Le rabbinat militaire s’oppose à la signature d’un formulaire libérant les femmes « enchaînées » en cas de malheur
Si les divorces conditionnels peuvent libérer les femmes en cas de disparition du mari ou de perte de ses facultés mentales au combat, les rabbins estiment qu'imposer un tel document pourrait nuire au moral des troupes
Un rabbin militaire de haut-rang – qui a dit craindre qu’une telle obligation ne vienne heurter le moral des soldats – a exprimé mardi son opposition à une proposition visant à offrir aux troupes la possibilité de signer un document qui autoriserait leurs épouses à se remarier s’ils devaient disparaître au combat ou revenir de la guerre avec une forte incapacité mentale.
« Nous n’allons pas proactivement demander aux soldats de signer ce document », a commenté le lieutenant-colonel Avihud Schwartz, chef du département de la loi juive (la halakha) au sein du rabbinat militaire, pendant une rencontre de la commission de la Knesset chargée de la promotion des droits des femmes.
« Cette décision de ne pas proposer de manière active cette option aux troupes résulte de la crainte de son potentiel impact négatif sur leur motivation à combattre », a ajouté le lieutenant-colonel Schwartz.
Schwartz a noté que tous les soldats qui demandaient le document pouvaient l’obtenir.
Selon la loi juive, une femme mariée n’est autorisée à se remarier que si elle est veuve ou qu’elle a obtenu un acte de divorce – le guet – de la part de son époux.
Mais, si une épouse est dans l’incapacité de vérifier que son mari est bien mort – par exemple, s’il a été porté-disparu – elle est susceptible de ne pas pouvoir se remarier dans la mesure où son mari peut être encore en vie, affirme la loi juive.
Si une femme mariée porte l’enfant d’un autre homme, ce dernier est considéré comme un mamzer et la loi juive prévoit qu’il lui sera interdit d’épouser la majorité des autres Juifs.
Le Talmud de Babylone, dans le traité dit de « Ketubot », rapporte une tradition spécifiant qu’à l’époque du roi David, les soldats écrivaient des documents de divorce conditionnel à leurs épouses avant de partir en guerre, afin de permettre à celles-ci de se remarier s’ils étaient portés disparus.
Le document fourni par l’armée – à la demande des soldats – s’appuie sur cette tradition.
Il y a aussi une autre situation, plus compliquée d’un point de vue halakhique – celui où un mari devient mentalement incapable, par exemple à la suite d’un traumatisme crânien.
Schwartz a indiqué que le rabbinat de Tsahal était sur le point de trouver une solution à un tel cas de figure, selon un communiqué de presse qui a été fourni par la commission de la Knesset qui a auditionné le rabbin.
« Tout au long de la guerre, nous avons réalisé que les documents existants n’apportaient pas de réponse à une situation où un mari devient mentalement incapable », a expliqué Schwartz. « J’ai dit que nous allions travailler au rabbinat de Tsahal ; et c’est ce qui s’est passé. »
« À mon avis, nous avons réussi à surmonter les difficultés posées par la loi juive – et ce, de manière à ce que le document puisse dorénavant fournir une solution en cas d’incapacité mentale. Nous y sommes parvenus en ajoutant trois phrases. Nous en sommes au stade presque final de l’élaboration de ce formulaire », a précisé Schwartz.
Selon la Halakha, un mari souffrant d’une incapacité mentale n’est plus en mesure de mener à bien une procédure de divorce par manque d’aptitude. Par conséquent, sa femme ne peut pas se remarier.
Toutefois, le mari peut signer un document – alors qu’il est encore en bonne santé – où il donnera son accord pour ce qu’une éventuelle procédure de ce type puisse être menée à bien si son état mental devait le rendre incapable de prendre une telle décision.
Une femme incapable de vivre une relation conjugale normale et incapable de s’en sortir par le divorce ou par la preuve du décès de son mari est désignée, dans la loi juive, sous le nom d’agunah, ou femme « enchaînée ».
« La forme la plus courante d’agunah aujourd’hui n’est pas la disparition du mari au combat, mais la perte de ses capacités mentales », explique Sharon Brick-Deshen, présidente directrice générale de Kolech-Neemanei Torah vAvodah, au Times of Israel. « Les déclarations du rabbin Schwartz concernant la recherche d’une solution pour les femmes qui se trouvent mariées à des hommes ayant perdu leurs facultés mentales constituent donc une évolution majeure. Malheureusement, de nombreuses femmes ne se sentent pas à l’aise pour demander une solution lorsque leur mari n’a plus les mêmes capacités ».
Brick-Deshen, qui était présente à la réunion de la Knesset, rejette l’affirmation faite par Schwartz lorsqu’il estime que le fait d’offrir aux soldats la possibilité de subvenir aux besoins de leurs épouses en cas de blessure ou de disparition porte atteinte à la motivation des combattants.
Elle indique que les soldats doivent, après tout, signer toutes sortes de documents dans le cadre de la procédure d’incorporation, y compris des dossiers dentaires, rappelant qu’ils doivent aussi donner des échantillons d’ADN qui aideront à identifier leur corps s’ils sont tués au combat.
« Personne ne prétend que cela nuit au moral des troupes », fait remarquer Brick-Deshen. « Si on considère les choses en évoquant un acte d’amour, non une manifestation de pessimisme à l’égard de l’avenir, on transforme toute la situation. Signer ce document est une déclaration d’attention et d’amour en direction de celle que vous aimez ».
Le rabbin Seth Farber, qui est le directeur de l’ITIM, une organisation qui aide les Israéliens à naviguer dans la bureaucratie religieuse compliquée du pays, explique, de son côté, que la question de la rédaction d’une forme d’accord de divorce conditionnel – ou d’un document permettant de rédiger un tel accord si le mari disparaît ou qu’il est blessé – est débattue depuis des décennies.
« Le rabbinat est très effrayé par tout ce qui menace ce qu’il considère comme le caractère sacré de l’institution maritale », indique Farber. « Lorsque ces rabbins et autres responsables religieux comparent cette préoccupation à la question de l’agunah, ils ne voient pas vraiment la souffrance des femmes de manière équivalente. Et pour cette raison, ils n’ont pas intérêt à trouver une solution ».
Selon Farber, un autre facteur est la réticence à passer d’un judaïsme qui s’est développé en exil, dans les ghettos, à la réalité moderne de l’État d’Israël, qui dispose d’une armée.
« Les rabbins n’ont toujours pas développé une sensibilité à la nécessité d’assumer des responsabilités nationales et de prendre des décisions au niveau national pour faire quelque chose qui protège tout le monde », note Farber.