Les propos de MBS sur le « génocide » israélien inquiètent, mais un accord avec l’Arabie saoudite n’est pas exclu
Le prince héritier a redoublé de critiques envers Israël lors du sommet de Riyad et continue de se rapprocher de l'Iran, mais le pacte de défense avec les États-Unis reste prioritaire et Téhéran, son grand ennemi
Debout à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu présentait sa vision d’un avenir heureux pour la région, une fois qu’Israël et l’Arabie saoudite auraient normalisé leurs relations par voie d’accord.
Afin de créer un nouveau Moyen-Orient, a-t-il dit, « nous devons suivre sur la voie ouverte avec les accords d’Abraham il y a de cela quatre ans. Il s’agit avant tout de parvenir à un accord de paix historique entre Israël et l’Arabie saoudite ».
Il a qualifié cette perspective d’accord de « pivot historique », de nature à « permettre in fine une réconciliation historique entre le monde arabe et Israël, entre l’islam et le judaïsme, entre La Mecque et Jérusalem ».
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De retour en Israël après son déplacement, le Premier ministre a continué de distiller son optimisme quant aux chances de paix, malgré la guerre qui fait rage. Il a même fait valoir que la lutte contre l’Iran et ses mandataires, depuis le 7 octobre 2023 – un conflit qui a déclenché la colère dans le monde arabe –, était favorable aux initiatives israéliennes pour normaliser la région.
« Les pays [arabes], comme d’autres, voient très bien les coups que nous infligeons à ceux qui nous attaquent, l’axe du mal iranien », a-t-il déclaré deux jours après que des avions israéliens ont frappé des cibles militaires en Iran le 26 octobre dernier. « Ils sont impressionnés par notre détermination et notre courage. Comme nous, ils aspirent à un Moyen-Orient stable, sûr et prospère. »
Des membres des autorités israéliennes ont déclaré au Times of Israel que Netanyahu voulait mettre fin aux conflits à Gaza et au Liban afin de se concentrer sur son objectif principal de paix avec les Saoudiens et de renforcement de la coalition anti-iranienne.
Netanyahu n’est pas le seul à avoir laissé entendre qu’un accord avec l’Arabie saoudite pourrait être bientôt conclu. Quelques jours avant les élections américaines, le Secrétaire d’État Antony Blinken a tenté de faire avancer les initiatives de normalisation en prenant un vol direct entre Tel Aviv et Riyad.
« Il reste, malgré tout ce qui s’est passé, une opportunité incroyable dans cette région d’aller dans une direction totalement différente », assurait Blinken avant de quitter Israël.
« L’Arabie saoudite serait au cœur de tout cela, avec une possible normalisation des relations avec Israël. »
Mais les signaux qui proviennent du royaume disent une toute autre histoire. La semaine dernière, devant un parterre de dirigeants arabes et musulmans à Riyad, le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite a accusé Israël de génocide et lui a demandé de ne pas violer la souveraineté iranienne.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane leur a dit que le royaume réitérait « sa condamnation et son rejet catégorique du génocide commis par Israël envers le peuple palestinien frère, qui a d’ores et déjà coûté la vie à 150 000 martyrs et fait de nombreux blessés et disparus, en majorité des femmes et des enfants ».
Escalade du discours
Les Saoudiens critiquent Israël depuis le début de la guerre, mais ils le font habituellement par l’entremise de membres subalternes des autorités ou du ministre des Affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan.
Le fait que ce soit MBS lui-même qui accuse Israël de génocide dans un cercle public est de loin l’escalade la plus notable dans la critique d’Israël par Riyad, qui ne cesse de se renforcer depuis les attaques du Hamas, le 7 octobre 2023.
Il existe malgré tout des raisons de ne pas tenir compte de ces déclarations. Les sommets tels que celui organisé par MBS à Riyad sont souvent des lieux faits pour adopter des postures ou faire des déclarations un peu vides.
« Le choix de la moindre résistance, pour ces régimes, consiste à dire à leur peuple ce qu’il attend dans le but de l’apaiser », explique John Hannah, chercheur principal à l’Institut juif d’Amérique pour la sécurité, « en se livrant par exemple à des déclarations très dures dans l’espoir de s’assurer que leur colère soit canalisée vers Israël et non contre les régimes eux-mêmes ».
Les Saoudiens doivent être bien conscients de l’opinion publique sur la guerre à Gaza. Cela fait en effet plus d’un an que la population voit des images de Gazaouis morts à la télévision, et elle est furieuse.
« Il lui faut écouter ce que son peuple dit, et ne surtout pas trop s’en écarter », ajoute Simon Henderson, chercheur principal au Washington Institute for Near East Policy. « Il serait un peu trop sorti du rang, et il s’agit là d’une correction de trajectoire. »
Il existe pourtant des signaux de changements importants en train de se produire, loin d’Israël.
Il y a eu une « escalade du discours diplomatique » de la part des États du Golfe, avec des critiques publiques plus véhémentes et plus fréquentes envers Israël, affirme Moran Zaga, expert de la région du Golfe à Mitvim – l’Institut israélien pour les politiques étrangères régionales.
Il y a également eu une intense activité diplomatique autour de la question palestinienne dans le dos d’Israël. En septembre dernier, des pays européens, arabes et islamiques ont lancé une initiative – coprésidée par l’Arabie saoudite – destinée à renforcer le soutien à un État palestinien. L’Arabie saoudite et d’autres États du Golfe ont également voté pour que les Palestiniens deviennent membres à part entière de l’ONU.
« Les États du Golfe ont découvert qu’ils ne pouvaient pas faire avancer la question palestinienne avec Israël », poursuit Zaga. « Le mouvement consistant à se tourner vers la communauté internationale prend de l’ampleur. »
Voir au-delà de demain
Une autre tendance préoccupante pour Israël, dont on trouve des traces dans les propos de MBS, est le dégel des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
La semaine dernière, le chef d’État-major saoudien, Fayyad al-Ruwaili, s’est rendu en Iran avec une délégation militaire de haut rang pour s’entretenir avec son homologue iranien, Mohammad Bagheri.
En octobre, les deux pays ont participé à des exercices navals conjoints.
L’Arabie saoudite, à majorité sunnite, et l’Iran, à majorité chiite, ont rompu leurs relations diplomatiques en 2016 suite à l’attaque de missions diplomatiques saoudiennes en Iran lors de manifestations contre l’exécution par Riyad du religieux chiite Nimr al-Nimr.
Ils se trouvent par ailleurs en opposition – et soutiennent des camps opposés – dans le cadre de la guerre civile qui secoue le Yémen depuis dix ans. Mais en mars dernier, un accord négocié par la Chine a permis à ces ennemis de longue date d’accepter de rétablir leurs relations diplomatiques et de rouvrir leur ambassade.
Ce changement d’approche des Saoudiens envers l’Iran est le fruit de questions de realpolitik concernant la sécurité du royaume, et non un regain d’affection soudain pour la République islamique.
Un journaliste saoudien de tout premier plan estime que les germes de cette détente saoudo-iranienne remontent à l’administration Obama, lorsque « Washington et l’Occident n’ont pas pris au sérieux la question de la sécurité régionale suite à la conclusion de l’accord nucléaire iranien en 2015 ».
Le président élu des États-Unis Donald Trump, plutôt bien perçu dans le Golfe, a érodé la confiance des Saoudiens à l’occasion de son premier mandat. Il a en effet choisi de ne pas riposter à l’attaque de drones et de missiles iraniens de septembre 2019 contre une importante installation saoudienne de traitement du pétrole. Lorsque Riyad a compris qu’il n’y aurait pas de représailles américaines, il a tendu la main à l’Iran, conscient qu’il lui fallait à tout prix éviter d’entrer dans un conflit dans lequel il pourrait se trouver isolé.
Depuis le 7 octobre 2023, Riyad tente d’éviter une guerre Iran-Israël à grande échelle susceptible d’inspirer à Téhéran de riposter aux attaques israéliennes en s’en prenant aux États du Golfe et aux intérêts occidentaux.
« Quoi qu’il arrive, ils regardent toujours bien au-delà de demain », résume Henderson. « Demain, la semaine prochaine, l’année prochaine, ils seront toujours là, l’Iran aussi. »
Cela n’empêche que, pour les Saoudiens, la République islamique demeure la menace principale.
« La seule question pertinente, pour les Saoudiens, n’est pas de savoir si l’Iran est ou non un ennemi mortel, mais quelle est la meilleure façon de tenir la République islamique à distance et de la dissuader de s’en prendre aux intérêts saoudiens, compte tenu des circonstances géostratégiques actuelles », estime Hannah.
L’accusation de génocide de MBS, lors du sommet de Riyad, « laisse entendre qu’à l’heure actuelle, les Saoudiens considèrent [l’apaisement avec l’Iran] comme la voie la plus sûre. Mais cela pourrait changer assez rapidement si la situation évoluait », poursuit-il.
Le changement qu’ils appellent de leurs vœux est un accord de défense avec les États-Unis incluant des garanties formelles pour la sécurité saoudienne. L’administration Biden s’est efforcée d’inclure la normalisation avec Israël dans le cadre d’un accord tripartite et il n’est pas impossible que Trump suive cette voie.
Depuis le 7 octobre, le prix de cet accord a encore augmenté pour Israël, les Saoudiens exigeant ouvertement un mouvement vers un État palestinien.
Pourtant, avec une administration américaine plus favorable et un Iran doublement affaibli par la perte de certains de ses mandataires et des sanctions renouvelées, il est possible que MBS revoie ses exigences à la baisse sur le front palestinien, surtout si les combats à Gaza cessent.
Jusqu’à ce que Trump prenne ses fonctions, les Saoudiens savent qu’il y a peu de chances de conclure un pacte de défense avec les États-Unis, ce qui explique qu’il soit un bon calcul de s’en prendre à Israël lors des sommets islamiques pour détourner l’attention et le risque de dissidence intérieure.
« Cette déclaration est la voie de la facilité pour les Saoudiens en cette période bancale, ces trois mois durant lesquels aucun progrès diplomatique majeur ne pourra être enregistré avec l’Amérique », explique Hannah. « Cela ne leur coûte rien vis-à-vis des États-Unis ou d’Israël et cela leur permet d’apaiser temporairement à la fois leur opinion publique et les Iraniens. »
Une fois que les intentions de Trump envers l’Iran et les alliés des États-Unis dans la région seront plus claires, il est possible que MBS change de discours et d’approche vis-à-vis d’Israël.
« Ces régimes ont une très longue pratique et une véritable expertise dans l’art de dire une chose pour la scène intérieure », conclut Hannah, « tout en étant tout à fait prêts à faire exactement le contraire une fois que les circonstances géopolitiques se révèlent favorables et que les risques sont suffisamment atténués. »
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