Le nouveau Premier ministre pakistanais changera-t-il la donne avec Israël ?
Imran Khan, un ancien joueur de cricket âgé de 65 ans, veut réformer son pays. Mais jusqu’où ira-t-il dans ses relations avec l’Etat juif ?
JTA – L’élection de l’ancienne star du cricket Imran Khan comme nouveau Premier ministre du Pakistan n’a pas manqué d’interpeller l’ensemble de la communauté internationale. Il a promis un « nouveau Pakistan » dans une campagne axée sur le nationalisme et la lutte contre la corruption.
Khan, âgé de 65 ans, « est connu pour gérer une équipe dont il est l’unique joueur, pour prendre des décisions impulsives, pour se contredire lui-même avant de finir par puiser dans son énorme réserve de confiance et son charisme pour pouvoir s’en sortir », a écrit Jeffrey Gettleman dans The New York Times.
Des voix critiques ont mis en doute la légitimité de sa victoire, étant donné « que l’élection a été largement considérée comme ayant été entachée » de fraudes et d’ingérences de l’armée.
Certains observateurs pensent qu’il pourrait bien améliorer les relations du Pakistan avec les Etats-Unis et l’Inde – même si l’axe Etats-Unis-Inde-Israël est véritablement détesté dans son pays – alors que d’autres considèrent, au contraire, qu’il pourrait bien isoler plus encore le pays de l’Occident.
Pendant longtemps, Khan a lui-même été confronté à des théories conspirationnistes antisémites – sa première femme ayant des origines juives. Pourtant, depuis qu’il est devenu, au cours des dernières années, un fervent musulman, il a voulu faire du Pakistan un État-providence, dans la tradition musulmane.
Le Pakistan, le sixième pays le plus peuplé au monde, dispose d’armes nucléaires et se situe stratégiquement à proximité de l’Inde, de la Chine, de l’Iran et de l’Afghanistan. Que peut-on donc bien attendre du nouveau dirigeant du pays ?
Il a été la première vedette sportive.
Khan est une ancienne vedette du cricket qui a commencé à jouer pour l’équipe nationale pakistanaise en 1971 à l’âge de 18 ans. Après avoir obtenu un diplôme à l’Université d’Oxford en Angleterre, il a intégré l’équipe nationale pour y évoluer de 1976 jusqu’à 1992. Il occupait d’ailleurs le poste de capitaine du Pakistan lors de la victoire à la Coupe du Monde de Cricket en 1992.
Dans les années 80 et 90, il a passé une bonne partie de son temps à Londres où il faisait figure de playboy – passé avec lequel il essaie d’ailleurs maintenant de prendre ses distances. Khan était un habitué des boîtes de nuit londoniennes, décrivant par exemple le club Tramp comme son « salon ».
Il a été la cible d’attaques antisémites.
En 1995, Khan s’est marié avec Jemima Goldsmith, une jeune britannique mondaine 22 ans plus jeune que lui. Goldsmith n’est pas juive, mais elle a des racines juives et a été « familiarisée avec les traditions juives ».
Des critiques pakistanais de Khan ont cependant exploité le fait qu’elle avait des origines juives afin de nuire à sa crédibilité politique à l’intérieur du pays. En 2013, des rivaux politiques ont écrit à propos de ses « liens juifs » et ont diffusé des « sous-entendus » concernant ses « financements juifs ». Khan a même poursuivi en justice pour calomnie un politicien qui l’avait accusé de travailler en tant « qu’agent du lobby juif ». En 2017, Khwaja Muhammad Asif, le ministre des Transports ferroviaires, a écrit que « les relations de Khan avec [le] lobby juif ne sont un secret pour personne ».
« Imran Khan a toujours répondu aux attaques sur ses supposés liens juifs en disant que son ancienne femme, Jemima, avait été élevée comme une chrétienne anglicane », a déclaré au JTA Hussain Haqqani, ambassadeur pakistanais auprès des Etats-Unis de 2008 à 2011 et actuel directeur du programme d’Asie du Sud et Centrale à l’Institute Hudson. « J’aurais aimé qu’il se dresse contre l’antisémitisme, mais il ne l’a jamais fait ».
Même si Goldsmith s’est convertie à l’islam avant le mariage du couple (elle a aussi appris l’ourdou et a déménagé au Pakistan avant que le couple ne divorce), « le mariage passé [de Khan] avec une femme d’origine juive est considéré par beaucoup de Pakistanais comme une tache indélébile sur son programme politique très imprégné d’islam », a écrit Paul Gasnier dans Haaretz.
Maintenant, il a pris ses distances avec son passé occidental.
La récente victoire électorale de Khan prouve que les Pakistanais ont soit ignoré ou accepté son passé occidental – y compris son mariage – soit l’ancienne star du cricket a pu s’en détacher efficacement (ou encore que l’armée finit toujours par désigner le vainqueur).
Malgré son passé en Angleterre, Khan a répondu à l’appel des islamistes radicaux pour se « distancer de son ancien passé de vedette sportive et d’homme à femmes ». Khan a cherché à plaire aussi bien aux islamistes qu’aux laïcs. Il a promis de créer à la fois le « type d’état établi à Médine », en référence à la ville-état musulmane créée à l’époque du prophète Mahomet, et « le pays dont le fondateur du Pakistan Mohammad Ali Jinnah avait rêvé », qui aurait été une démocratie laïque.
Il critique Israël, mais moins durement que beaucoup d’autres dirigeants du monde musulman.
A l’internationale, Khan s’adresse tout autant au monde musulman qu’à l’Occident. Sur Twitter, il a critiqué à de nombreuses reprises la politique israélienne à Gaza. Il s’est exprimé de manière plus mesurée que d’autres dirigeants du monde musulman. Il a notamment évoqué « l’oppression constante d’Israël envers les Palestiniens » et a condamné la décision du président américain Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem.
Pourtant dans un tweet daté de 2012, Khan, dans une apparente critique de l’antisémitisme présent dans certaines parties de la société pakistanaise et peut-être aussi comme un message vers l’Occident, a montré une sorte d’empathie pour la souffrance juive.
« Tout comme il est douloureux pour les Juifs de remettre en question l’Holocauste, et nous les respectons, a-t-il écrit, insulter le Prophète (PBUH) est encore plus douloureux pour les Musulmans ».
Les experts ne pensent pas qu’il changera la position officielle du Pakistan envers Israël.
Avec l’aura de sa victoire, Khan a fait des ouvertures vers les Etats-Unis et l’Inde – deux pays qui, avec Israël, constituent l’axe que le président du sénat pakistanais a qualifié de « menace majeure » pour le monde musulman.
Le Pakistan entretient des relations à demi cachées avec Israël même s’il boycotte officiellement l’Etat juif et nourrit l’idée qu’il y aurait un soi-disant complot entre Sionistes et Hindus.
En 2005, Silvan Shalom, ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, a rencontré son homologue pakistanais, Khurshid Kasuri, à Istanbul en Turquie. Pervez Musharraf, un ancien dirigeant du pays, a participé à un dîner américano-juif du Congres en tant qu’invité d’honneur. En 2009, le chef des services de renseignement pakistanais a contacté des officiels israéliens pour les prévenir d’attaques potentielles sur des cibles israéliennes en Inde. En 2011, selon certaines rumeurs, Israël aurait exporté des technologies militaires au Pakistan.
En 2018, le journaliste pakistanais Kamran Yousaf a écrit dans The Expresse Tribune, un journal associé au New York Times, que la « diplomatie est l’art de se faire de nouveaux amis et d’éviter les confrontations contre des états avec lesquels vous n’entretenez pas les meilleures relations ». Historiquement, la politique du Pakistan envers Israël a été de suivre le boycott de l’Etat juif par le monde musulman– une réalité diplomatique qui semble s’estomper progressivement.
« Maintenant, les partisans de cette politique appellent de leurs vœux le changement, a écrit Yousaf. L’Arabie Saoudite est le premier exemple ».
Selon l’ambassadeur Haqqani, Khan ne va profiter de ses anciennes relations, ni suivre l’Arabie saoudite pour assouplir les relations tendues du pays avec Israël.
« Sa position politique a été anti-Israël, a dit Haqqani au JTA. Il prend également en compte le fait que des groupes islamiques ont obtenu 5 millions de voix aux élections où il a obtenu 16 millions de voix. Etant donné sa propre rhétorique islamiste et nationaliste, je ne vois pas comment Imran Khan pourrait être l’homme qui tendrait la main à Israël au nom du Pakistan. Mais des miracles peuvent toujours se produire ».
Christine Fair, professeur émérite du Programme d’Etudes de Sécurité à l’Université de Georgetown, a déclaré au JTA que toute ouverture vers Israël viendra d’une décision de l’armée, pas de Khan, comme pour souligner la très grande puissance de l’armée pakistanaise.
« A ma connaissance, a-t-elle déclaré, il n’y a pas d’intérêt dans ce sens au sein de l’armée ».
Michael Kugelman, assistant directeur du Programme Asie au Centre Wilson, a fait écho d’un pessimisme similaire.
« Khan se considère peut-être comme un outsider et un réformateur audacieux souhaitant aller là où d’autres ne sont pas allés avant lui – comme en atteste sa promesse d’éliminer la corruption – mais je ne pense pas qu’il ira jusqu’à tendre la main à Israël, a-t-il dit au JTA. Il ne va pas exclure des échanges ou des relations avec Israël, mais l’idée de le voir militer en faveur de relations officielles, c’est une toute autre chose, et je ne vois pas comment ça pourrait avoir lieu ».
Pourtant, selon Kugelman, malgré les différences politiques et religieuses évidentes entre les deux pays, ils partagent quelque chose en commun de fondamental en ce qu’ils sont des états religieux.
« L’armée et l’élite civile du Pakistan – y compris Khan – ont des liens avec l’Occident, et, quand vous avez des liens avec l’Occident, il y a de bonnes chances que vous ayez des contacts avec Israël ou les Juifs, voire les deux, a-t-il souligné. Il n’y a donc rien de surprenant dans toutes ces [anciennes] relations ».
« La grande question est de savoir s’il y aura un jour un dirigeant pakistanais qui essaiera de normaliser les relations avec Israël. Si cela se produit, je doute que Khan en soit à l’origine »
Israël reste ouvert à l’établissement de relations avec le Pakistan.
Les Israéliens semblent cependant ouverts à la mise en place de relations plus solides avec le Pakistan. Lors d’un discours prononcé à Karachi en Inde en 2017, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a réfuté l’idée que la relation d’Israël avec l’Inde constituerait de quelque manière que ce soit une menace pour le Pakistan.
« Nous ne sommes pas ennemis du Pakistan et le Pakistan ne devrait pas non plus être notre ennemi », a déclaré Netanyahu aux journalistes.
Daniel Shapiro, ancien ambassadeur américain en Israël, a déclaré au JTA qu’il s’attendait à ce qu’Israël cherche à mettre en place des relations ouvertes avec de nombreux pays avec lesquels il n’a pas eu de liens officiels dans le passé, y compris le Pakistan.
« Les perceptions négatives d’Israël par certains au Pakistan, et le partenariat rapproché d’Israël avec l’Inde imposeront peut-être des limites à ce qu’il est possible de faire, a-t-il prévenu. Mais cela ne veut pas dire que des relations discrètes en matière de coopération sécuritaire ou un accès à la technologie israélienne ne peuvent pas être envisagés ».
« Ces éléments peuvent fournir des avantages mutuels importants, et cela avant même qu’il soit possible d’établir des relations officielles ».
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