Israël en guerre - Jour 499

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Analyse

Les manifestations anti-Israël alimentées par la rage contre le « gouvernement » libyen

Les citoyens libyens ont d'autres chats à fouetter qu'une normalisation, considérée comme une ruse des élites pour gagner le soutien de l'Occident tout en évitant les élections

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des Libyens brûlant des pneus lors d'une manifestation, après l'annonce d'une récente rencontre entre la ministre des Affaires étrangères du pays et son homologue israélien, à Tripoli, le 28 août 2023. (Crédit : Mahmud Turkia/AFP)
Des Libyens brûlant des pneus lors d'une manifestation, après l'annonce d'une récente rencontre entre la ministre des Affaires étrangères du pays et son homologue israélien, à Tripoli, le 28 août 2023. (Crédit : Mahmud Turkia/AFP)

La réaction de colère de certains habitants des rues libyennes à l’annonce de la rencontre, la semaine dernière, entre les ministres des Affaires étrangères israélien et libyen s’explique davantage par la colère à l’égard des dirigeants politiques du pays que par la haine d’Israël.

« C’est une réponse à la frustration des Libyens qui sont tenus dans l’ignorance, à ce genre de politique de l’ombre, de réunions secrètes », a déclaré Anas El Gomati, fondateur et directeur de l’Institut Sadeq à Tripoli. « La question est la suivante : soutiendrez-vous un autre gouvernement qui n’est pas élu et qui bloquerait les élections en échange de la reconnaissance d’Israël par la Libye ou de la normalisation de ses liens avec ce pays . »

Les élections présidentielles en Libye étaient initialement prévues pour 2018, puis pour 2021, mais elles ont depuis été reportées indéfiniment. Les assemblées législatives rivales de Tobrouk et de Tripoli n’ont pas été en mesure de parvenir à un accord durable sur les élections, et le Premier ministre intérimaire Abdul Hamid al-Dbeibeh semble déterminé à rester au pouvoir.

Les dernières élections remontent à 2014 et les résultats avaient été contestés.

Dimanche, le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a annoncé qu’il avait rencontré la ministre libyenne des Affaires étrangères Najla Mangoush en Italie la semaine dernière, la toute première rencontre officielle entre les hauts diplomates des deux pays.

Quelques heures plus tard, al-Dbeibeh a suspendu Mangoush, qui s’est ensuite réfugiée en Turquie. Des manifestations violentes, bien que limitées, ont éclaté, les manifestants attaquant des bâtiments gouvernementaux et brûlant des drapeaux israéliens.

« Je pense qu’il s’agit davantage d’une question intérieure, qui n’a pas grand-chose à voir avec Israël et les Palestiniens », a déclaré El Gomati.

La ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla Mangoush, s’exprimant lors d’une conférence de presse avec son homologue turc au ministère turc des Affaires étrangères, à Ankara, le 13 février 2023. (Crédit : Adem Altan/AFP)

En juillet 2022, des manifestants avaient brûlé une partie de la Chambre des représentants de Tobrouk pour manifester leur colère face aux coupures d’électricité et à l’impasse politique.

« Les élites politiques libyennes traitent les manifestants de la même manière, explique El Gomati. « Ils ne sont pas populaires. »

Joshua Krasna, directeur du Center for Emerging Energy Politics in the Middle East, est d’accord. « Ce gouvernement n’a pas beaucoup de légitimité internationale, la moitié du pays ne l’aime pas et l’autre moitié ne lui fait pas confiance. »

« C’est un gouvernement qui n’a pas vraiment été élu. Ce gouvernement n’est pas vraiment représentatif. »

Khalifa Haftar, troisième à gauche, quittant la Libye après une conférence internationale sur la Libye au palais de l’Élysée, à Paris, en France, le 29 mai 2018. (Crédit : Francois Mori/AP Photo)

Dans le même temps, a déclaré El Gomati, il existe un lien avec les Accords d’Abraham qu’Israël a signés avec des partenaires arabes.

L’idée de normalisation « est maintenant utilisée par Tripoli dans l’espoir de soutenir [les dirigeants d’al-Dbeibeh] », a expliqué El Gomati. « Je pense que c’est pour la même raison que Saddam Haftar a fait l’offre qu’il a faite en novembre, parce qu’elle bloque les élections en Libye. Et les Libyens en ont assez. »

El Gomati faisait référence au fils du chef de guerre libyen Khalifa Haftar, qui se serait rendu en Israël en novembre 2021 pour une réunion secrète avec des responsables israéliens au cours de laquelle il aurait proposé d’établir des relations diplomatiques entre les deux pays en échange du soutien d’Israël, selon le quotidien Haaretz.

Selon cet article, Haftar était porteur d’un message de son père demandant une « assistance militaire et diplomatique » israélienne en échange d’un engagement à établir un processus de normalisation entre la Libye et Israël semblable aux Accords d’Abraham établissant des relations entre l’État juif et les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc.

El Gomati a affirmé qu’al-Dbeibeh et Haftar pensaient tous deux que l’obtention d’un soutien international était essentielle pour rester au pouvoir. L’Italie, qui a accueilli la semaine dernière la réunion Cohen-Mangoush, est essentielle pour obtenir le soutien de l’UE, et Washington semble conditionner son soutien à des progrès vers la normalisation avec Israël.

L’un des Premiers ministres rivaux de la Libye, Abdul Hamid al-Dbeibeh, assistant à une célébration pour la jeunesse dans la ville de Zawiya, à 30 kilomètres à l’ouest de Tripoli, en Libye, le 13 octobre 2022. (Crédit : Yousef Murad/AP Photo)

Mais les Libyens veulent que leurs dirigeants se concentrent sur la fourniture de services de base et l’organisation d’élections démocratiques, a déclaré El Gomati.

« Pourquoi les Libyens s’intéresseraient-ils aux Accords d’Abraham alors qu’il n’y a pas eu d’élections depuis dix ans ? », a-t-il demandé. « Les Libyens bénéficient de certains services courants, mais pas de tous. La classe moyenne connaît des difficultés économiques massives, décimée par la dévaluation du dinar libyen. Ce n’est pas du tout dans le cœur, à l’esprit ou sur la liste des priorités des Libyens. »

Le fait que les dirigeants cherchent à établir des liens potentiels avec Israël « montre une énorme dissonance entre ce qui devrait être la priorité et le discours de la population et ce que les politiciens libyens font réellement ».

Selon Krasna, la dynamique de normalisation dans des États fracturés comme la Libye est très différente de celle des pays cohérents du Golfe.

Le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Abdul Lateef Rashid al-Zayani, s’adressant aux journalistes, à Manama, le 4 décembre 2022. (Crédit : Lazar Berman/Times of Israel)

« Dans les Émirats arabes unis et à Bahreïn – et, le cas échéant, en Arabie saoudite – il s’agit de pays autoritaires dotés d’une structure gouvernementale très complète et très forte, où lorsque les dirigeants prennent une décision, elle est appliquée. Mais en Libye, comme au Soudan d’ailleurs, ce n’est pas le cas », a-t-il déclaré.

« Ainsi, lorsque la population apprend qu’un gouvernement qu’il ne considère pas nécessairement comme un gouvernement populaire, qu’il ne considère pas nécessairement comme un gouvernement représentatif, fait des choses comme ça, et qu’il les fait en secret, cela fait mauvais effet. »

Des liens de longue date

Bien que les dirigeants politiques libyens des deux camps aient utilisé Mangoush comme bouc émissaire, ils discutent avec Israël depuis des années.

En janvier 2022, al-Dbeibeh avait rencontré en Jordanie le directeur de l’agence de renseignement du Mossad, David Barnea, selon les médias libyens et saoudiens.

En juin 2020, un haut responsable libyen du gouvernement Haftar, basé dans l’est du pays, avait accordé une interview au journal Makor Rishon, appelant Israël à le soutenir.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à gauche, et le chef du Mossad, David Barnea, lors d’un toast avant Pessah, le 4 avril 2023. (Crédit : Kobi Gideon/GPO)

« Nous n’avons jamais été et ne serons jamais des ennemis, et nous espérons que vous nous soutiendrez. Ce ne sont que des circonstances qui nous ont séparés jusqu’à présent », avait déclaré le vice-Premier ministre Abdul Salam al-Badri à Makor Rishon.

Six mois plus tôt, le ministre des Affaires étrangères de Haftar, Abd al-Hadi al-Hweij, avait déclaré au quotidien Maariv que la Libye pourrait reconnaître Israël si la question palestinienne était résolue.

« Nous sommes un État membre de la Ligue arabe et nous nous engageons à respecter ses décisions et celles des Nations unies », avait-il déclaré. « Nous soutenons les droits des nations, y compris les droits du peuple palestinien. Mais nous soutenons la paix régionale, nous nous opposons au terrorisme et nous le combattons également en Libye. »

La Libye est en proie à des troubles depuis 2011, lorsqu’une guerre civile avait renversé le dictateur de longue date Mouammar Kadhafi, qui avait ensuite été tué. Depuis, le pays est divisé entre des administrations rivales à l’est et à l’ouest, chacune soutenue par des groupes armés et des gouvernements étrangers. Des efforts soutenus par l’ONU sont en cours pour créer un gouvernement d’unité durable.

Manoeuvre des forces loyales au gouvernement d’entente nationale (GNA) de Libye, après avoir pris le contrôle de la zone d’al-Aziziyah, située à une quarantaine de kilomètres au sud de la capitale libyenne Tripoli, à la suite de violents affrontements avec les forces loyales à l’homme fort Khalifa Haftar, le 18 avril 2019. (Crédit : Mahmud Turkia/AFP)

Selon certaines informations, Israël fait partie des soutiens du régime de Haftar, mais dans une moindre mesure que ses partenaires régionaux que sont l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

Le site The New Arab avait rapporté en 2020 que les Émirats arabes unis avaient envoyé cinq lance-roquettes israéliens aux forces de Haftar. Selon ce site d’informations basé à Londres, les Émirats arabes unis avaient précédemment envoyé des drones, des fusils et des équipements de vision nocturne israéliens à l’armée nationale libyenne.

Israël aurait également formé les forces de Haftar aux combats urbains.

Lorsqu’il était au pouvoir, Kadhafi avait appelé à la destruction d’Israël et avait financé divers groupes terroristes palestiniens, dont l’Organisation du Septembre noir, qui avait perpétré le massacre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Plus tard dans sa vie, il s’était prononcé en faveur de la formation d’un État mixte israélo-palestinien, qu’il avait baptisé « Isratine » dans une tribune publiée en 2009 par le New York Times.

Le président français Nicolas Sarkozy, à gauche, accueillant le colonel Mouammar Kadhafi, leader libyen, à son arrivée au palais de l’Élysée, à Paris, le 10 décembre 2007. (Crédit : Francois Mori/AP)

Mais lors du soulèvement de 2011 qui a conduit à sa chute, Kadhafi aurait demandé l’aide d’Israël pour endiguer les frappes aériennes de la coalition occidentale sur son pays.

Un envoyé d’un État non-spécifié s’était rendu à Jérusalem à l’époque pour demander une assistance diplomatique au nom de Kadhafi, selon la radio de l’armée. Le dirigeant libyen souhaitait qu’Israël utilise ses liens diplomatiques avec les États-Unis et la France pour mettre un terme à la campagne militaire de l’OTAN qui, sur décision du Conseil de sécurité des Nations unies, visait les forces du régime qui luttaient contre les rebelles, selon le média.

Les responsables israéliens avaient procédé à une évaluation rapide et finalement décidé de ne pas agir, selon la radio de l’armée.

La longue histoire des responsables libyens de tous bords cherchant l’aide d’Israël rend le sort de Mangoush encore plus frustrant, selon El Gomati. « Tous font porter le chapeau à Mangoush, en disant qu’il s’agit d’une rencontre Mangoush-Cohen, alors qu’en réalité, cela fait partie d’un réseau de réunions et de relations différentes qui ont eu lieu depuis plusieurs années. »

Malgré les dommages causés cette semaine, « les deux parties ont intérêt à maintenir les canaux ouverts », a-t-il affirmé. Mais il ne faut pas s’attendre à une normalisation dans un avenir proche.

« Les relations sont toujours là et elles continueront d’exister dans l’ombre », a déclaré El Gomati.

« Et ce n’est pas une bonne chose pour une éventuelle normalisation. Il n’est pas normal de parler dans l’ombre. Il est normal de parler de ces choses ouvertement. »

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