Les 68 000 évacués d’Israël fêtent le Nouvel An juif sans savoir quand ils rentreront chez eux
Un an après le massacre du 7 octobre, les attaques quasi-quotidiennes du Hezbollah laissent les habitants déplacés du nord dans l’incertitude. Et voilà que le conflit s'intensifie

JTA — Jusque-là, Gabi Hasin avait l’habitude de sortir précipitamment de chez elle avant les tirs de missiles en provenance du Liban. Habitant de la ville frontalière de Kiryat Shmona, dans le nord du pays, Hasin a en revanche passé ces douze derniers mois hors de chez lui, déménageant à sept reprises pour protéger les siens.
Au moment de faire ses valises et de descendre plus au sud encore, ces deux dernières semaines – cette fois depuis Tibériade, dans le nord, vers Jérusalem – c’est désormais le cadet de ses soucis. Il prend des somnifères pour la première fois de sa vie. Le mois dernier, sa fille a été hospitalisée pour des crises de panique parce qu’elle devait se marier le jour où des milliers de bipeurs d’agents du Hezbollah ont explosé au Liban.
Aujourd’hui, pour la première fois depuis des dizaines et des dizaines d’années, ses 10 frères et sœurs et lui sont séparés pour Rosh HaShana, qui a commencé mercredi soir.
Chaque année, ils se retrouvent normalement pour les fêtes dans la maison de leurs parents, aujourd’hui décédés, à Kiryat Shmona : ils installent une grande tente de fortune pour les dizaines d’enfants et de petits-enfants. Mais cette fois-ci, les 11 frères et sœurs se trouvent dispersés dans six villes. Hasin sera avec sa belle-famille à Jérusalem.
« C’est très déprimant », confie-t-il. « Je me fiche de ce qui se passe à Jérusalem, à Tibériade ou ailleurs. Tout ce qui m’intéresse, c’est Kiryat Shmona. C’est une ville, mais elle ressemble à un village et c’est l’endroit le plus accueillant qui soit pour les familles. Tout le monde se connaît là-bas. Quand je marche dans la rue, je n’arrête pas de saluer du monde. »
Hasin fait partie des 68 000 Israéliens, principalement originaires du nord, évacués depuis près d’un an, depuis que le Hamas a lancé son attaque terroriste le 7 octobre dernier, massacrant plus de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et en kidnappant 251 dans la bande de Gaza. Le Hezbollah a commencé à attaquer Israël peu de temps après, et ce conflit s’est intensifié ailleurs, lorsqu’Israël a puissamment bombardé les dirigeants et infrastructures du Hezbollah au Liban et que le groupe terroriste et son sponsor, l’Iran, ont tiré des centaines de missiles sur Israël.

De nombreux habitants du nord espèrent qu’une fois la guerre terminée, ils pourront retourner vivre chez eux. Mais pour nombre de ceux qui ont été déplacés ces douze derniers mois, leur souhait est de célébrer les fêtes chez eux – ce qui est quasi-impossible alors que le conflit ne fait que s’intensifier.
« Je reste éveillée toute la nuit à penser à l’avenir, à me demander ce qui va se passer, si et quand nous allons revenir à Kiryat Shmona et si mes enfants reviendront un jour. Nous serions rentrés à la maison depuis longtemps si [le gouvernement] avait fait plus tôt ce qu’il fait depuis deux semaines au Liban », commente Hasin.
Quoi qu’il arrive au cours de cette guerre, Kiryat Shmona ne sera peut-être plus jamais la même. Selon un sondage réalisé en juin, 43 % de ses 30 000 habitants envisagent de ne pas rentrer chez eux, 13 % d’entre eux ayant d’ores et déjà décidé de ne pas y retourner.
D’autres habitants du nord ont dû prendre des décisions difficiles à l’approche des fêtes. Shani Tzililm a passé une grande partie de la semaine dernière à s’abriter avec ses quatre enfants dans leur maison de Kiryat Bialik, dans la banlieue de Haïfa, pour échapper aux roquettes tirées par l’Iran et le Hezbollah. Leur ville n’a pas été évacuée. Mais cette semaine, elle ne fêtera pas Rosh HaShana avec sa mère dans la ville voisine d’Akko, à 16 kilomètres au nord encore plus dangereuse.

La maison de sa mère, située dans cette ville mixte ancienne arabo-juive, ne dispose pas d’une pièce sécurisée, et l’abri anti-aérien le plus proche se trouve dans une école à quelques minutes de là. L’immeuble de Tzililm, au moins, dispose d’un abri anti-aérien, mais, lors d’une série d’alertes successives dimanche, elle est tombée et a dévalé les escaliers avec son enfant de trois ans dans les bras.
« Je préfère rester à la maison où je me sens plus en sécurité. Mais qui peut dire ce qui est sûr ? » confie Tzililm. « Je ne peux plus supporter ça. Ma fille de huit ans est très anxieuse, elle pleure toute la journée. J’ai moi-même une peur bleue. Combien de temps encore pourrons-nous vivre comme ça ? Je prie chaque jour pour que cette guerre se termine. Peu importe comment, elle doit se terminer. »
Selon Daniel Ohana, coordinateur municipal pour les milliers d’évacués vivant dans des hôtels dans Tel-Aviv, ses équipes se sont rendues dans ces hôtels avant les fêtes pour s’assurer que les évacués avaient tout ce dont ils avaient besoin.
« C’est difficile. Nous avons déménagé une ville entière, avec sa culture et un certain rythme de vie, vers une autre ville avec une culture complètement différente », explique Ohana. « Mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour garder un sentiment de communauté et de famille. De petits gestes comme des toasts [ramat kosit] avant les fêtes. »
Il souligne que le travail n’est pas à sens unique ; les évacués de Kiryat Shmona font également du bénévolat et préparent des colis de nourriture pour les familles nécessiteuses de Tel Aviv.
Au centre hospitalier Rambam de Haïfa, les préparatifs de Rosh HaShana étaient en cours à l’hôpital d’urgence souterrain fortifié Sammy Ofer – le plus grand établissement médical souterrain du monde, construit pour être opérationnel pendant des tirs de roquettes.
Désormais, l’hôpital souterrain fonctionne : 600 patients y ont été transférés la semaine dernière sous des tirs nourris de roquettes, même si 200 patients ambulatoires seront transférés à l’hôpital habituel pour les fêtes, expliquait lundi à la JTA le porte-parole de l’hôpital David Ratner.
Le rabbin Shmuel Turkov, directeur de Lev Chabad à Haïfa, a organisé des prières et des repas en coopération avec le rabbin de Rambam. « Les gens sont inquiets à l’idée de passer les fêtes à l’hôpital. « Nous nous assurons qu’ils entendent bien le shofar et qu’ils aient un vrai repas de fête avec tous les simanim », a-t-il poursuivi en parlant des aliments de Rosh HaShana, symboles des vœux pour la nouvelle année.

L’extension du front militaire affecte les populations de tout le pays. Plusieurs organisations à but non lucratif redoublent d’activité, cette semaine, pour répondre à la forte augmentation de la demande d’aide, menée par des personnes rendues nécessiteuses par les circonstances de la guerre, ou ce que le célèbre chef Jamie Geller qualifie de « nouveaux pauvres ». Geller travaille avec l’organisation de secours d’urgence Yad Ezra V’Shulamit.
« Il y a tellement de nouveaux pauvres pour les fêtes. Des personnes qui étaient donatrices l’année dernière sont cette année les destinataires de dons et de nourriture », poursuit Geller.
L’organisation a été chargée par le Commandement du Front intérieur de nourrir 16 000 familles supplémentaires touchées par la guerre, ce qui porte le total à 66 000 paniers garnis pour les fêtes.
« Il y a des veuves et des orphelins, déjà endeuillés par la guerre, et qui doivent en plus se préparer à ces premières fêtes sans leurs proches, sans toujours avoir de quoi acheter de la nourriture », ajoute-t-elle.
Moshe Cohen, PDG de l’association à but non lucratif Chasdei Naomi, explique que les paniers alimentaires que son organisation distribuera cette année comprennent des produits de base de plus et des articles spéciaux pour les fêtes, car Rosh HaShana précède immédiatement le Shabbat, prolongeant la fête en une période fériée de trois jours, une rareté en Israël. Il dit par ailleurs sa gratitude aux nombreux bénévoles étrangers, principalement des États-Unis, qui sont venus aider à emballer les nombreux colis alimentaires.

Pendant ce temps, à Kiryat Bialik, Tzililm, qui gagne le salaire minimum en tant qu’assistante de maternelle, a reçu des bons alimentaires pour les fêtes de fin d’année de la part de l’International Fellowship of Christians and Jews (IFCJ). Cette année, le groupe a augmenté son aide annuelle pour les fêtes de fin d’année à 10 millions de dollars, étendant par ailleurs son soutien au-delà de sa liste habituelle de familles nécessiteuses pour inclure celles touchées par la guerre, notamment les habitants des villes frontalières et les familles déplacées, les familles d’otages, les survivants du massacre du 7 octobre et les réservistes de Tsahal dans le besoin.
Pour autant, Tzililm n’est pas sûre d’avoir la force de cuisiner ce qu’on lui a donné.
« Je vais être honnête avec vous, je ne suis tout simplement pas d’humeur à faire la fête cette année », admet-elle.
À Jaffa, les projets de Karina Zilbersher, mère célibataire, pour Rosh HaShana, ont été bouleversés ce week-end lorsque son fils unique, Liam, membre du commandement de la défense aérienne israélienne, a été déployé aux côtés d’environ 10 000 autres soldats.
Face à la menace croissante des missiles balistiques et tirs de roquettes de gros calibre en provenance d’Iran ou de ses mandataires comme le Hezbollah, les soldats de l’unité de Liam, chargés de faire fonctionner la Fronde de David, système de défense aérienne israélien, seront de garde pendant les fêtes.
« Ce sont les soldats dont on a le plus besoin en ce moment, et je le comprends, mais c’est toujours aussi frustrant », confie Zilbersher. « Je n’ai personne d’autre en Israël. Il est toute ma vie, et ils me l’ont pris. »
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