Le récit d’un survivant de la Shoah, sauvé par des Français, redécouvert
Un manuscrit perdu retrouvé dans le grenier des parents de Peter Singer le relie à un membre de sa famille autrefois raillé, et presque oublié
LONDRES – En 2005, la découverte chanceuse d’un manuscrit écrit par son grand-père a révélé des informations sur le passé pendant la guerre des grands parents viennois de Peter Singer.
Caché dans une valise dans le grenier de son père, la liasse de délicats papiers carbone a raconté leur expérience de survie en tant que réfugiés – une information que Singer voulait connaître depuis qu’il était adolescent. Sa découverte « était un cadeau extraordinaire, » dit-il.
Moriz Scheyer a écrit son histoire entre 1943 et 1944 pendant qu’il se cachait dans un couvent qui assurait en même temps la fonction d’asile psychiatrique pour femmes en France, et l’a complété après la guerre en 1945. Écrit en allemand au fur et à mesure des évènements, il raconte la fuite spectaculaire, tendue et souvent miraculeuse depuis Vienne, occupée par les nazis, jusqu’à la France pendant la guerre.
Jusqu’à l’Anschluss, ou annexion de l’Autriche en 1938, Scheyer était un essayiste, critique et éditeur artistique connu pour le prestigieux journal viennois Neues Wiener Tagblatt. Il était un ami de l’auteur Stefan Zweig et une connaissance du compositeur Gustav Mahler. Bien qu’écrivain important, « ce livre n’a rien à voir avec la ‘littérature’ telle qu’on la connaît » a-t-il écrit dans l’avant-propos. Son ambition était d’enregistrer « le témoignage d’un réfugié juif ».
Après la mort de Scheyer en 1949, son beau-fils, Konrad Singer, avait hérité du manuscrit original, et l’avait détruit – n’aimant pas ce qu’il percevait sur un ton d’auto-apitoiement et d’un fort sentiment anti-allemand. Ou bien il pensait l’avoir fait.
Sa mère, Grete, avait gardé la copie carbone, celle qu’a retrouvée Singer. Il semble qu’il y aurait eu une précédente tentative de publication. Le manuscrit – initialement intitulé « Un survivant » – était dans un fichier adressé à la première femme de Zweig aux Etats-Unis.
« Asile » est la traduction du manuscrit de Peter Singer. Bien que de formation de lettres classiques, avec une spécialisation sur la traduction de textes en grec ancien, il avait travaillé en allemand auparavant. En dehors de l’addition de quelques notes de bas de pages et d’un épilogue contextualisant les personnes et les évènements, il s’agit d’une version fidèle et non éditée du texte de Scheyer. Le livre a maintenant été publié au Royaume-Uni, et devrait être publié à l’automne aux Etats-Unis.
En partie un mémoire, en partie un journal intime, Asile est inhabituel en cela que Scheyer chronique une large variété d’expériences, dit Singer : l’Anschluss à Vienne, Paris sous l’occupation allemande, l’exode depuis Paris, la vie dans deux camps de concentration français, une tentative d’évasion ratée vers la Suisse, des contacts avec la Résistance, et finalement, le sauvetage et la vie clandestine dans un couvent franciscain français.
La réalité de vivre dans un état de peur constante est vivement abordée mais c’est le ton coléreux et acerbe à toute épreuve de Scheyer et sa profonde angoisse émotionnelle qui caractérisent le livre. Il note avec incrédulité la facilité avec laquelle les Autrichiens se sont adaptés à l’invasion nazie et comment les Français se sont accommodés des Allemands – sa rage est en particulier dirigée envers ceux qui ont collaboré. Par-dessus tout, l’on trouve son sentiment d’incrédulité. Comment, demande Scheyer à plusieurs reprises, tout cela a-t-il pu arriver ?
Comment, demande Scheyer à plusieurs reprises, tout cela a-t-il pu arriver ?
« C’est une histoire très captivante, même si vous n’avez pas de lien personnel, » dit Singer au Times of Israël par téléphone.
Bien qu’il n’ait jamais connu son grand-père par alliance, travailler sur le manuscrit est inévitablement devenu « une rencontre avec cette personne que je n’ai pas rencontrée ».
Malgré le ton négatif du livre, il admet avoir trouvé certains de ces aspects très motivant, particulièrement l’héroïsme quotidien, le sacrifice de soi et le danger que la famille française était préparée à prendre pour sauver les Scheyer.
En 1941, Scheyer a été libéré d’une période d’internement dans le camp de Beaune-la-Rolande, situé dans le nord de la France. D’autres juifs ont eu moins de chance – beaucoup n’en sont sortis que pour se diriger vers leur extermination.
A la suite de sa libération, lui et sa femme, avec leur dévouée gouvernante et amie tchèque non juive Sláva, ont décidé de traverser la France de Vichy – payant un passeur pour traverser la ligne de démarcation. Ils ont ensuite essayé et échoué à atteindre la Suisse.
En 1942, quand les recherches et les déportations de juifs étaient à leur plus haut, ils ont rencontré en passant la Famille Rispal, qui était membre de la Résistance. Ils ont organisé un refuge dans le couvent et c’est là qu’ils sont restés pour le restant de la guerre.
« Les Rispal [Gabriel, Hélène, et leur fils Jacques] sont devenus comme une famille élargie, [particulièrement] pour ma grand-mère » explique Singer. Après la guerre, ses grands-parents et Sláva sont restés en France, vivant à côté du couvent et des Rispal dans une maison qui appartenait à Hélène Rispal – un geste dont il parle dans l’épilogue comme d’un « autre acte spectaculaire de générosité ». Moriz et Grete Scheyer ont été enterrés dans le jardin de la famille Rispal.
Les visites d’enfance de Singer à sa grand-mère signifient que lui aussi a connu la famille Rispal. Il dit que « nous voyions Hélène chaque jour. Elle était évidemment quelqu’un qui s’occupait beaucoup des autres. Gabriel était une sorte de personnage impressionnant, un bon vivant. » Il se rappelle avoir vu Jacquot (Jacques) à l’occasion, alors acteur qui vivait à Paris.
Singer dit que son père a décrit Scheyer comme un hyper-sensible. Il était également irrationnel de temps en temps et cultivait des rancunes contre un collègue ou un ami, qui seraient ensuite rapidement réparées. Il valorisait sa vie privée : Konrad a dit à Singer que Scheyer avait l’habitude de se lever pour ouvrir la fenêtre pendant des rencontres sociales à leur appartement. C’était un signal, compris par ses invités, qu’il était temps pour eux de partir.
Singer pense que les critiques de son père sur le livre de Scheyer était largement due à une différence d’attitude et d’expérience, particulièrement parce que son père avait été envoyé au Royaume-Uni pour poursuivre ses études.
« Il a été très chanceux, il était jeune, il n’a été témoin directement d’aucune de ces atrocités, » dit Singer à propos de son père, ajoutant qu’il ne voulait pas s’éterniser sur ce qui était arrivé à ses parents. Son avis était que d’autres avaient plus soufferts qu’eux. A la place, il voulait regarder vers l’avant.
« Cela nous semble terriblement antipathique, dit Singer, mais je me demande si son attitude n’était pas quelque part représentative de l’état d’esprit de beaucoup de jeunes gens à l’époque. »
« Une partie de moi pense que ce que mon père n’a pas aimé [dans le livre] était son moyen d’expression. C’est presque une réaction esthétique. Dans une certaine mesure, c’est assez sentimental, c’est de temps en temps rhétorique mais il est très fortement travaillé, » observe-t-il.
Singer a mené des recherches historiques considérables autour du libre – il était important pour lui d’en apprendre plus sur la période que son grand-père a traversée ainsi que sur ce qui était arrivé aux « personnages » impliqués.
Pour Scheyer, le propos de son livre était simple.
Il a écrit : « si ce livre a pour effet que quelques-uns de ceux à qui le destin a épargné d’être réfugiés, d’être juifs, à l’époque d’Hitler, se posent à eux-mêmes la question ‘Comment tout cela a-t-il pu arriver ?’, cela serait la meilleure réparation que je pourrais recevoir – le plus grand accomplissement de ma vie. »
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