L’envoyée bahaïe à l’ONU : l’Iran mène un « assaut systématique » contre la communauté
Les autorités iraniennes font un raid dans un village, détruisent des maisons et arrêtent des dizaines de membres du groupe religieux en les accusant d'espionner pour Israël
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

La représentante principale de la communauté religieuse des Bahaïs à l’ONU a déclaré mercredi que l’Iran menait un « assaut systématique » contre ses membres dans le pays, après que les autorités iraniennes ont arrêté d’importants dirigeants de la minorité et fait une descente dans l’un de ses villages.
L’Iran pratique depuis longtemps la discrimination à l’encontre des Bahaïs, la plus grande minorité non musulmane du pays, mais aurait récemment intensifié ses persécutions à l’encontre du groupe, pour des raisons qui ne sont pas encore claires. La foi bahaïe est née en Iran et son siège mondial se trouve en Israël, à Haïfa.
La persécution a été « une caractéristique régulière de la vie des Bahaïs », a déclaré Bani Dugal, la principale représentante de la Communauté internationale bahaïe auprès des Nations unies.
« Mais, ce à quoi nous assistons ces derniers jours est un assaut systématique réellement vicieux et cruel et organisé de manière très méthodique par le gouvernement », a déclaré Mme Dugal au Times of Israel.
Depuis le mois de juin, les autorités iraniennes ont arrêté des dizaines de Bahaïs sous des accusations qui sont sans fondement selon la communauté, notamment celle de « causer un sentiment d’insécurité intellectuelle et idéologique au sein de la société musulmane ».
Le mois dernier, les arrestations se sont poursuivies, et les agents iraniens ont également confisqué des biens appartenant à des Bahaïs, effectué des fouilles invasives et fermé des commerces de la communauté.

Cette semaine, l’Iran a arrêté ou emprisonné 13 autres Bahaïs, dont d’éminents dirigeants de la communauté.
Le ministère iranien du Renseignement a déclaré dans un communiqué que les suspects étaient liés au centre bahaï en Israël et qu’ils y avaient collecté et transféré des informations.
Le ministère a accusé certains des détenus de propager le « colonialisme bahaï » et « d’infiltrer les milieux éducatifs », ce qui semble être un prétexte pour cibler les enseignants bahaïs.
Parmi les dernières personnes détenues, trois – Mahvash Sabet, Fariba Kamalabadi et Afif Naemi – sont des dirigeants communautaires qui ont déjà séjourné une dizaine d’années en prison jusqu’à leur libération en 2018. Deux d’entre eux ont été placés à l’isolement et on ignore où se trouve le troisième.
Mardi, quelque 200 agents de sécurité iraniens ont fait une descente dans un petit village agricole comptant une importante population bahaïe dans le nord de l’Iran, appelé Roshankouh.
À 6 heures du matin, les forces de sécurité ont surgi sans prévenir, elles ont encerclé le village, bouclé les routes autour, rassemblé les résidents bahaïs et détruit au bulldozer au moins six maisons appartenant à des Bahaïs. Les agents ont confisqué environ 20 hectares de terrain, arrêté une personne et tiré des coups de feu en l’air « pour effrayer les villageois déjà terrifiés », selon Dugal.
Update: 200 security agents sealed off Roushankouh, in #Iran's Mazandaran province, and used heavy equipment to demolish Baha'i homes. Six homes were destroyed and over 20 hectares of land were confiscated.#ItsTheirLand #BahaiRights #HumanRightshttps://t.co/LLofMUsnPW pic.twitter.com/oCD9b9gPBX
— Baha'i International Community (@BahaiBIC) August 2, 2022
« Il semblerait qu’il s’agisse d’un mécanisme qui a été déclenché. Nous espérons que cela s’arrêtera ici, mais nous n’en savons rien », a-t-elle ajouté.
L’Iran n’a fourni aucune preuve à l’appui des allégations selon lesquelles les Bahaïs auraient commis des actes illégaux. Des images de la télévision d’État ont montré l’un des suspects disant qu’il était surveillé par des agents du ministère, sans toutefois reconnaître avoir fait quoi que ce soit d’illégal. Aucune déclaration officielle n’a été faite par l’Iran et l’ambassade iranienne auprès des Nations unies n’a pas répondu aux demandes de commentaires.
La religion bahaïe a été fondée en Iran au milieu des années 1800. Son prophète, Baha-Allah, exilé d’Iran, s’est rendu à Bagdad, puis en Turquie. Là, il a été emprisonné par les autorités ottomanes à Akko, dans l’actuel Israël, alors sous contrôle ottoman. Il sera relâché plus tard, mais confiné dans cette région, où il mourra en 1892. Son lieu de sépulture à Akko est aujourd’hui un sanctuaire pour les membres de la communauté bahaïe. Le siège international de la communauté bahaïe, la Maison universelle de justice, se trouve à Haïfa, non loin de là. Les majestueux jardins de la communauté, qui contiennent également un sanctuaire, sont une pièce maîtresse de la ville et un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les Bahaïs du monde entier prient en direction d’Israël.
Les autorités iraniennes auraient utilisé les liens entre les Bahaïs et Israël comme prétexte pour les persécuter, selon la communauté, même si ce lien est antérieur à l’État moderne d’Israël. Si certains Bahaïs de la diaspora passent du temps en Israël pour s’occuper du jardin et des sanctuaires, c’est à titre temporaire ; il n’y a pas de communauté établie en Israël. Les Bahaïs d’Iran communiquent peu, voire pas du tout, avec les membres de leur confession en Israël, par crainte des autorités iraniennes, a expliqué Dugal.

Cela fait longtemps que l’Iran persécute les Bahaïs, plus encore depuis la révolution de 1979, avec des exécutions, des arrestations, du harcèlement, des confiscations de biens et d’autres mesures. Les Bahaïs sont exclus de nombreuses professions, n’ont pas accès à l’éducation et n’ont pas les mêmes droits que les autres groupes, a déclaré Dugal.
L’Iran reconnaît les religions minoritaires non musulmanes, mais pas le bahaïsme. Les enquêteurs de l’ONU ont trouvé des documents indiquant que la persécution du groupe par l’Iran fait partie de sa politique officielle. Un document de 1991 adressé au Guide suprême de l’Iran sur la « question bahaïe » indique que la communauté doit être privée d’éducation, d’emploi et de postes d’influence.
En 2013, le guide suprême de l’Iran, Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les questions d’État, a exhorté les Iraniens à éviter toute relation avec les Bahaïs. Cette fatwa, ou ordre religieux, de Khamenei appuyait des fatwas similaires prononcées dans le passé par d’autres religieux.
Le groupe représente la plus grande minorité non musulmane en Iran, dépassant en nombre les chrétiens, les zoroastriens et les juifs. La communauté musulmane sunnite minoritaire est plus importante. On ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre de membres de la communauté en Iran, car celle-ci n’est pas autorisée à s’organiser au niveau national, mais selon Mme Dugal, il y aurait entre 500 000 et 1 million de Bahaïs en Iran, répartis à travers le pays.
On ne sait pas exactement ce qui a déclenché cette récente vague de persécution, sans lien apparent avec d’autres événements récents, dont le ciblage d’autres groupes civils. À la fin du mois dernier, le groupe dissident anti-régime MEK avait annulé sa conférence annuelle en Albanie, un événement majeur, en raison de menaces terroristes ; une série d’articles de presse ont indiqué ces derniers mois que l’Iran visait des Israéliens à Istanbul ; et la semaine dernière, un homme armé d’un fusil d’assaut a été arrêté devant le domicile d’une Américano-Iranienne à New York.
Les négociations nucléaires de Téhéran avec les puissances mondiales sont toujours en cours. L’Iran a déclaré mercredi qu’il avait envoyé une délégation à Vienne pour reprendre les négociations.
Le village dont les maisons ont été démolies mardi et d’autres communautés dans la même province ont déjà été visés par le passé, mais « la façon dont ils l’ont fait cette fois-ci a été un peu un choc », a déclaré Dugal.
« C’est une façon de semer la terreur dans toute la communauté nationale », a-t-elle dit.
« Ils accusent les gens d’être des espions et tout ça. Il s’agit de personnes relativement modestes, dont les revenus ne sont pas très élevés, qui travaillent et labourent le sol dans le nord de l’Iran », a-t-elle ajouté. « Ils croient en la fois Bahaï, mais c’est à peu près tout. Imaginer qu’il y a un grand réseau d’espionnage ou un mouvement politique est vraiment absurde. »
« Je ne sais pas quelles informations ces pauvres agriculteurs pourraient envoyer où que ce soit », a-t-elle ajouté.
La Communauté internationale bahaïe a publié des images des lieux montrant des habitants du village consternés au milieu des décombres de leurs maisons.
The latest video from Roshankouh, Mazandaran province, #Iran, shows the destruction of #Bahai homes and the heartbreak of their residents.
Audio distorted to protect those present. Faces shown with permission.#ItsTheirLand #BahaiRights #HumanRights pic.twitter.com/akJm3jotwu
— Baha'i International Community (@BahaiBIC) August 3, 2022
Selon elle, le gouvernement a probablement ciblé les Bahaïs par simple discrimination, pour les utiliser comme boucs émissaires politiques et pour confisquer leurs biens et leurs ressources.
Les Bahaïs d’Iran sont autorisés à quitter le pays, mais ils « aiment leur maison », a déclaré Mme Dugal, et beaucoup n’ont pas les moyens de s’installer dans un nouveau pays.
La diaspora de cette communauté fait pression sur les gouvernements du monde entier pour que ceux-ci les soutiennent.
L’objectif final du régime est « d’éliminer les Bahaïs en tant qu’entité viable dans le pays », a déclaré Dugal.
« Nous espérons que cette vague actuelle de violence, d’attaques et d’arrestations n’est pas le début de quelque chose de nouveau, un nouveau chapitre de persécution », a-t-elle ajouté. « Nous supplions tous les gouvernements du monde de faire pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles cessent et abandonnent leurs actions. »
Le bureau de la liberté religieuse internationale du département d’État américain a déclaré mardi que les États-Unis « exhortaient l’Iran à mettre fin à son oppression continue de la communauté bahaïe et à honorer ses obligations internationales de respecter le droit de tous les Iraniens à la liberté de culte ou de croyance. »