Les accusations de Bar contre Netanyahu augmentent le risque de crise constitutionnelle
La Haute Cour voulait se limiter aux aspects procéduraux du limogeage du chef du Shin Bet, mais les soupçons de motivations politiques rendent cela bien plus délicat

Les accusations incendiaires qui ont été formulées par le chef du Shin Bet, Ronen Bar, à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans sa déclaration sous serment soumise, en début de semaine, à la Haute Cour de justice ont considérablement compliqué une situation déjà très explosive pour la Cour, et elles menacent maintenant de plonger Israël dans un conflit constitutionnel profond.
Alors que la Cour semblait initialement devoir se contenter de trouver un remède aux problèmes de procédure liés à la décision prise par le gouvernement de limoger Bar, les accusations du chef du Shin Bet – qui affirme que la décision de son licenciement a été prise en raison d’inquiétudes personnelles et politiques de Netanyahu – menacent à présent d’entraîner le pays dans une autre spirale infernale.
Bar a été licencié par le gouvernement, sur recommandation du Premier ministre, en date du 21 mars – mais les groupes de veille et, par la suite, Bar lui-même ont fait savoir qu’il avait été limogé non pas pour des motifs liés à ses capacités professionnelles, mais en raison de sa défiance à l’égard du Premier ministre sur plusieurs questions par ailleurs déterminantes.
Aujourd’hui que Bar a étayé ses affirmations initiales par des documents et par des éléments de preuves dans sa déclaration sous serment déposée à la Haute Cour, il sera beaucoup plus difficile pour les juges d’éviter d’avoir à se prononcer sur les questions de fond de l’affaire – ce qui pourrait entraîner un conflit direct entre le gouvernement et les autorités du système judiciaire.
Les requêtes déposées contre la décision prise par le gouvernement de démettre Bar de ses fonctions au mois de mars dernier – c’est dans ce cadre que le chef du Shin Bet a déposé sa déclaration sous serment – avaient déjà donné lieu à la crainte d’une impasse entre la branche judiciaire et le gouvernement.
Ce dernier affirme que la loi lui confère l’autorité nécessaire pour embaucher – et pour licencier – le chef du Shin Bet, et que la Cour n’a pas la possibilité d’intervenir dans les prérogatives de l’exécutif. L’establishment juridique insiste, pour sa part, sur le fait que cette autorité est néanmoins soumise aux lois qui règlementent l’exécution correcte des décisions administratives.

Les ministres ont menacé d’ignorer ou de contourner un éventuel jugement qui dénoncerait l’illégalité du renvoi de Ronen Bar – des menaces qui ont été proférées avant même l’audience qui avait été consacrée aux requêtes sur le sujet, le 8 avril. Le comportement de certains ministres, ces derniers jours, est d’ores et déjà susceptible d’être interprété comme un défi lancé à l’ordonnance provisoire qui avait été rendue par le tribunal en date du 21 mars.
Par cette ordonnance, la Cour avait gelé le licenciement de Bar, déclarant au gouvernement qu’il ne pouvait en rien modifier ses relations de travail avec le chef du Shin Bet jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue. Malgré cela, le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a menacé de ne pas assister aux réunions du cabinet de sécurité si Bar était présent. Il a refusé de l’autoriser à prendre la parole lors d’une telle réunion et il a quitté la salle lorsqu’il a finalement été autorisé à le faire.

Abaisser la barre
Les requêtes dénonçant la décision de limoger Bar qui avaient été déposées, au mois de mars, par les groupes de veille affirmaient que le chef du Shin Bet avait été licencié pour des motifs personnels et politiques en liaison avec Netanyahu, et que son limogeage avait également été entaché de graves problèmes de procédure.
Lors d’une audience qui avait été consacrée aux recours, le 8 avril, les juges de la Haute Cour avaient semblé accorder principalement leur attention aux questions de procédure en lien avec la manière dont le cabinet avait renvoyé Bar, et ils avaient suggéré que le gouvernement et le bureau de la procureure générale tentent de parvenir à un accord sur le moyen de remédier à ces problèmes.
Le délai accordé par la Cour pour parvenir à un tel compromis a toutefois expiré le 20 avril. Si la Haute Cour peut encore poursuivre ses efforts visant à favoriser un accord entre les parties après une audience sur la déclaration sous serment de Bar et sur la réponse qu’apportera Netanyahu – s’il décide d’en soumettre une – il semble qu’un résultat autre qu’une décision finale soit de plus en plus improbable.
Les affirmations explosives de Bar, dans sa déclaration sous serment, étaient que l’insatisfaction de Netanyahu concernant ses performances professionnelles ne se fondait pas autant sur des préoccupations d’ordre professionnel que sur le refus opposé par le chef du Shin Bet d’utiliser illégalement son rang et son autorité au profit des convenances personnelles et politiques du Premier ministre, selon les propres termes de Bar.
Plus précisément, Bar a accusé Netanyahu d’avoir exercé des pressions sur lui de manière à ce qu’il l’aide à reporter le témoignage qu’il devait apporter dans son procès pénal, contre l’avis professionnel que lui avait donné le chef du Shin Bet, et de lui avoir demandé d’utiliser l’institution pour agir contre les activistes anti-gouvernementaux qui étaient impliqués dans des mouvements de protestation légitimes.
Bar insiste sur le fait que ces deux demandes étaient illégales et qu’il a refusé de les exécuter. Il a également affirmé que ce refus d’accéder aux demandes de Netanyahu, ainsi que son approbation de l’ouverture d’enquêtes criminelles contre de proches collaborateurs du Premier ministre, ont été à l’origine de son licenciement.
Le 8 avril, lors de l’audience initiale, la Haute Cour semblait vouloir se limiter à résoudre les irrégularités de procédure entourant le limogeage de Bar, en demandant à l’exécutif de consulter à nouveau la commission consultative ayant approuvé sa nomination, dans l’espoir qu’elle valide aussi sa révocation.
Mais les nouveaux éléments fournis par Bar, sous serment, rendent plus difficile, voire impossible, pour les juges de se cantonner à une approche procédurale. Les recours invoquant un licenciement motivé par des raisons politiques et personnelles pourraient contraindre la Cour à statuer sur le fond – à savoir la légalité même du limogeage.

Une telle issue aurait des conséquences politiques et juridiques considérables. Plusieurs ministres ont déjà déclaré qu’ils refuseraient de siéger aux côtés de Bar, et l’hostilité manifeste de Netanyahu à son encontre ne fait qu’aggraver la tension.
Si le cabinet décidait d’ignorer un arrêt de la Haute Cour annulant le limogeage de Bar, Israël pourrait se retrouver plongé dans une crise constitutionnelle inédite, où les institutions et les hauts fonctionnaires de l’État ne sauraient plus clairement à quelle autorité – exécutive ou judiciaire – se référer.
Dans un tel scénario, qui les institutions comme le Shin Bet, la police, le bureau du procureur général, celui du procureur de l’État, ou encore les autres organes gouvernementaux considéreraient-ils comme légitimement à la tête de l’agence ?
Désamorcer la crise
Mais alors, existe-t-il des moyens d’éviter une telle impasse institutionnelle ?
Un premier scénario envisageable serait que Netanyahu parvienne à discréditer suffisamment les accusations formulées par Bar, en soumettant à la Cour sa propre déclaration sous serment – une invitation qui lui a été adressée par les juges.
Si le Premier ministre parvenait, au moyen de documents et de preuves à l’appui, à convaincre la Cour que le limogeage de Bar n’était pas motivé par des considérations illégitimes, les juges pourraient alors recentrer l’affaire sur les seuls aspects procéduraux et trancher plus discrètement.
Netanyahu a reçu un délai supplémentaire pour répondre à la Cour.

Une autre issue permettant à la Cour suprême d’éviter une confrontation directe serait que Bar annonce sa démission dans un délai très court.
Dans sa déclaration sous serment, Bar avait indiqué qu’il rendrait bientôt publique la date de son départ. Mardi, il aurait laissé entendre qu’il quitterait ses fonctions d’ici au 15 mai.
Si cette démission intervient à cette échéance, la Haute Cour pourrait considérer l’affaire comme devenue sans objet et se contenter d’une décision de forme, sans se prononcer sur le fond. Elle pourrait, si elle le juge opportun, assortir sa décision de remarques sur les enjeux soulevés par le dossier.
En revanche, si Bar choisissait de rester en fonction encore plusieurs mois, la Cour aurait beaucoup plus de mal à esquiver une décision de fond, compte tenu du rôle central que joue le chef du Shin Bet dans la sécurité nationale, a fortiori en période de guerre.
Et bien que les juges aient pu espérer éviter un tel affrontement, il est peu probable qu’ils renoncent à invalider la décision du gouvernement si les accusations portées par Bar leur apparaissent fondées, tant l’enjeu est crucial pour préserver l’indépendance des futurs dirigeants du Shin Bet.
Sous la présidence d’Esther Hayut, la Haute Cour avait déjà franchi un seuil inédit en annulant un amendement à une Loi fondamentale adopté par le gouvernement, estimant qu’il portait atteinte aux principes démocratiques. Son successeur, Uzi Vogelman, n’a pas hésité à défier le ministre de la Justice, Yariv Levin, en refusant de se plier à son obstruction concernant la nomination d’un nouveau président de la Cour.
Le président Isaac Amit, nommé à la tête de la Cour à l’issue de cette confrontation institutionnelle, reviendrait-il sur ses positions dans l’affaire Bar, sous la pression des menaces gouvernementales ?
Cela semble hautement improbable.
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