Les Parisiens rendent hommage à Ilan Halimi, 10 ans après son assassinat
Ces derniers jours, plusieurs rassemblements à la mémoire d’Ilan, assassiné en 2006 par le « gang des barbares », ont été organisés à Paris et en banlieue
La semaine dernière, à l’occasion de plusieurs rassemblements, des centaines de personnes ont rendu hommage à Ilan Halimi, enlevé et torturé dans l’espoir d’une rançon et parce que Juif par le « gang des barbares ». Dix ans plus tard, son meurtre est devenu l’un des symboles de la violence antisémite en France.
L’affaire a ébranlé le pays.
Ce 13 février 2006, Ilan Halimi, 23 ans, est retrouvé nu et agonisant, avec des traces de tortures et de brûlures sur le corps, au bord d’une voie ferrée dans l’Essonne. Le jeune homme succombe à ses blessures lors de son transfert à l’hôpital, sans parvenir à s’exprimer.
Ilan avait été enlevé trois semaines plus tôt, le 21 janvier 2006, attiré par une femme qui a servi d’appât.
Dirigés par Youssouf Fofana, 25 ans à l’époque des faits et condamné en 2009 à la réclusion criminelle à perpétuité, ses bourreaux – qui se faisaient appeler le « gang des barbares » – avaient tenté en vain d’extorquer 450 000 euros à la famille de leur victime, qu’ils supposaient riche car de confession juive.
Fofana avait ensuite contacté un rabbin, pensant que la communauté paierait une rançon si les proches ne le faisaient pas.
Le premier rassemblement de la semaine organisé en la mémoire d’Ilan avait lieu ce jeudi 11 novembre dans le petit jardin qui porte son nom, dans le 12e arrondissement de Paris, là où résidait le jeune homme.
À l’initiative du collectif Haverim, la manifestation se voulait être un « hymne à la vie » sans discours ni banderole mais plutôt composé d’un programme artistique. « C’est parce que nous souhaitions célébrer la vie alors qu’eux célèbrent la mort que nous avons décidé de rendre cet hommage positif », a introduit Laurent Barilan-Pariente, président de l’association.
« Nous n’oublions pas ceux qui ont commis l’irréparable, ceux qui l’ont encouragé et ceux qui se sont tus », a-t-il ajouté.
« Nous n’oublions pas ceux qui ont commis l’irréparable, ceux qui l’ont encouragé et ceux qui se sont tus – Laurent Barilan-Pariente
Parmi la foule de plusieurs centaines de personnes, se trouvaient diverses personnalités publiques, dont Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris, Haïm Korsia, grand rabbin de France, de nombreux élus et acteurs de la vie associative, mais aussi Yaël et Anne-Laure Halimi, les deux sœurs d’Ilan. Si ces dernières ont choisi de ne pas s’exprimer, ce sont elles qui ont guidé les organisateurs dans la programmation.
Pendant plus d’une heure, plusieurs intervenants se sont succédés sur la scène ornée de drapeaux français et israéliens, pour chanter et lire des textes « selon les goûts » d’Ilan.
Parmi eux, on pouvait compter Stéphane Guillon, qui a lu les paroles de la chanson « Hier encore » de Charles Aznavour, artiste qu’affectionnait Ilan. L’auteure et scénariste Emilie Frèche a succédé à l’humoriste en lisant une lettre à l’adresse du jeune homme.
L’acteur Syrus Shahidi, qui a joué le rôle d’Ilan dans le film « 24 jours » d’Alexandre Arcady, a fait de même quelques instants plus tard, précédé par Patrick Braoudé et Ariel Wizman qui ont joué un passage d’une pièce de Jean-Claude Grumberg.
D’autres comédiens ont eux aussi participé à la commémoration, dont Guy Amram, qui a lu un extrait du script du film ‘La vie est belle’ de Roberto Benigni.
« Être présent à cet événement est tout aussi important que d’avoir participé à la marche du 11 janvier 2015, suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper
Cacher », explique Gabriel, la trentaine, qui a souhaité participer à la cérémonie pour « rendre hommage à Ilan, un jeune homme qui avait la vie devant lui et [qu’il aurait] pu être ».
« Son meurtre a précédé de nombreuses autres attaques antisémites survenues depuis : l’école juive de Toulouse [en mars 2012], le musée juif de Bruxelles [en mai 2014] et le supermarché cacher de la porte de Vincennes, [à Paris, en janvier 2015], pour ne citer que les plus graves. Si, à l’époque, la population française avait vraiment pris en compte la gravité de l’évènement, peut-être que tout ça n’aurait pas suivi. Le jour où, fin février 2006, on a été 200 000 à marcher pour Ilan suite à sa mort et qu’on s’est rendus compte qu’il n’y avait quasiment que des Juifs, beaucoup d’entre nous sont tombés de haut. Se souvenir de ça et se souvenir d’Ilan par une soirée comme celle-ci est important et a un poids très fort », conclut-il.
« Chaque Français devrait se sentir concerné. Ilan était Juif, mais c’était aussi et avant tout un jeune Français », explique sa compagne, alors que quatre enfants plantent symboliquement un olivier au pied de la scène, accompagnés par la chanteuse Laura Mayne du groupe Native qui entonne son tube « Si la vie demande ça », chanson qu’écoutait Ilan quand il avait une dizaine d’années.
La soirée s’est terminée par la lecture du kaddish, puis par l’allumage symbolique des flashs des téléphones portables – l’utilisation de bougies avait été interdite pour
« raisons de sécurité » – ainsi que par la présentation au public d’une œuvre de Philippe Elie Kassabi signée par les intervenants de la soirée.
Le dessin sera prochainement mis aux enchères afin de récolter des fonds pour permettre à la famille d’Ilan de planter un arbre en son honneur dans un parc en Israël.
Le même soir, l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) et SOS Racisme organisaient une commémoration à la mairie du 11e arrondissement.
Les deux associations ont profité de l’évènement pour dévoiler les résultats d’un sondage Ifop sur les préjugés antisémites, ces mêmes préjugés qui ont coûté la vie à Ilan.
On peut lire dans l’étude – publiée vendredi dans Le Parisien – que 31 % des interrogés considèrent que les Juifs sont « plus riches » que l’ensemble des Français, contre 38 % qui ne sont « pas d’accord », et 31 % qui ne « savent pas ».
L’enquête, réalisée auprès de 1 468 personnes, a vite déclenché un tollé sur les réseaux sociaux. Selon ses détracteurs, l’institut de sondage colporterait ces préjugés sous couvert de les mesurer.
Ce week-end, plusieurs autres hommages ont eu lieu à Paris et en banlieue.
Samedi, en début de soirée, la mairie de Bagneux (Hauts-de-Seine), commune du sud de Paris qui héberge la cité HLM de la Pierre-Plate dans laquelle a été séquestré Ilan, a appelé ses habitants à se rassembler dans le parc Richelieu, là même où une stèle commémorative a été installée en 2011.
« Dix ans plus tard, nous continuons à éprouver un remords collectif », a déclaré le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, devant quelque 150 personnes rassemblées dans un auditorium attenant au parc.
Le drame, a poursuivi le ministre,
« annonçait à sa manière une série de gestes assassins » mais aussi « la diffusion rampante » de l’antisémitisme, du racisme, du
« mépris » et de la « haine de
l’autre ».
Et, « à sa manière, les attentats » de novembre. Il y a quelques jours, le ministre annonçait que 806 attaques contre les Juifs avaient été constatées dans le pays l’an dernier – en comparaison, le Conseil représentatif des instituions juives de France (Crif) en avait dénombré 371 en 2006.
« Malheureusement, l’après-Ilan Halimi, ça a été la continuation de la barbarie antisémite », a lancé Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France, exhortant à ce que le jeune homme « ne soit pas mort pour rien ».
La maire (PCF) de la ville, Marie-Hélène Amiable, a quant a elle annoncé qu’un parc de la ville, aménagé dans les trois années à venir, porterait le nom du jeune homme, avec l’accord de sa mère. « On inscrit ce qui s’est passé dans l’histoire de la ville. Ça permettra de continuer à en parler, de ne pas oublier », témoignait l’élue quelques jours plus tôt, toujours profondément marquée par la tragédie.
Le lendemain, ce dimanche 14 novembre, malgré la pluie et le froid, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le 229 boulevard Voltaire (11e arrondissement), l’ancien emplacement de la boutique de téléphonie où travaillait Ilan.
Comme chaque année depuis dix ans, le mot d’ordre de cette manifestation lancée par la Fédération des Juifs noirs de France et soutenue notamment par le Crif était : « Ni oubli, ni pardon. » Parmi les participants, certains agitaient des drapeaux israéliens et d’autres, plus nombreux, tenaient une bougie.
Moshe Lewin, rabbin du Raincy et directeur exécutif de la conférence des rabbins européens, Tony Harrisson, qui a joué le rôle de Youssouf Fofana dans le film « 24 jours », Rachel Khan, actrice, Hocine Drouiche, imam et recteur de la mosquée de Nîmes, et plusieurs autres acteurs de la vie associative, politique et religieuse étaient présents.
Dans son discours, Francis Kalifat, vice-président du Crif, a fait état de la présence en France d’un « nouvel antisémitisme virulent et violent portant les habits de la haine d’Israël » et regretté que les Juifs de France « soient inquiets » et « se sentent comme des parias », citant les écoles et synagogues « protégées par l’armée ».
Sous les applaudissements de la foule, Gil Taeïb, vice-président du Fonds social juif unifié et du Crif, a lui conclu que « [la] jeunesse [juive] ne se laisserait pas de nouveau enlevée, frappée ou éliminée ».
La commémoration, surveillée par de nombreux CRS, s’est terminée vers 18h par la lecture de la prière de la République française, par les chants de l’Hatikva et de la Marseillaise et par une distribution de tee-shirts à l’effigie d’Ilan.
Deux autres rassemblements étaient organisés dimanche. L’un s’est déroulé à Sainte-Geneviève-des-Bois, au pont de la Fouille, l’endroit où Ilan a été retrouvé gisant, et a rassemblé plus de 150 personnes.
En son souvenir, la municipalité a planté un nouvel arbre. « Il est mort parce qu’il était Juif », a déclaré Olivier Leonhardt, maire (PS) de la commune.
« Ce matin du 13 février 2006, nous ne savions pas encore ce qui s’était passé. C’est dans la torpeur générale que nous avons découvert les détails de cet assassinat antisémite. Quelques jours plus tard, nous avions planté un arbre à l’endroit où Ilan avait été retrouvé, car en hébreu, « arbre » se dit « ilan ». Nous en plantons un second dix ans plus tard, avec une émotion et une douleur toujours aussi vives. »
Dans le public, se trouvaient de nombreux élus, dont François Durovray, président (LR) du conseil départemental de l’Essonne, Jérôme Guedj, son prédécesseur (PS), et Malek Boutih, député (PS) du département.
L’autre manifestation « en hommage à Ilan et contre tous les crimes racistes et antisémites », présenté comme un « rassemblement progressiste », avait lieu à 15h place Saint-Michel, à Paris.
Elle était organisée par deux collectifs, les « Juives et Juifs révolutionnaires » et « l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide », et avait pour slogan : « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité » – des propos prononcés par Bobby Seale, co-fondateur des Black Panthers. Elle était notamment soutenue par Act-Up Paris et diverses associations communistes et antifascistes.
Les commémorations de ces derniers jours, dix ans après l’enlèvement et le meurtre d’Ilan, faisaient suite à la diffusion du documentaire « L’assassinat d’Ilan Halimi » le 11 février sur France 3.
Avec les enquêteurs et magistrats impliqués dans le procès des auteurs et complices de l’assassinat, Yaël Halimi, la sœur d’Ilan, apportait son témoignage. « On a appris à vivre sans Ilan, confiait-elle. […] C’était quelqu’un de très présent dans la famille. [Il était] attentif envers les autres [et] généreux. Il avait toujours le mot pour rire. Il était plein de vie [et était] toujours prêt à rendre service. C’était une belle personne. »
La jeune femme espérait aussi que son frère aîné ne se soit pas senti abandonné par les siens dans ses derniers instants et évoquait la décision de sa famille de l’inhumer dans le cimetière de Guivat Shaul à Jérusalem, en Israël, un an après l’avoir enterré dans un cimetière de Pantin.
« On pense qu’il est plus en paix là-bas, en Israël. Au moins, personne ne pourra aller salir sa tombe. »
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