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Analyse

Le show au Qatar ne peut pas faire oublier les (terribles) controverses liées au Mondial

La compétition a uni le monde arabe, mais l'exploitation des travailleurs migrants et d’autres problématiques ont terni son bilan

Deux ouvriers nettoient une rue devant des gratte-ciel avec des affiches géantes des stars du football Cristiano Ronaldo du Portugal, Andre Ayew du Ghana et Dusan Tadic de Serbie, à Doha, au Qatar, le 29 novembre 2022. (Crédit : AP/Martin Meissner)
Deux ouvriers nettoient une rue devant des gratte-ciel avec des affiches géantes des stars du football Cristiano Ronaldo du Portugal, Andre Ayew du Ghana et Dusan Tadic de Serbie, à Doha, au Qatar, le 29 novembre 2022. (Crédit : AP/Martin Meissner)

DOHA, Qatar – En se promenant dans la capitale du Qatar, il est impossible d’échapper aux affiches portant les mots « Now is All » (Tout se joue maintenant), collées sans relâche sur les transports en commun, dans les supermarchés, sur les panneaux de signalisation et dans les stades.

Slogan officiel de la Coupe du monde, ces quelques mots clairement ambigus semblent néanmoins incarner la mission que les autorités qataries espéraient remplir en accueillant le plus grand des tournois de football : se concentrer sur les stades étincelants, l’athlétisme de classe mondiale et l’expérience festive vécue par les fans – sans que l’on pense trop au chemin accompli pour en arriver là.

Malgré ces efforts, le passif du Qatar concernant son intolérance envers les homosexuels, son mépris des droits des travailleurs migrants et son rejet de longue date d’Israël, comme ailleurs dans le monde arabe, ne se sont pas fait oublier durant la compétition.

Bien que sa réputation ait été entachée d’un scandale de corruption présumée, l’instance internationale dirigeante du football, la FIFA, a présenté l’attribution du tournoi au riche État pétrolier du Golfe comme une tentative de promouvoir le football dans le monde arabe, où la popularité du sport ne cesse de croître depuis des décennies.

Contrairement aux compétitions précédentes, le monde arabe était bien représenté lors de cette toute première Coupe du monde au Moyen-Orient. Dans l’artère centrale de Doha, Souq Waqif, la majorité des fans étaient vêtus du vert et du blanc de l’Arabie saoudite, du rouge de la Tunisie et du Maroc, et même quelques-uns du marron du Qatar.

Sur le terrain également, les équipes arabes ont excellé, le Maroc devenant la première équipe arabe à atteindre les quarts de finale de la compétition, après que l’Arabie saoudite a battu de façon mémorable l’Argentine dans les premiers jours du tournoi.

Après cette victoire choc, les réseaux sociaux ont été inondés de vidéos montrant des citoyens arabes célébrant dans de nombreux lieux divers : dans des camps tribaux au milieu du désert, dans des cafés, ou défilant dans les rues. Ils ne se trouvaient pas seulement dans les rues de Ryad et de Djeddah, mais aussi à Bagdad, à Damas, au Caire, à Amman et à Hébron. Une vraie Coupe du monde arabe, livrée comme promise.

Le drapeau marocain projeté sur les tours du centre-ville de Doha, au Qatar, après que le Maroc a remporté son huitième de finale de la Coupe du monde de football contre l’Espagne, au stade Education City, le 6 décembre 2022. (Crédit : AP/Martin Meissner)

Hélas, tous les habitants de la région n’ont pas été invités à se joindre aux célébrations. L’accueil froid réservé aux Israéliens lors du tournoi – en particulier à ceux qui, comme moi, sont venus pour réaliser des reportages pour des médias israéliens – a été étonnamment dur.

Suite au développement rapide de relations diplomatiques saines établies entre Israël et certains États arabes au cours des dernières années, ainsi que la décision du Qatar d’autoriser les visiteurs israéliens et les vols directs depuis Tel Aviv, moi-même et de nombreux autres journalistes israéliens présents sur le terrain à Doha, sommes arrivés ici en pensant que ces développements positifs s’étendraient à la rue arabe. Cela n’a pas été le cas. Loin de là.

Au lieu de cela, comme indiqué précédemment, les journalistes israéliens ont été régulièrement cibles de remarques négatives, d’harcèlement ou même de menaces. Plusieurs d’entre eux sont devenus les protagonistes involontaires de vidéos diffusées fièrement sur les réseaux sociaux arabes, montrant des fans les réprimandant ou les insultant alors qu’ils essayaient de faire leur travail. Comme l’a dit un fan qatari, les Israéliens « ne sont pas les bienvenus ici ».

Le centre médias de la FIFA dans le centre-ville de Doha, au Qatar, le 21 novembre 2022. (Crédit : Ash Obel/The Times of Israel)

Dans mon cas, un incident survenu dans le centre médias de la FIFA, dans le centre-ville de Doha, a cristallisé ce rejet – même s’il n’était pas particulièrement grave. Durant une courte pause, j’ai discuté avec un journaliste yéménite alors que nous assistions tous les deux à un match de football diffusé sur grand écran.

Ensemble, nous avons analysé le match, comparé nos expériences au Qatar et évoqué les moments emblématiques des compétitions passées. Au bout de cinq minutes, il m’a demandé pour qui j’écrivais. En entendant la réponse, son visage est devenu blême et il s’est détourné de moi avec embarras, chuchotant quelque chose en arabe à son collègue à côté de lui, avec le mot « Israélien » clairement audible.

La simple mention du nom de cette publication était évocatrice. En une seconde, le mot « Israël » m’a transformé d’humain et d’ami en ennemi. Cela a peut-être aussi été le cas pour d’autres journalistes, dont les pays sont impliqués dans des conflits les opposant – Russes et Ukrainiens, Coréens du Nord et du Sud, Saoudiens et Iraniens…

Selon un article paru dans Haaretz, les organisateurs de la compétition avaient demandé aux équipes de sécurité des stades de confisquer tous les drapeaux n’appartenant à aucune des deux nations s’affrontant lors du match auquel le public participait. Cependant, le personnel a été informé que le drapeau palestinien était une exception à la règle, et qu’il devait être autorisé à entrer dans tous les stades, bien que l’équipe palestinienne ne participe pas à la Coupe du monde.

Des supporters de la Tunisie brandissent un drapeau de la Palestine sur lequel on peut lire « Free Palestine » lors du match de football du groupe D de la Coupe du monde entre la Tunisie et l’Australie au stade Al Janoub à Al Wakrah, au Qatar, le 26 novembre 2022. (Crédit : AP Photo/Petr David Josek)

Pas seulement les Israéliens

Ces contradictions ont altéré ma perception de cette Coupe du monde. Les supporters du monde arabe, brièvement unifié, célèbrent ensemble leur succès sur et hors du terrain, mais à l’exclusion des autres : les Israéliens ne sont pas les seuls exclus, mais aussi les supporters LGBT et bien sûr les 6 500 ouvriers qui n’ont pu profiter de ce spectacle footballistique éblouissant car morts en construisant les stades colossaux dans lesquels les matchs sont joués.

En m’adressant à une poignée des quelque trois millions de travailleurs migrants du Qatar (bien qu’aucun n’ait travaillé dans l’industrie de la construction), il m’a été difficile d’évaluer les véritables sentiments et réalités de cette main-d’œuvre dont les droits et le traitement sont devenus une source majeure de consternation autour de cette Coupe du monde.

Des travailleurs migrants travaillent au port de Doha, au Qatar, le 13 novembre 2022. (Crédit : AP Photo/Hassan Ammar)

Le Qatar n’est pas réputé pour être un bastion de la liberté d’expression, et les travailleurs migrants se méfient probablement des répercussions qui pourraient survenir s’ils dénonçaient les traitements subis par leurs hôtes – donc les échanges avec eux doivent être pris avec méfiance, mais ceux auxquels j’ai parlé ont semblé exprimer une véritable positivité concernant la vie à Doha.

Alors que certains ont émis des critiques mineures, notamment concernant la chaleur accablante durant l’été, la plupart ont vanté les salaires relativement élevés et ce qu’ils ont qualifié d’absence de criminalité dans le pays.

Sous un soleil brûlant dans la banlieue terne de Doha, Rashid, un travailleur migrant originaire d’une ville près de New Delhi en Inde, a expliqué que son salaire – il gère un café dans un centre commercial de Doha –, lui permettait de vivre confortablement, et qu’il pouvait envoyer suffisamment d’argent à ses parents âgés, en Inde, afin qu’ils n’aient pas à se soucier de quelconques problèmes financiers.

Avec un grand sourire, Rashid a déclaré qu’il avait pu économiser suffisamment d’argent pour fonder une famille dans un avenir proche, ajoutant avec confiance que lui et sa progéniture anticipée considéreraient Doha comme « leur maison pour toujours ».

Le centre commercial Mirqab dans le quartier Al-Sadd de Doha, le 24 novembre 2022. (Crédit : Ash Obel/The Times of Israel)

Au coin d’une rue, Sanaa, originaire de Rabat, au Maroc, m’a généreusement offert un shawarma du restaurant qu’elle gère, servant exclusivement la population migrante vivant dans les tours d’appartements environnantes. Bien qu’elle envisage de retourner dans son pays natal après cinq ans dans le Golfe, Sanaa m’a assuré que « la vie était belle » à Doha. Elle se sent en sécurité en tant que femme dans le pays, où un système pénal autoritaire et impitoyable réduit au minimum toute activité criminelle.

La plupart de ces travailleurs, cependant, sont employés dans le cadre du système de parrainage dit de la « kafala », largement utilisé dans tout le Golfe et dans certaines zones du Moyen-Orient. La « kafala » permet aux employeurs de maintenir des niveaux de contrôle extrêmement élevés sur leurs employés, notamment en confisquant leurs passeports. Les employés sont généralement logés dans des conditions insalubres et dans des appartements surpeuplés, et sont obligés de travailler de longues heures dans des températures élevées. Les critiques de ce système le qualifient d’esclavage moderne.

Un ouvrier devant un mur montrant la mascotte de la Coupe du monde 2022, « La’eeb », à Doha, au Qatar, le 19 novembre 2022. (Crédit : AP Photo/Eugene Hoshiko)

Selon The Guardian, 6 500 ouvriers du bâtiment sont morts jusqu’en 2021 dans la construction des infrastructures de la Coupe du monde. Les autorités qataris avaient précédemment affirmé que ce nombre ne s’élevait qu’à trois – mais, la semaine dernière, elles ont mis à jour leur décompte, l’établissant à « entre 400 et 500 » personnes.

Ces dernières années, le Qatar, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT), a promulgué des réformes juridiques accordant aux travailleurs un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail, mais l’OIT a affirmé que les travailleurs « sont toujours confrontés à diverses problématiques », et que des améliorations supplémentaires sont nécessaires.

Gianni Infantino, président de la FIFA, s’est souvent vanté du fait que, sans le prestigieux tournoi, les droits des travailleurs au Qatar n’auraient pas du tout évolué.

Le président de la FIFA, Joseph Blatter, accompagné du vice-Premier ministre russe Igor Shuvalov (à droite), et du cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, émir du Qatar (à gauche), après l’annonce, le 2 décembre 2010, que la Russie et le Qatar accueilleront les Coupes du monde de football 2018 et 2022. (Crédit : AP/Michael Probst)

Cependant, il est difficile de croire que les ouvriers et la question des droits de l’homme étaient la priorité des 22 membres du Comité exécutif de la FIFA qui ont voté en 2010 pour attribuer l’organisation de la compétition au Qatar. Depuis, 16 d’entre eux ont été inculpés ou ont fait l’objet d’une enquête pour corruption ou faute professionnelle présumée. Bien qu’aucun fait de corruption n’ait encore été reconnu comme directement lié au Qatar et que l’État du Golfe a été innocenté par le comité d’éthique indépendant de la FIFA après une enquête de deux ans, de nombreuses allégations de corruption et d’achat de voix ont entaché la Coupe du monde 2022 dès ses premiers jours.

Avant chaque match, une réplique géante du trophée emblématique de la Coupe du monde parade au milieu du terrain, élément central du spectacle hypnotique d’avant-match avec des lasers clignotants, des rafales de feu et une musique rythmée. Partout dans le monde, un grand nombre de gens, y compris des Israéliens, attendent chaque match, vibrant devant le spectacle proposé en retenant leur souffle.

Mais derrière ces lumières envoûtantes et ces gratte-ciel étincelants, il ne fait aucun doute que ce petit État riche en pétrole a saisi l’occasion pour tenter de blanchir son image. « Tout se joue maintenant. »

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