. »
Le commandement du Front intérieur est confronté à un défi supplémentaire pour communiquer des alertes à de nombreux membres de la communauté haredi, ou ultra-orthodoxe, qui utilisent des téléphones « casher » qui n’ont pas accès à Internet et ne peuvent donc pas télécharger l’application RedAlert, qui émet des alertes de missiles entrants en temps réel.
Cet été, lorsque les yeshivot prenaient leurs vacances d’été collectives et que des dizaines de milliers de jeunes ultra-orthodoxes se sont rendus dans la nature, le commandement du Front intérieur a publié des directives les invitant à ne pas s’aventurer trop loin sans smartphone – et c’était avant l’escalade au Liban.

Il est important de se rappeler que, dans de nombreux sentiers de randonnée, en particulier dans les lits des cours d’eau, il n’y a de toute façon aucun signal, donc peu importe à quel point le téléphone est perfectionné, il n’est de toute façon pas en mesure d’avertir les randonneurs de l’arrivée de roquettes.
Selon toutes les indications, c’est la gestion des risques par la population qui va guider le flux de randonneurs vers le sud. Pour Pessah, la Société pour la protection de la nature a signalé que les écoles du sud – Ein Gedi, Hatzeva, Eilat et les hauts plateaux du Néguev – étaient pleines à craquer, et celles du nord, désertes.
De toute évidence, une frappe de drone précise dans le sud pourrait soudainement changer la donne.
Lorsqu’on lui demande ce qu’il attend de Souccot, Alon sourit : « J’aimerais pouvoir vous donner une prévision. Nous avions des projets, et nous avons toujours, ceux de faire beaucoup, mais nous vérifions les choses au jour le jour. »
Le porte-parole de Tsahal explique que si l’armée fait de son mieux pour fournir des défenses aériennes optimales, « il est important de noter qu’elles ne sont pas étanches et que le respect des directives du commandement du Front intérieur est crucial pour assurer la meilleure protection possible ».
Le porte-parole renvoie les randonneurs aux directives de randonnée et de sécurité fournies par le commandement du Front intérieur via sa ligne d’assistance téléphonique (composez le 104 localement) ainsi que le site Internet de l’Autorité de la nature et des parcs ou son service téléphonique joignable au 3639.

Tsahal et les autorités font de leur mieux pour gérer la situation, mais il est clair que les amoureux de la nature ont une décision difficile à prendre pour Souccot cette année. L’envie d’échapper au stress de la vie quotidienne et de se connecter avec les paysages d’Israël est fort, mais la menace imminente des roquettes et la réalité d’une protection incomplète font de chaque excursion en pleine nature un risque calculé.
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