Israël en guerre - Jour 566

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La Cour suprême bloque provisoirement le limogeage du chef du Shin Bet par Netanyahu

Les parties ont jusqu’au 20 avril pour trouver un compromis, après une audience houleuse marquée par l’expulsion de manifestants, dont la députée Likud Tally Gotliv

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Audience des recours déposés contre le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Haute Cour de justice, à Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/FLASH90)
Audience des recours déposés contre le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Haute Cour de justice, à Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/FLASH90)

Le présidente de la Cour suprême a émis mardi une injonction provisoire stipulant que le chef du Shin Bet, Ronen Bar, doit rester en fonction jusqu’à nouvel ordre et a accordé au gouvernement et à la procureure générale jusqu’au 20 avril pour parvenir à un compromis sur le litige juridique entourant le vote sans précédent du mois dernier en faveur de son limogeage.

La Cour a précisé que le gouvernement ne pouvait entreprendre aucune démarche visant à démettre Ronen Bar de ses fonctions tant que l’ordonnance reste en vigueur, y compris en annonçant publiquement son remplacement. Elle a également interdit toute atteinte à ses prérogatives en tant que chef de l’agence de sécurité intérieure, ainsi que toute modification des relations de travail entre le gouvernement et le Shin Bet. Toutefois, les entretiens en vue de la désignation d’un successeur peuvent se poursuivre.

Cette décision fait suite à une audience-marathon de onze heures consacrée aux recours introduits contre son limogeage. L’ouverture de l’audience a été marquée par un chaos : des manifestants, dont la députée du Likud Tally Gotliv, ont provoqué des perturbations telles que les juges ont dû suspendre la séance. Ils ont ensuite ordonné l’expulsion forcée de Gotliv et d’autres protestataires.

Tout au long de l’audience, les trois juges ont exprimé leur préoccupation quant aux irrégularités procédurales ayant entouré le licenciement de Bar. Le président de la Cour a également estimé que la procureure générale avait eu raison d’exiger que le gouvernement consulte une commission consultative clé avant toute décision de révocation.

À l’issue de l’audience, le secrétaire d’État Yossi Fuchs et les représentants du bureau de la procureure générale se sont dits prêts à dialoguer pour résoudre le différend, en réponse à la suggestion du juge Noam Sohlberg de saisir la commission consultative des nominations aux hauts postes, afin qu’elle formule une recommandation.

L’affaire dépasse le seul sort de Ronen Bar et s’inscrit dans le bras de fer persistant entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire, sur fond de tentative de remise en cause des mécanismes de contrôle institutionnels.

Le président de la Cour suprême Isaac Amit préside l’audience, aux côtés du nouveau vice-président Noam Sohlberg et de la juge Daphne Barak-Erez — les trois membres les plus anciens de la Cour.

Les requérants – des groupes de la société civile et des partis d’opposition – estiment que le Premier ministre Benjamin Netanyahu se trouve en situation de conflit d’intérêts en tentant d’évincer Bar, alors que le Shin Bet mène une enquête sur plusieurs de ses proches collaborateurs, soupçonnés d’avoir réalisé des travaux de communication pour le Qatar tout en travaillant à son service.

Plus largement, les critiques accusent Netanyahu de vouloir faire de Ronen Bar un bouc émissaire pour les échecs ayant permis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, tout en éludant ses propres responsabilités.

À gauche : Ronen Bar, chef du Shin Bet ; à droite : le Premier ministre Benjamin Netanyahu. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash 90 ; Dudu Bachar/POOL)

De son côté, le Premier ministre continue d’affirmer qu’il a pleinement le droit, en vertu de la loi, de limoger le chef de l’agence de sécurité intérieure, d’autant plus selon lui en raison des manquements ayant permis l’infiltration du Hamas depuis Gaza.

Il soutient en outre, sans fournir de preuve, que l’enquête dite du « Qatargate », qui s’ajoute à son procès pour corruption en cours ainsi qu’à une autre affaire de fuites de documents classifiés vers la presse étrangère, fait partie d’un complot orchestré par « l’État profond » israélien visant à affaiblir son leadership.

Chaos dans la salle d’audience

Des manifestants pro-gouvernement ont perturbé la séance dès son ouverture, scandant « Vous n’avez aucune autorité » à l’entrée des juges.

 

Parmi eux, la députée Tally Gotliv (Likud), qui a interrompu à plusieurs reprises les débats. Amit l’a rappelée à l’ordre en lui disant : « Vous êtes dans une salle d’audience, pas à la Knesset. Je vous prie de ne pas interrompre ».

Gotliv a répliqué qu’elle bénéficiait de l’immunité parlementaire et ne pouvait être expulsée du tribunal. Elle a ensuite été aperçue mâchant un chewing-gum et consultant son téléphone depuis le premier rang de la galerie du public.

Des agents de sécurité luttent avec Itzik Bontzel, dont le fils Amit a été tué en combattant à Gaza en décembre 2023, le 8 avril 2025, lors d’une audience de la Haute Cour sur les pétitions contre l’éviction du chef du Shin Bet, Ronen Bar. (Crédit : Chaim Goldberg/FLASH90)

Un autre moment de tension est survenu lorsqu’Itzik Bontzel, père endeuillé, a pris la parole. Dans un discours véhément contre Bar, il a accusé la Cour de légitimer des « mains couvertes de sang ». Les gardes ont dans un premier temps évacué Bontzel, mais il a été autorisé à s’exprimer brièvement plus tard dans la journée.

Au plus fort de ses invectives, Amit a consulté la juge Barak-Erez pendant plusieurs minutes avant d’annoncer une suspension de séance, le temps d’établir de nouvelles règles de conduite.

« Aucune juridiction au monde ne peut fonctionner dans de telles conditions », a-t-il déclaré.

La salle a été évacuée, et la séance a repris environ une heure plus tard. À sa reprise, Amit a annoncé que l’audience se poursuivrait à huis clos, en raison du chahut jugé « grave ».

Gotliv a immédiatement récidivé, interrompant une nouvelle fois les débats. Amit a alors ordonné son expulsion. Les huissiers l’ont sortie de force de la salle.

La députée du Likud Tolly Gotliv perturbe une audience sur les pétitions contre le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Cour suprême de Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Amit a déclaré qu’il était « tout à fait scandaleux que la branche législative n’autorise pas la tenue de procédures au sein de la branche judiciaire ».

Le président de la Cour a toutefois accordé dix minutes à l’avocat Yehudah Puah, représentant légal de familles dont des proches ont été tués le 7 octobre, afin qu’il exprime leur opposition aux requêtes déposées contre le limogeage.

Puah a accusé Ronen Bar de négligence, affirmant que celle-ci avait entraîné la mort des enfants de ses clients.

Le gouvernement sur la touche

Tout au long de l’audience, le président Amit a mis le gouvernement sur la défensive.

Il a évoqué les déclarations de Netanyahu, qui ont soulevé de vives inquiétudes quant à un possible conflit d’intérêts dans la révocation de Bar, et notamment les accusations du Premier ministre selon lesquelles les enquêtes visant ses assistants seraient politiquement motivées.

« Le Premier ministre est intervenu directement dans cette affaire. Il a déclaré que les mises en accusation ‘visent [ses assistants], mais que l’objectif est de m’atteindre. C’est une chasse aux sorcières’ », a rappelé Amit.

Le président de la Cour suprême, Isaac Amit, lors d’une audience sur les recours déposés contre le renvoi du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Cour suprême, à Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le juge répondait à Zion Amir, avocat de Netanyahu, qui a rejeté les soupçons de conflit d’intérêts comme étant « infondés et dénués de toute substance ».

Amir a rétorqué que c’était au contraire Bar qui se trouvait en situation de conflit d’intérêts, du fait de son implication dans l’enquête sur le Qatargate alors même qu’il savait que son poste était menacé.

« C’est une aberration flagrante », a déclaré Amir.

Les juges se sont également montrés sceptiques face à la position du gouvernement selon laquelle la loi lui conférerait un droit absolu de démettre le chef du Shin Bet.

Amir a soutenu que l’exécutif disposait d’une « autorité totale » en matière de nomination et de révocation du chef de l’agence. Mais les juges Sohlberg (de tendance conservatrice) et Barak-Erez (libérale) ont rappelé que les principes du droit administratif s’appliquaient également à ce type de décisions.

« Depuis les années 1960, cette Cour a toujours estimé qu’aucun organe gouvernemental ne disposait d’un pouvoir discrétionnaire absolu », a rappelé Barak-Erez.

L’avocat Zion Amir, lors d’une audience sur les pétitions contre le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Cour suprême de Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Sohlberg et Barak-Erez ont par ailleurs souligné que Bar n’avait pas bénéficié d’un délai raisonnable pour se préparer à une éventuelle audition disciplinaire devant le cabinet, ni reçu une liste claire des griefs formulés à son encontre.

Amit a ajouté qu’aucun titulaire d’un poste aussi élevé que celui de chef du Shin Bet n’avait jamais été démis de ses fonctions par un gouvernement israélien. Amir a répondu que la situation sécuritaire après le 7 octobre était elle aussi sans précédent.

Amit a estimé que l’avis juridique de la procureure générale, qui recommande de soumettre la révocation à la commission consultative pour les nominations aux hauts postes, était « fondé », ce qui soulève d’autres interrogations quant à la légalité de la procédure.

Sohlberg a indiqué qu’il aurait souhaité entendre Bar en personne afin de clarifier certains éléments du dossier, soulignant qu’aucun des huit requérants n’avait fourni de « socle factuel suffisamment solide » pour guider la décision des juges.

L’avocat Aner Helman, représentant la procureure générale, a alors déclaré que Ronen Bar pouvait se présenter dans les trente minutes pour s’adresser aux juges à huis clos, si ceux-ci le souhaitaient.

Netanyahu accusé de dérive autoritaire

L’avocat Eliad Shraga, président du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, a accusé le Premier ministre et son gouvernement de vouloir transformer le Shin Bet en une force de répression comparable à la Stasi, la police secrète de l’ex-Allemagne de l’Est.

Shraga a affirmé que Netanyahu cherchait à installer à la tête de l’agence un dirigeant loyal, entièrement acquis à sa cause.

« Il est impensable qu’une personne faisant l’objet d’une enquête puisse un matin révoquer son propre enquêteur », a-t-il déclaré, en référence au Qatargate, bien que les personnes visées soient des collaborateurs proches de Netanyahu, et non le Premier ministre lui-même.

L’avocat Eliad Shraga (à gauche), chef du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, lors d’une audience sur les pétitions contre le licenciement du chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Cour suprême de Jérusalem, le 8 avril 2025. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Shraga a également évoqué une déclaration transmise à la Cour par Bar avant l’audience, dans laquelle ce dernier affirme que le Premier ministre lui aurait demandé d’informer le tribunal de district de Jérusalem, chargé de son procès pour corruption, que des raisons de sécurité empêchaient sa comparution régulière.

L’avocat a aussi dénoncé les propos tenus au tribunal par l’équipe juridique de Netanyahu, reprochant à Bar de ne pas être intervenu face aux refus de servir dans Tsahal, en 2023, lors des manifestations sur les efforts de refonte judiciaire du gouvernement en 2023.

« Ils veulent que le chef du Shin Bet mobilise ses outils contre des citoyens qui ont suspendu leur service volontaire, qui manifestaient. Ce n’est pas la Stasi, ça ? Le rôle du Shin Bet serait-il désormais d’employer des moyens intrusifs contre des soldats de Tsahal ? » a lancé Shraga.

De son côté, l’avocat Boaz Arad, représentant le Mouvement pour l’intégrité du gouvernement, a dressé une longue liste de ce qu’il considère comme des violations de procédure commises par le gouvernement lors du licenciement de Bar.

Selon lui, l’exécutif a sciemment ignoré les directives émises par le bureau du procureur général sur la manière de mener une telle révocation. Il a également omis d’énoncer précisément les motifs de la perte de confiance, empêchant ainsi Bar de préparer une défense adéquate lors d’une audience devant le cabinet.

L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.

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