Le réalisateur Joseph Cedar parle des Juifs de Cour et de hareng avant la première israélienne de son film « Norman »
Le réalisateur israélien sera à Jérusalem lundi soir pour parler de son tout nouveau film lors d’une projection exclusive organisée par le Times of Israel

NEW YORK — Quand le scénariste et réalisateur de « Footnote », certainement le meilleur film israélien des 10 dernières années, fait un nouveau film, cela fait du bruit. Il mérite donc d’avoir un titre original : « Norman : la faible hausse et la chute tragique d’un réparateur new-yorkais ».
Joseph Cedar, qui a été ballotté entre New York et Israël toute sa vie, travaille en anglais pour la première fois avec son tout dernier film. Le casting de « Norman » inclut des vedettes internationales bien connues comme Michael Sheen, Steve Buscemi et Charlotte Gainsbourg, mais la star principale reste Richard Gere dans un rôle très inattendu pour celui qui a autrefois été un gigolo américain.
Le Norman Oppenheimer de Gere peut être perçu comme un brillant homme d’affaires ou un artiste de la manipulation : toujours en mouvement, concluant des affaires, répondant au téléphone et attendant qu’une opportunité se présente pour sauter dessus.
Il est à la fois pénible et d’un grand secours, et grâce à un tourbillon d’événements, il finit par devenir un ami proche du Premier ministre israélien avant de se trouver au centre de nombreuses décisions capitales. Et tout cela se déroule de manière extrêmement divertissante.
J’ai eu la chance de parler avec Cedar à New York à l’approche de sa projection spéciale du film suivie d’une conversation avec le réalisateur à Jérusalem qui sera organisée par le Times of Israël le lundi 6 mars à Cinema City.
On ne vous gâchera pas le suspens, mais c’est de toute façon le type de films où vous savez plus ou moins ce qui va se passer après la première scène, ce qui est amusant c’est comment cela va se dérouler. Vous trouverez ici une retranscription légèrement adaptée de notre conversation.

Vos films ne sont pas des comédies, mais ils sont toujours amusants. Y-a-t-il des plaisanteries dans « Norman » ?
Si les gens rient, j’ai l’impression d’avoir fait mon travail. Je ne pense pas qu’il y ait des gags. Si vous comprenez les pensées du personnage, vous vous attendez à ce que les choses lui explosent à la figure d’une manière ou d’une autre.
C’est le type de comédies de ce film. On voit quelqu’un mentir et se rendre compte que même s’il réussit à se convaincre lui-même, il ne convainc personne d’autre. Mais, non, il n’y a pas de blagues « officielles ».
Cela provient en partie de la manière de présenter les choses, la musique a une dimension carnavalesque, le tourbillon de New York, du fait qu’il ne change jamais ses vêtements…
La musique donne sans aucun doute l’impression d’un cirque. Dans ma tête, j’avais l’image du jeu des chaises musicales. Tant que la musique continue, tout va bien. C’est quand la musique s’arrête qu’il est piégé.

Combien de Norman connaissez-vous ?
Des dizaines. Peut-être plus.
Quand ces gens verront le film, se sentiront-ils offensés ? Ou contents d’être représentés ?
Il y a un don interne à chaque Norman, c’est essentiel à la « normanitude » : ils n’ont pas la conscience d’eux-mêmes. Donc les Norman ne se verront jamais eux-mêmes. Ils se verront dans d’autres personnages.
Mais, le but de ce film, sans vouloir dévoiler la fin, se trouve dans la prise de conscience de Norman.
Il est forcé de voir comment les autres gens le perçoivent. Il ne peut plus mentir, ses outils de survie qui l’aident à toujours rebondir : tout cela s’écroule quand il prend conscience de lui-même.
Mais c’est pour cette raison que j’aime votre film. Parce que le réflexe initial est de dire « Oh, je comprends, Richard Gere joue un spécialiste de l’arnaque », mais d’une certaine manière, il a vraiment du succès. Et dans un retournement de situation, il est vraiment brillant ! Peut-être, car on ne sait pas vraiment.
Il y a plusieurs niveaux chez les vrais Norman. Je pense qu’il y a un génie dans chacun d’entre eux, et une capacité intuitive à comprendre les différents besoins de chacun. Trouver un moyen d’être indispensable à quelqu’un d’autre demande une ingéniosité extraordinaire.
Le Norman du film ne réussit pas très bien quand on le voit. Il n’est pas à un haut niveau. Il y a une personne qui le laisse faire, il utilise ses qualités, mais avec les autres, ça ne marche pas. Il est très talentueux, mais on le rencontre à une époque et un âge où il pourrait peut-être perdre sa dignité de manière irrévocable.
On pense que Norman est un parasite, qu’il n’est pas sincère quand il veut aider les gens. Mais le personnage de Lior Ashkenazi, qui devient Premier ministre, soit se laisse piéger, soit il voit tout simplement quelque chose en Norman que nous ne reconnaissons pas. Est-il altruiste ou égoïste ? Ou est-ce sans importance ?
Pour moi, la plus grande découverte en faisant ce film était exactement cela. Mon idée initiale sur ce type de personnage est qu’il sert son propre intérêt aux dépens des besoins d’autres personnes, et peut-être même aux dépens de certaines valeurs et de la moralité. Mais en pensant à la situation de Norman, et en essayant de comprendre sa motivation, j’ai été convaincu que la plupart de ces individus essaient vraiment de faire du bien.
Tout le monde pense qu’ils sont sournois et c’est pour cela qu’on les traite mal. Ils ne sont pas nécessairement altruistes, ils veulent faire de l’argent et ils ont de l’ego. Mais ils essaient de faire la chose juste. Ils ne sont pas égoïstes, au contraire, ils essaient constamment d’aider les gens autour d’eux.
Et si en faisant cela, vous gagnez un peu d’argent, ce n’est pas plus mal ?
S’il y avait une dimension chrétienne dans ce film, alors il serait précisément question de cela. Mais Norman ? Non, il doit y avoir un profit à la fin. Quelqu’un doit gagner de l’argent dans tout cela, et il ne va pas s’en excuser, c’est ce qui fait avancer le monde.
Ce personnage ne sort pas de nulle part. Il y a le personnage que l’on appelait le « Juif de Cour », avec un homme célèbre dans l’histoire appelée Samuel Oppenheimer, et j’imagine que vous aviez tout cela en tête.
Je suis fasciné par le rôle du Juif de Cour, et comment il réapparaît à chaque époque et dans chaque domaine. C’est quelqu’un qui parvient à se frayer un chemin dans le cercle fermé d’une personne qui finira par avoir du pouvoir, en offrant un cadeau à un moment où cette personne n’est pas en capacité de résister. Ensuite, il gagne progressivement de l’influence alors que cette personne devient plus puissante, et finit par être jeté à la rue lorsqu’il n’est plus utile. Cette logique me semble extrêmement intéressante.
En regardant « Norman » et aussi « Footnote », j’avais l’impression de savoir comment ça allait se terminer, sans pour autant savoir comment les choses allaient se dérouler. C’est une nature classique, presque comme les histoires du Vieux Pays.
Je suis attiré par ce genre d’histoires, et aussi par l’histoire cinématographique de la représentation des marchants juifs. Les séries de « Cohen », la « Combine de Cohen », la « Vente au rabais de Cohen » de 1904 et 1905. Les premières ont été faites par un réalisateur appelé Edwin Porter, il présentait des stéréotypes juifs avant la Première Guerre mondiale.
Cohen a un nez crochu grotesque et des yeux perçants, et les films ont la même structure : il essaie d’escroquer quelqu’un mais finit par être la victime de sa propre escroquerie. C’est vraiment intéressant pour moi parce que j’aime l’idée de quelqu’un qui n’est pas satisfait de ce qu’il a, et qui a envie de plus. Mais cela lui revient en pleine figure et vous finissez par prendre son parti.
C’est ni trop gentil et ni trop cynique. Cela nous rappelle que quelqu’un qui doit faire autant d’efforts pour réussir n’arrive jamais au pouvoir. Le vrai pouvoir dans le monde, il faut y être né. Vous pouvez toujours encourager les gens qui doivent vraiment travailler dur pour cela.
J’aime comment vous représentez New York, particulièrement la manière dont certains d’entre nous utilisent les rues de Manhattan comme leur bureau, comment vous pouvez parfois passer des appels d’affaires les plus sérieux depuis les toilettes d’un Starbucks.
L’une des choses intéressantes au sujet d’un Norman du 21e siècle, c’est qu’il peut jouer ce jeu sans que personne ne sache où il se trouve. Il gère toutes ses affaires au téléphone, et plus le fossé est extrême, par exemple au moment où il se trouve dans une poubelle alors qu’il parle au Premier ministre israélien, plus ce contraste fonctionne.
Nous avons essayé de créer des plateaux où les acteurs pouvaient être dans la même pièce visuellement mais dans des endroits différents. Ce n’est pas simple dans la salle de montage, mais l’idée est que Norman peut être partout à la fois.
Le film traite principalement du lien entre New York et Israël dans un effet de miroir à votre histoire personnelle.
Je voulais faire un film purement américain, mais ça c’est transformé en un film sur la relation entre Israël et un homme d’affaires américain. Les Juifs américains ont une histoire d’amour avec Israël qui rend tout romantique et idéalise les choses, mais c’est fictif. L’Israël que Norman pense aider n’existe pas réellement.

Il appelle en Israël pour la première fois, et dans sa tête, nous voyons nos bureaucrates avec des danseurs israéliens dans le fond.
Le genre de sionisme que les enfants apprennent dans les écoles juives américaines est facile à apprécier, parce qu’il est utopique. Mais pas réaliste. J’ai donné cette perspective à Norman.
Quand il est arrivé finalement au consulat israélien, il y trouve des images touristiques : oranges et mer Morte, magnifique coucher de soleil dans le désert. Il n’a simplement pas réalisé qu’il est sur le point d’être trahi.
Mais cela va dans les deux sens ? Une vision israélienne de New York qui est fausse ?
Pui, absolument. Il est difficile d’exprimer clairement cette histoire d’amour, mais le film tente de le faire. Il y a quelque chose de religieux à ce sujet, mais d’un peu coquin aussi. Et cela touche à des sentiments de culpabilité des deux côtés, en parti issus du soutien financier.

Sur un sujet très important à présent. Richard Gere a-t-il réellement mangé un hareng saur Vita sur un cracker ?
Je ne répondrai jamais. Je dirai, et les gens qui étaient sur le plateau savent cela, que si vous avez une prise, cela signifie que vous avez dû la filmer 20 fois. Beaucoup de prises, beaucoup d’angles.
Vous avez ici un encart montrant le hareng aller sur un cracker et une main. Mais cela peut ne pas être sa main. Ensuite vous coupez, sur lui mettant quelque chose dans sa bouche, mais grâce à la magie du cinéma, cela pourrait être autre chose !
C’est une conversation que vous devriez avoir avec un réalisateur de films pornographiques.
Y a-t-il quelque chose de plus pornographique que le hareng saur ?
C’est une question que le public doit se poser, c’est pour ça que je ne peux pas répondre.
Cette scène était dans le film dès le début. Mais pendant que nous cherchions des synagogues pour filmer, et regardions leurs sous-sols et leurs cuisines, elles avaient absolument toutes un pot de hareng saur. Comme dans le scénario. C’est là, attendant quelqu’un qui en a vraiment besoin.
C’est dans le film parce que si vous savez comment sent l’haleine de quelqu’un, c’est viscéral, et cela aide le personnage.
A la fin au cinéma, c’est Rosebud le traîneau et le hareng de Norman.
Je suis heureux de cela.
Le sous-titre du film est « réparateur de New York », et quand j’entends réparateur, particulièrement dans un contexte juif, je pense à l’histoire de Bernard Malamud, qui est une chose bien plus grave et déprimante, et ne pourrait pas être plus différente.
Nous n’avions pas le sous-titre au début, mais cela aide le film et lui donne du contexte. Ma suggestion initiale était « La faible hausse et la chute tragique du faiseur juif ».
Et il a été suggéré de changer « faiseur juif » par « réparateur de New York », et pour moi c’était parfait. C’est le code parfait pour quiconque connait vraiment l’histoire. Remplacer « juif » par New York, et « faiseur » par « réparateur » est simplement de dire quelque chose qui est attirant pour un plus large public, mais veut en fait dire quelque chose d’extrêmement spécifique.
Richard Gere réussit cela. Vous avez beaucoup de gens qui ne sont pas juifs pour des rôles juifs. Steve Buscemi et Michael Shannon aussi.
Les seuls Juifs que nous avions étaient Hank Azaria et Josh Charles. Mais ne le dites-pas, s’il vous plaît !
Sérieusement, sinon, je ne pense pas qu’il y ait quoique ce soit de générique à propos de nos caractéristiques juives. Donc prendre de beaux goys pour les transformer en mes oncles et mes cousins est extrêmement satisfaisant.
Mais je ne pense pas que jouer un Juif nécessite d’être circoncis. Il y a un Norman en chacun, en toute star du cinéma, attendant simplement son morceau de hareng.
Le Times of Israël présente : Norman, avec le réalisateur Joseph Cedar
Où : Cinema City de Jérusalem – salle 1
Quand ? Le 6 mars 2017, à 19h45
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