Israël en guerre - Jour 364

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Les juges de la Cour suprême perdent patience face à l’exemption militaire des haredim

Les magistrats ont rejeté les arguments avancés par le gouvernement et les yeshivot sur l'impossibilité de recruter les jeunes hommes ultra-orthodoxes au sein de Tsahal

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le panel de neuf juges qui, à la Haute Cour, a présidé l'audience demandant le recrutement immédiat des jeunes hommes ultra-orthodoxes dans l'armée, le 2 juin 2024. (Crédit : Amit Shabi/ POOL)
Le panel de neuf juges qui, à la Haute Cour, a présidé l'audience demandant le recrutement immédiat des jeunes hommes ultra-orthodoxes dans l'armée, le 2 juin 2024. (Crédit : Amit Shabi/ POOL)

Un panel de neuf juges de la Haute cour a âprement critiqué le gouvernement qui déclare qu’il est impossible de recruter au sein de l’armée les jeunes hommes ultra-orthodoxes qui fréquentent les yeshivot , des critiques qui ont été émises pendant une audience à fort enjeu qui a eu lieu dans la journée de dimanche. Cette audience était consacrée à des requêtes qui réclament l’intégration immédiate de milliers de jeunes Haredim dans les rangs de Tsahal et qui exigent que l’État cesse de financer les séminaires religieux où ils étudient.

Les neuf juges qui ont siégé lors de cette audience, y compris les plus conservateurs, se sont montrés sans ambiguïté, exprimant leur scepticisme – un scepticisme qui a parfois donné lieu à des explosions de colère – face aux affirmations et aux propos avancés par les représentants du gouvernement et des yeshivot ultra-orthodoxes financées par l’État, les accusant de « jouer avec les mots » et « de tourner en rond ». Ils ont même paru par moments les railler.

En contraste, les magistrats, dans leur majorité, n’ont pas remis en question le fond des affirmations faites par les avocats des organisations qui avaient déposé les requêtes et celles du Bureau de la procureure-générale – qui s’oppose au positionnement adopté par le gouvernement – et qui ont établi qu’environ 63 000 jeunes haredim qui ne bénéficiaient dorénavant plus d’un cadre les exemptant du service militaire devaient être enrôlés.

Ils ont toutefois mis en doute la faisabilité, pour Tsahal, de l’intégration d’un si grand nombre de nouvelles recrues dans ses rangs tout en faisant remarquer un précédent qui avait été établi par la Cour et qui avait reporté de plusieurs mois l’arrêt du soutien financier des étudiants ultra-orthodoxes en yeshivot, comme les requêtes le demandent actuellement.

Les réponses tranchantes et parfois acerbes des juges aux arguments avancés par le gouvernement semblent laisser entendre que la patience de la Cour face à l’incapacité des gouvernements successifs à résoudre le casse-tête du service militaire haredi est dorénavant à bout.

Le juge conservateur de la ligne dure, Noam Sohlberg, a semblé furieux pendant l’audience – même lorsque la procureure-générale a établi que, selon son Bureau, seulement 3 000 soldats ultra-orthodoxes devaient être recrutés dans l’année à venir. Il a ainsi insisté sur le fait qu’il y avait « un besoin existentiel » de main-d’œuvre au sein de l’armée. Il a déclaré, visiblement très agacé, que « nous sommes en guerre. Il y a un manque criant d’un plus grand nombre de soldats, c’est maintenant qu’on en a besoin ».

Sohlberg a fait remarquer que même en 2017, Tsahal avait été en capacité d’accepter 3 000 soldats ultra-orthodoxes. « Et aujourd’hui, alors que nous sommes au beau milieu d’une guerre, l’armée ne peut pas intégrer environ 3 000 soldats ? », a interrogé Sohlberg, s’adressant à Taubman.

Des manifestants ultra-orthodoxes réunis alors que se tient une audience sur l’enrôlement des haredim, devant la Cour suprême, à Jérusalem, le 2 juin 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

De la même manière, Yael Wilner, une magistrate conservatrice, a rejeté de manière répétée les arguments alambiqués qui ont été présentés par l’avocat du gouvernement en défaveur d’un recrutement militaire immédiat des jeunes hommes de la communauté haredi, disant que la loi devait être respectée telle qu’elle est actuellement.

Au vu du peu de cas que les juges ont accordé au positionnement du gouvernement, les représentants des organisations à l’origine des requêtes ont dit être convaincues que le tribunal répondra à leurs doléances et qu’il décidera que l’État doit commencer à recruter au moins 3 000 étudiants ultra-orthodoxes en yeshivot au sein de Tsahal.

Les requêtes avaient été déposées par le Mouvement pour un Gouvernement de Qualité, Frères d’Armes et d’autres groupes suite à l’expiration, au mois de juin dernier, de la loi hautement controversée qui permettait aux étudiants aux yeshivot d’échapper au service militaire. Et au mois de mars, une résolution du gouvernement qui donnait pour instruction de ne pas recruter les jeunes hommes haredim jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi officialisant leur exemption avait également expiré.

Le gouvernement a été dans l’incapacité de s’accorder sur une telle législation, ce qui a entraîné une nouvelle réalité – sans précédent depuis 2002 – où Israël, sur le terrain, n’a plus de cadre juridique permettant l’exemption massive des jeunes ultra-orthodoxes de Tsahal ou aux yeshivot où ils étudient au lieu de servir dans l’armée d’être financées.

L’avocat privé du gouvernement, Doron Taubman, au centre, arrive pour une audience de la Cour sur une requête réclamant le recrutement des hommes haredim au sein de l’armée à la Cour suprême de Jérusalem, le 2 juin 2024. (Crédit : Amit Shabi/POOL)

Doron Taubman, l’avocat privé embauché par le gouvernement, a concentré ses arguments sur l’idée que ce dernier n’intervenait pas – et qu’il devait s’abstenir de le faire – dans le pouvoir discrétionnaire des responsables à exercer leur autorité. Dans ce cas précis, il a évoqué le pouvoir discrétionnaire des commandants de l’armée qui sont chargés d’émettre les ordres de conscription.

Taubman a affirmé que Tsahal devait lancer des préparations importantes pour augmenter son recrutement d’un nombre déterminant de soldats ultra-orthodoxes au vu des exigences uniques de leur mode de vie religieux.

Un argument qui a été mis à mal par le juge Alex Stein, qui a évoqué la résolution adoptée par le gouvernement qui donnait pour instruction à l’armée et au ministère de la Défense de ne pas procéder au recrutement obligatoire des étudiants en yeshivot tant qu’une nouvelle législation ne serait pas approuvée.

Et le président de la Cour suprême, Uzi Vogelman, a insisté sur le fait que le pouvoir discrétionnaire de ces agences était de toute manière pris en compte par les jugements de la Haute-cour, parlant notamment d’une décision qui, en 2017, avait déterminé que les exemptions massives de service militaire en direction d’un seul groupe étaient illégales et discriminatoires à l’encontre des autres.

Des ultra-orthodoxes étudient à la yeshiva Kamenitz, à Jérusalem, le 22 août 2023. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

Wilner, l’une des juges conservatrices, a ensuite davantage poussé Taubman, lui demandant si le gouvernement soutiendrait le recrutement militaire limité de 3 000 des 63 000 jeunes ultra-orthodoxes qui sont dorénavant dans l’obligation d’intégrer Tsahal, alors que la procureure-générale a proposé d’augmenter graduellement le recrutement des Haredim.

« Nous n’avons pas, dans le principe, abordé le problème de la conscription de 3 000 jeunes ultra-orthodoxes », a répondu évasivement Taubman, notant que le gouvernement soutenait le renforcement du recrutement militaire des membres de la communauté mais qu’il ne devait pas interférer avec les décisions prises par l’armée concernant les personnes appelées à faire leur service militaire – et que la Cour, elle non plus, ne devait pas intervenir dans le processus de décision. Taubman a affirmé que « 25 000 ou 250 000 » ultra-orthodoxes pourraient être enrôlés si c’était là la décision prise par les militaires.

« Et maintenant, voilà que vous avez la même position que la procureure-générale et que les requérants », a plaisanté Vogelman, entraînant les rires dans le tribunal.

Alors que Taubman tentait d’éviter au mieux de répondre avec précision à d’autres questions, le magistrat Isaac Amit s’est mis à rire ouvertement, rejetant les affirmations faites sur le pouvoir discrétionnaire de l’armée en disant que l’avocat « jouait avec les mots » pour passer outre un jugement rendu par la Haute-cour, en 2018, qui avait établi que les exemptions massives de service militaire ne pouvaient être formulées qu’à travers des législations à la Knesset et non par le biais de décisions administratives.

Les magistrats ont ensuite interrogé Taubman sur le positionnement adopté par le gouvernement, s’étonnant du fait que malgré l’absence d’un cadre légal permettant aux étudiants d’échapper au service militaire, les yeshivot où ils faisaient leurs études au lieu d’intégrer l’armée recevaient encore des financements de la part de l’État.

La procureure-générale elle-même s’était opposée à ce positionnement, écrivant que ces fonds ne pouvaient être données qu’aussi longtemps que l’étudiant bénéficiait d’une exemption officielle de service militaire.

« La condition de l’octroi d’un soutien financier est que vous n’échappiez pas au service militaire », a dit le juge Ofer Grosskopf. « Si vous ne vous présentez pas au bureau de recrutement de Tsahal quand on vous a ordonné de le faire, alors j’ai envie de dire qu’on ne peut pas verser des fonds pour que vous puissiez continuer à étudier. »

Il a eu d’autres moments de tensions – comme quand Taubman a affirmé que le départ à l’armée des jeunes ultra-orthodoxes aurait un grave impact sur les revenus des familles ultra-orthodoxes qui dépendent des subventions versées par le gouvernement pour pouvoir disposer d’un revenu minimal. Il a ainsi évoqué « une question de vie et de mort pour des dizaines de milliers d’étudiants en yeshiva mariés. »

La juge Daphne Barak Erez a riposté avec colère que « c’est une affaire de vie et de mort pas seulement pour les dizaines de milliers d’étudiants en yeshiva mariés, mais pour de nombreuses autres personnes dans le pays », a-t-elle dit, faisant référence aux centaines de soldats qui ont perdu la vie dans la guerre actuelle, une guerre qui avait été déclenchée par l’attaque terroriste meurtrière du Hamas, le 7 octobre.

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