Les enseignants sont les élèves d’une expérience de coexistence à Jérusalem
Du marché Mahane Yehuda à Sarona, les pédagogues essaient d’abattre des barrières en espérant que leurs élèves en feront de même

C’était jeudi après-midi, le 9 juin, au lendemain de la fusillade terroriste au marché de Sarona de Tel Aviv, qui avait tué quatre personnes.
Haifa Alyan et Annie Kurland, enseignantes, étaient devant le YMCA de Jérusalem, regardant l’exposition de photos sur le projet Salle des profs, un projet de coexistence fondé par l’organisation This is Jerusalem!
C’était un jour difficile pour parler de coexistence, ont reconnu les deux femmes.
Et pourtant, c’est le moment le plus important pour penser à l’autre, a déclaré Haifa Alayan, qui est musulmane et enseigne l’anglais dans une école élémentaire arabe pour filles du quartier Abu Tor de Jérusalem.
« Je suis une personne qui pense que vous devez regarder les choses d’un autre point de vue, a déclaré Alayan. Même avant que je ne rejoigne ce groupe, à chaque moment là-bas où j’avais une chance de faire quelque chose comme ça, d’ouvrir une fenêtre, je le faisais. Je veux que mes élèves parlent, je veux élever une nouvelle génération. »
Kurland, qui est juive et enseigne le théâtre et les mathématiques à Keshet, une école élémentaire mixte et pluraliste avec des enfants laïcs et religieux, aurait pu prononcer les mêmes mots.

Les deux femmes regardaient une exposition de photos présentant leurs six derniers mois de travail avec le projet Salle des profs, qui a été soutenu par plusieurs associations, dont le Hebrew Union College, l’Institut juif de la religion et Reshut Harabim – le forum de Jérusalem des organisations du renouveau juif, ainsi que la Fondation pour Jérusalem, le nouveau fond israélien, la communauté ROI, et le département de l’éducation de la municipalité.
Les photos montraient les enseignants, 18 en tout, d’origine chrétienne, juive et musulman, laïcs et religieux, dans différentes situations des derniers mois, partageant des souvenirs, des émotions et des rires.
Dédiée à la mémoire de Shira Banki, Hiérosolymitaine de 16 ans qui a été tuée pendant la Gay Pride de Jérusalem l’année dernière, la Salle des profs a pour but de faire que ce groupe de professeurs passe du temps ensemble et comprennent les mondes et cultures de chacun. Il est ensuite attendu qu’ils rapportent ces expériences et ces leçons dans leurs salles de classe.
Pour beaucoup, ce n’était pas la première fois qu’ils participaient à une organisation de coexistence. Kurland et Alayan ont pris part à des groupes dans lesquels elles rencontraient « l’autre ». Leurs enfants aussi.
Et pourtant, quelque chose était différent avec la Salle des profs. Le premier exercice du projet, en décembre, a fait cartographier son trajet quotidien à chaque enseignant, de chez lui à l’école avec une centaine d’autres lieux.
Même si Alayan vit dans le quartier arabe de Beit Safafa, dans le sud de Jérusalem, et prend la route de Hébron, un axe routier majeur, pour atteindre l’école élémentaire pour filles d’Abu Tor où elle enseigne, elle n’a jamais croisé le chemin de Kurland, qui vit dans la partie juive d’Abu Tor.
Cela a été une révélation mémorable.
Une autre a eu lieu quand chaque enseignant a montré des photos de sa maison, à l’intérieur ainsi bien qu’à l’extérieur. Alayan n’a pas pu croire que Kurland vivait dans le même quartier que ses élèves, principalement parce qu’aucune des maisons de ses élèves ne surplombent la vallée verdoyante que voit Kurland depuis son balcon.
« Leurs maisons sont toutes entassées les unes sur les autres, n’est-ce-pas ? », a demandé Kurland.
Quand Alayan a dit n’avoir jamais vu une maison comme celle d’Annie, cela a fait l’effet d’une déflagration, a déclaré Kurland.
Une autre enseignante, qui est musulmane et porte le voile, a dit au groupe qu’elle n’avait jamais été au marché Mahane Yehuda de Jérusalem parce qu’elle craignait de ne pas y être la bienvenue. Alors Alayan et Kurland ont organisé une sortie au marché, Kurland passant son bras sous celui de la femme musulmane pendant tout le temps qu’elles y étaient.
« Je voulais que tout le monde sache que nous étions ensemble », a-t-elle dit.

Il y a eu des réunions où chaque enseignant a apporté des symboles de sa pratique religieuse, ou des photos de sa salle de classe. Même ces rencontres ont nourri les pensées des enseignants.
En considérant le temps qu’Alayan a pensé à la coexistence et l’a pratiquée avec son mari et ses cinq enfants, âgés de 9 à 19 ans, elle a été surprise de se rendre compte du peu qu’elle savait, et de combien certains aspects de la vie des Israéliens lui semblaient étrangers.
« Nous nous rencontrons et les choses se passent », a déclaré Kurland. Elle a pensé aux cartes qu’ils avaient fait le premier jour, et de comment elle et Alayan « ont des routes parallèles, et aucun moyen de se rencontrer », a-t-elle dit. « Quelqu’un s’est assuré que nous ne nous rencontrions jamais. »
Les enseignants ont raconté des histoires sur les endroits et les moments où chacun d’entre eux ne s’était pas senti à sa place. Alayan a raconté une promenade autour de Rehavia, le quartier juif historique où sa grand-mère nettoyait des maisons, pendant qu’une autre enseignante a parlé de sa fille soldate en uniforme attaquée dans le quartier juif ultra-orthodoxe de Mea Shearim.
« Nous pensons toujours aux ‘autres’ comme aux arabes, mais il y a toutes sortes d’ ‘autres’ », a-t-elle dit.
Il y a également eu des moments de désaccords, ont dit les deux enseignantes.
Quand l’une des enseignantes arabes a parlé d’une récente attaque terroriste comme d’un accident, Kurland l’a corrigée, parlant d’une attaque. Elle a pensé à combien les relations personnelles faisaient la différence quand une confrontation arrivait.
« Haifa peut me dire quelque chose de vraiment sévère, mais je la connais, a-t-elle dit. Même quand elle dit quelque chose de dur, et je pense qu’elle ne peut dire ça à mon sujet et à celui de mon fils soldat, le fait que je la connaisse change la discussion. C’en est une qui est réelle et éclaire. »
C’est ce genre d’aperçus, et les réponses plus mesurées, qui ont amené l’organisation à sélectionner un groupe d’enseignants pour ce programme.
« Ils nous ont choisis parce que nous sommes le passage de l’extérieur à l’intérieur de la classe, a dit Kurland. Nous avons la capacité dans nos classes d’ouvrir les esprits et de leur parler de la réalité, de leur montrer que ce n’est pas noir ou blanc. Nous pouvons montrer à nos élèves que la réalité est très compliquée. »

Leurs élèves, ont dit les enseignants, n’ont souvent aucune idée de comment traiter les évènements qui se déroulent autour d’eux.
Kurland a raconté le moment où elle a parlé pour la première fois de la Salle des profs à ses élèves juifs, ils étaient surpris d’apprendre que les arabes faisaient autre chose que le ménage, puisque les seules arabes que la plupart d’entre eux connaissent travaillent dans l’équipe d’entretien de l’école.
Alayan a déclaré que quand l’attentat de Sarona a été abordé dans sa classe, certains des étudiants ont dit que ce qui était arrivé « était bien », et que d’autres disaient que ça ne l’était pas.
« Je leur ai dit qu’ils auraient pu y être aussi, puisque c’est un lieu public, a-t-elle dit. Cela a légèrement changé leur avis, mais ils ont continué à dire ‘ils nous font du mal’ », en parlant des Israéliens juifs. « Je ne suis pas allée trop loin avec eux », a dit Alayan.
En tant qu’enseignantes, Alayan et Kurland ont des approches similaires quand il s’agit de discuter des évènements difficiles avec leurs élèves, d’accord sur le fait que le sujet devait venir dans les conversations avant qu’elles ne puissent l’aborder.
« J’ai environ 25 enfants par classe, et quatre classes, mais je dois essayer de les faire parler, a déclaré Alayan. Dans notre école, ces sujets ne sont discutés que si les enseignants le veulent, ils ne veulent pas qu’on intervienne. Mais ce n’est pas bon de tout garder à l’intérieur, les enfants doivent le faire sortir. Ils entendent des choses tout le temps. »
Kurland était d’accord.
« Les enfants ne vivent pas dans une bulle, a-t-elle dit. Mais nous attendons d’eux qu’ils l’abordent et ensuite nous en parlons. »
Pour l’instant, le groupe fait une pause pour l’été, et prévoit d’apporter ce qu’ils ont appris à leurs élèves à l’automne.
« Ce ne sont pas simplement des activités, a déclaré Kurland, mais le fait que nous nous rencontrions, que nous soyons un groupe, et de nous exposer aux autres. Il y a beaucoup de groupes comme le nôtre, mais vous ne les voyez pas toujours. Nous voulons que les gens sachent que cela arrive. »
L’exposition de photos du projet Salle des profs est visible en ce moment au YMCA de Jérusalem, et peut-être exposée dans des écoles et des endroits publics. Vous trouverez plus d’informations sur le site This is Jerusalem!
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel