Le rapport 2015 sur l’antisémitisme dépeint un bien triste tableau
Une poussée de l’extrémisme islamique, des frontières floues entre antisémitisme et l’antisionisme, et l’extrême-droite européenne citées comme les causes principales de la montée de l’antisémitisme

Le monde est un endroit atroce et tout le monde hait les juifs.
Ce serait, au moins, une hypthèse juste à faire après avoir lu le rapport du ministère des Affaires de la diaspora d’Israël publié cette semaine sur l’antisémitisme international. Peignant un tableau plutôt noir, le recueil de 26 pages sur les incidents et les tendances s’efforce de donner un regard presqu’en « temps réel » sur ce qui est arrivé dans le monde en 2015.
Mais lugubre ou pas, « le tableau est le tableau », a déclaré son auteur, Yogev Karasenty, le directeur du ministère pour le combat contre l’antisémitisme, pendant une conversation avec le Times of Israel.
Karasenty a déclaré que les découvertes étaient basées sur des douzaines de rapports d’agences comme la ligue anti-diffamation (ADL), le forum de coordination pour la lutte contre l’antisémitisme basé à Tel Aviv, et le centre Kantor pour l’étude des communautés juives européennes contemporaines de l’université de Tel Aviv.
Le rapport pointe trois tendances primordiales – une poussée de l’islam radical, des frontières de plus en plus floues entre l’antisémitisme et l’antisionisme, et l’extrême-droite européenne – comme causes principales de l’augmentation des incidents antisémites cette année.

Janvier 2015 s’est ouvert avec la terrible attaque terroriste à l’HyperCacher de Paris. Après une large dénonciation de l’antisémitisme en France par les officiels du gouvernement, quelques semaines après, dans la banlieue de Copenhague, une synagogue était la cible d’une fusillade terroriste.
Ces attentats, et « presque 100 % des attaques violentes contre des juifs » en Europe occidentale, ont été menés par des citoyens nés en Europe musulmans radicalisés, a déclaré Karasenty.
Le rapport dédie plusieurs pages aux interactions européennes entre l’islam radical et les communautés juives.
« Il est important de dire que ce ne sont pas les nouveaux-venus – pas les immigrants et les réfugiés. Ce sont des citoyens européens musulmans qui attaquent des citoyens européens juifs », a déclaré Karasenty, soulignant que de tels terroristes sont le produit des systèmes scolaires européens.
« Nous sommes bien sur inquiets des immigrants qui viennent de pays avec des préjugés contre Israël et les juifs, a clarifié Karasenty. C’est une source d’inquiétude, mais pour l’instant leur souci est leur survie quotidienne. Ce qui arrivera dans le futur, c’est une autre histoire. »
Carole Nuriel, directrice de l’ADL Israël, a déclaré au Times of Israel qu’elle ne pouvait pas commenter directement les conclusions du rapport du ministère de la Diaspora, mais que selon une étude menée en 2014 par l’ADL dans 102 pays, 55 % des musulmans en Europe occidentale ont des croyances antisémites.
« Nous savons que l’antisémitisme parmi les musulmans en Europe est plus élevé que dans la population générale », a déclaré Nuriel, soulignant qu’il n’y avait pas encore de données solides concernant les nouveaux immigrants et les réfugiés qui affluent sur les rives européennes.
En ce qui concerne l’avenir, a-t-elle déclaré, « je ne peux pas vous le dire, je ne suis pas prophète. Nous comprenons qu’il y a une peur parmi les juifs européens d’être identifiés en tant que juif… Nous savons que le futur n’est pas si prometteur et espérons que les mesures prises par les gouvernements européens aideront. »
Elle a pris le gouvernement français comme bon exemple des mesures que les pays devraient appliquer.
« J’ai vraiment le sentiment que les autorités françaises comprennent l’importance de la communauté juive française. Le succès de la République française est le succès de la communauté juive française », a-t-elle déclaré.
Nuriel a soutenu une approche à plusieurs échelles du combat contre l’antisémitisme, comprenant une éducation anti-biaisée, des législations et l’application de la loi, la prise de conscience publique – y compris les condamnations comme celles du Premier ministre Manuel Valls et du président François Hollande – et l’attention à l’antisémitisme sur Internet. Elle a déclaré qu’elle avait le sentiment que la France mettait en place ces approches.
Karasenty, haut-fonctionnaire du ministère des Affaires de la diaspora, a également applaudi la sincérité du gouvernement français mais a prévenu qu’il « est impossible de protéger chaque juif ».
« Les Français doivent promouvoir une éducation de tolérance, dans la ligne des valeurs de la République », a-t-il déclaré. « Ils ont négligé la communauté musulmane pendant des années. Même [la chancelière allemande Angela] Merkel déclaré qu’il y a besoin d’une action intensive pour éduquer les immigrants présents depuis longtemps en Allemagne », a-t-il ajouté.
Et bien que 2015 ait vu un nombre sans précédent de 8 000 juifs français immigrer en Israël, Karasenty a déclaré que la communauté dans son ensemble ressent la solidarité des autres citoyens français. Il a cité le mouvement #jesuisjuif qui a suivi les attentats de l’HyperCacher et de Charlie Hebdo, et la récente vague de Français déclarant que si les juifs devaient enlever leur kippas, cela reviendrait à céder au terrorisme.
Le rapport inclut aussi plusieurs efforts optimistes conduits en coopération avec des gouvernements et des institutions, particulièrement des cas de protections actives contre les pétitions du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

Une controverse entoure cependant toujours la définition basique de l’antisémitisme.
La définition du ministère, ainsi que celle de la majorité des organisations juives en diaspora, comprend les critiques d’Israël qui franchirait la ligne du racisme.
« Aujourd’hui nous comprenons de plus en plus que l’antisionisme est un refuge pour les personnes mauvaises, pour ceux qui utilisent Israël comme un prétexte à leur antisémitisme », a déclaré Karasenty.
‘Aujourd’hui nous comprenons de plus en plus que l’antisionisme est un refuge pour les personnes mauvaises, pour ceux qui utilisent Israël comme une excuse pour leur antisémitisme’
Mardi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que « nous voyons de l’antisémitisme dirigé contre des individus juifs, et nous voyons aussi cette haine dirigé contre la collectivité juive, contre l’Etat juif… L’obsession des juifs – la fixation sur l’Etat juif – défie toute autre explication rationnelle ».
Nuriel, de l’ADL, a cependant souligné que toutes les critiques d’Israël n’étaient pas de l’antisémitisme.
« Je veux être claire, la critique d’Israël et de son gouvernement est légitime – à moins qu’elle ne porte l’apparence de l’antisémitisme. Du moment que l’attitude du critique est antisémite, il y a un problème », a déclaré Nuriel.
Cela peut sembler être une affaire d’évaluation subjective.
« C’est une ligne fine et c’est la zone grise entre les deux, quand ce n’est pas une affirmation classiquement antisémite… C’est quelque chose dont nous discutons beaucoup au sein de notre organisation, ce qui est antisémite et ce qui ne l’est pas », a ajouté Nuriel.
Mais avec l’avancement de l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, ces affirmations deviennent de plus en plus toxiques.

Citant l’exemple de l’Autorité palestinienne, où selon le rapport 2014 de l’ADL 93 % des habitants ont des croyances antisémites, il y a une évolution de l’antisémitisme classique à un antisionisme « plus sophistiqué », a-t-elle déclaré.
« Nous savons que les réseaux sociaux ont une importance dans la propagation de l’antisémitisme. Et dans un monde dans lequel tout peut devenir viral, afin que les gens vous écoutent, vous devez amplifier votre message », a déclaré Nuriel.
‘Dans un monde dans lequel tout peut devenir viral, afin que les gens vous écoutent, vous devez amplifier votre message’
Le ministre de l’Education Naftali Bennett, qui est également le ministre des Affaires de la diaspora dans le gouvernement de Netanyahu, a écrit dans le prologue du rapport : « En tant que représentants de l’Etat d’Israël, le centre du peuple juif, nous ne pouvons autoriser et accepter cette réalité, et nous ne devons pas permettre aux pays du monde d’accepter une situation dans laquelle leurs juifs sont attaqués et doivent faire profil bas ».
Et donc, a déclaré Karasenty, le ministère de la Diaspora travaille sur un plan d’action interministériel, qui inclura parmi ses initiatives, des outils pour traquer les incidents antisémites à des fins d’enquête et de levier diplomatique.
« Les tendances sont alarmantes, a-t-il déclaré, et quelque chose doit être fait.
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